Livre – Histoire de la CIA

18 octobre 2019

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : George H.W. Bush lors d'une réunion du Conseil de Sécurité National le 6 août 1990 à laquelle était convié William Wester, directeur de la CIA. Auteurs : ADMEDIA/SIPA Numéro de reportage : 00659819_000026 Histoire de la CIA, John Prados
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Livre – Histoire de la CIA

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La première visite qu’effectua Donald Trump, un jour après son investiture, fut au siège de la CIA à Langley. Après avoir eu maille à partie avec les maîtres-espions américains lors de sa campagne présidentielle, était-ce l’heure de la réconciliation ? Toujours est -il qu’il n’y est resté qu’un quart d’heure et a proclamé qu’il était derrière les gars, en promettant d’octroyer à l’Agence plus de moyens qu’auparavant.

Il s’est prononcé aussi à titre personnel partisan convaincu de l’usage de la torture, écartant d’un revers de main toutes les polémiques qui avaient porté sur cette pratique ainsi que sur l’existence des prisons secrètes de la CIA à l’étranger. Donald Trump nomma peu après un nouveau directeur de l’Agence, Mike Pompeo, diplômé de West Point, membre du Tea Party, représentant du Kansas au Congrès, membre de la commission du renseignement qui avait appelé, entre autres à l’exécution de Snowden.

Mike Pompeo, est devenu plus tard son secrétaire d’État. En somme, ce que Trump attendait de la CIA ressemblait fort à ce qu’elle a déjà fait durant son brillant passé lorsque les chefs de l’exécutif lui avaient laissé les coudées franches. D’où l’intérêt de cet ouvrage qui raconte l’histoire de la CIA à travers le prisme de ses grandes figures, et s’intéresse tout particulièrement aux opérations clandestines. Il entend raconter comment l’Agence au fil des décennies a résisté au contrôle de l’administration et du Congrès, avant de s’y soustraire totalement. Lentement mais sûrement puis en hâtant le pas, ses dirigeants ont écarté tout ce qui se dressait sur leur chemin. Et ils ont fini par atteindre leur vitesse de croisière avec la torture et les prisons secrètes qui ont servi durant la guerre contre le terrorisme.

Ce livre est le premier à tenter de replacer le comportement actuel des dirigeants de l’Agence dans le temps long de son histoire. Il jette un nouvel éclairage sur les opérations clandestines de l’Agence : de la Pologne à la Hongrie en passant par l’Indonésie, l’Iran, les contras, sans oublier la baie des Cochons. Il lève également le voile sur le rôle de la CIA dans la lutte contre le terrorisme, qui s’est étendue très au-delà des actions clandestines. Le récit qui va suivre rend compte de ces actions, ainsi que des méthodes employées par les conseillers juridiques de la CIA pour qu’elles se déroulent sans le moindre contrôle du pouvoir législatif.

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L’auteur, auteur de plusieurs ouvrages sur la CIA, l’étudie depuis quarante ans et à chaque livre divulgue bien des renseignements tirés des auditions au Congrès, des Mémoires de ses agents, et surtout des divers documents déclassifiés. On a assisté d’abord au contrôle de plus en plus étroit de la Maison-Blanche sur les opérations de la CIA, comme sur les autres agences de renseignement qui s’est substitué   à celui du Congrès. Puis l’Agence s’est érigée en véritable forteresse et a échappé au contrôle de la présidence. Faut-il y voir pour autant une menace sur l’existence même de l’Agence comme il le laisse entendre, qui en a vu d’autres au cours de ses soixante-douze ans d’existence ?

La CIA est née sur les cendres de l’OSS, qu’Harry Truman avait dissous en décembre 1945, estimant qu’une agence de renseignement, chargée au surplus d’opérations spéciales, n’était guère nécessaire en temps de paix. Ces responsabilités à ses yeux relevaient de l’armée. L’armée de terre et la Marine disposaient d’ailleurs chacune de leur branche de renseignement. C’est Allen Dulles qui s’est illustré par des actions efficaces à Berne durant la guerre, dont le frère John Foster Dulles sera le secrétaire d’État du président Eisenhower, qui a été le véritable bâtisseur de la CIA, qu’il a présidée de février 1953 à novembre 1961, record de longévité qu’aucun de ses successeurs n’a égalé. Richard Helms étant resté de juin 1966 à 1973, en pleine tourmente vietnamienne. Le futur président George H.W. Bush n’y a fait qu’un court passage de janvier 1976 à janvier 1977.

La création de la CIA est intervenue à l’aube de la guerre froide, concurremment avec celle du NSC, le National Security Council, placé lui directement auprès de la présidence. C’est à cette époque qu’a été popularisée la notion de « sécurité nationale » qui n’existait pas de manière formelle avant la Seconde Guerre mondiale. Le National Security Act spécifiait d’emblée que « l’Agence n’aura pas de pouvoir de police, de justice… ou de sécurité intérieure ». Cependant une disposition de la loi prévoyait que l’Agence exerce « les autres fonctions et missions liées au renseignement que le président ou le NSC pouvait lui assigner ». Cette disposition a par la suite été interprétée de manière de plus en plus large, pratiquement sans aucun contrôle. Il est inutile de décrire toutes les actions menées par la CIA, qui sont allées du financement des partis ou syndicats anti communiste en Italie et en France en 1945-1947 ou d’autres pays sensibles aux opérations clandestines à Cuba et au Vietnam ou à la lutte antiterroriste ou la traque des armes de destruction massive. Quelle a été l’efficacité réelle de toutes ses opérations ? Selon les témoignes recueillis par l’auteur, il s’avère que les activités d’espionnage ne coutaient pas vraiment cher à côté des lourdes opérations clandestines, dont l’efficacité n’était pas toujours prouvée.

Par exemple, on dit que l’espion russe Piotr Popov, une des plus belles prises de la CIA ne coûtait pas plus de 4000 $ par an ! N’oublions pas qu’au milieu des années 1995, le budget annuel total des treize agences de renseignement atteignait 28 milliards de $ ; or les activités anti soviétises qui absorbaient 60% du budget de la CIA avaient perdu leur raison d’être. En 1993, ce chiffre a été réduit des trois quarts. Puis on est entré dans une période de ratés, qui sont allés jusqu’à ébranler la certitude des plus convaincus sur l’efficacité de la CIA. Le bombardement de l’ambassade chinoise à Belgrade en 1999 a été une belle erreur de cible : alors que l’ambassade avait changé plusieurs fois d’adresse, sa nouvelle domiciliation figurait bien dans les bases de données de la CIA, mais pas dans celles de l’armée, or c’est à la première que la responsabilité a été attribuée. En mai 1998, après quatorze ans d’interruption, l’Inde a repris ses essais atomiques, mais la CIA n’a rien vu venir, alors qu’un groupe de sikhs séparatistes, un peu débrouillards, établis au Canada, avaient repéré quelques jours avant le site d’où provenait des lancements du missile indien. L’identification des tendances à la prolifération nucléaire a été longtemps un des principaux objectifs des analystes de la CIA. On sait le rôle qu’elle dû jouer involontairement pour justifier l’invasion de l’Irak en mars 2003. Comme l’Agence n’a pas voulu céder aux pressions de la Maison-Blanche, celle-ci l’a contourné en recourant à d’autres sources plus malléables.

On notera, qu’en dehors des activés de la CIA en France en 1947-1948, la France n’est guère mentionnée dans ce livre et que le général de Gaulle, que l’on croyait avoir été une des cibles de la CIA n’est mentionné qu’une seule fois à l’occasion de son voyage aux États-Unis en 1960 bien avant la sortie de la France du commandement intégré de l’OTAN. Tous les fantômes dévoilés par l’auteur n’ont pas encore livré leurs secrets…

John Pradis, s’étend longuement sur les prisons secrètes, la torture et toutes les circonlocutions employées pour désigner ces pratiques « sites noirs », « détenus » et non « prisonniers », « empoignades « et non « passage à tabac, « placage au mur », « gifles »   point de noyades, mais des techniques d’interrogation renforcée… Il conclut que l’Agence ne recevra guère d’instructions de la part de la Maison-Blanche qui exigera en revanche d’elle des performances accrues. Cela impliquera d’empêcher ses agents de s’exprimer publiquement, de traquer tous les lanceurs d’alerte, de mieux contrôler la diffusion des secrets, de neutraliser les enquêtes d’où qu’elles viennent. Sur toutes ces questions, Gina Haspel, première femme à la tête de la CIA a choisi de garder le silence. Faut-il s’en étonner lorsque le président Trump et son secrétaire d’État Pompéo martèlent que l’Amérique doit faire face de tous côtés à un monde hostile ?

Histoire de la CIA de John Prados, éditions Perrin.

 

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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