La guerre économique en 10 livres

20 novembre 2014

Temps de lecture : 14 minutes
Photo : Vladimir Poutine avec Alexei Miller, PDG de Gazprom, en août 2017. SIPA, AP22085939_000002
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La guerre économique en 10 livres

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[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]Hors Série Nous sommes en guerre économique. Bonus. La guerre économique en dix livres, recensés par Thibaud Mardin.[/colored_box]

1 – Le monde change, la guerre aussi

[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]À propos de : Bernard Esambert, La Guerre économique mondiale, éditions Orban, 1991[/colored_box]

Bernard Esambert, La Guerre économique mondialePublié en 1991, alors que la guerre froide touchait à sa fin, le livre de Bernard Esambert, un polytechnicien qui fut notamment conseiller auprès du président Georges Pompidou, a joué un rôle important dans la diffusion de la notion de guerre économique, qu’il avait commencé à théoriser dans une série de publications et d’interventions publiques à partir des années 1970.

Prenant ouvertement le contrepied de la thèse de Francis Fukuyama (une « plaisanterie ») selon laquelle le triomphe du monde capitaliste serait synonyme de « fin de l’histoire », il y montrait que derrière l’alliance géopolitique qui réunissait l’Europe de l’Ouest, les États-Unis et le Japon, une véritable guerre économique conduisait inéluctablement ces trois pôles à s’affronter en vue de l’accaparement des ressources et de la conquête des marchés. Par ailleurs, il invitait à ne pas enterrer trop vite la Russie, dont le réveil n’était pas impossible, et à ne pas négliger le Tiers-monde qui, par son poids démographique et ses stocks de matières premières, constituait un acteur de choix de la guerre économique mondiale dont il annonçait l’avènement.

Selon Bernard Esambert, il était nécessaire de comprendre que le monde était entré depuis les années 1970 dans une nouvelle ère économique dont les règles étaient radicalement différentes de celles qui prévalaient auparavant. Depuis la fin des Trente Glorieuses en effet, les grandes puissances économiques qui s’étaient « fait la courte échelle » du temps où il s’agissait de reconstruire des pays dévastés par la Seconde Guerre mondiale (plan Marshall, aide au Japon), étaient désormais, crise oblige, entrées dans une tout autre logique qui les incitait plutôt à se faire « des croche-pieds ».

Dans des termes assez proches de ceux employés au même moment outre-Atlantique par Edward Luttwak, l’inventeur de la notion de « géoéconomie », Esambert affirmait donc que désormais, « la conquête des marchés et des technologies a pris la place des anciennes conquêtes territoriales et coloniales » et qu’en conséquence les armes ont désormais pour nom « innovation, productivité, taux d’épargne, consensus social et degré d’éducation » tandis que les défenses prennent la forme de « droits de douane, protections monétaires et entraves au commerce international ».

Mais plus qu’une simple étude d’histoire économique ou de géoéconomie, le livre de Bernard Esambert était clairement un appel à la mobilisation générale, destiné aux élites françaises victimes selon lui d’une naïveté et d’un aveuglement qui les empêchaient de saisir la réalité de l’affrontement économique auquel le pays était confronté.

Un cri d’alarme resté alors largement inaudible, car si l’ouvrage fut abondamment commenté, ce fut surtout pour en critiquer les thèses jugées par beaucoup outrancières. Ce n’est comme il se doit qu’a posteriori que l’apport de ce livre par certains aspects visionnaires a finalement été reconnu. Bien que parfois périmé sur le fond, l’ouvrage d’Esambert constitue donc un jalon théorique important dans l’émergence sur la scène publique française de la question de la guerre économique.
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2 – La guerre économique n’aura pas lieu

[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]À propos de : Paul Krugman, La Mondialisation n’est pas coupable. Vertus et limites du libre-échange, La Découverte, 1998[/colored_box]

Paul Krugman, La Mondialisation n’est pas coupable. Vertus et limites du libre-échangeCette réunion d’articles de l’économiste américain Paul Krugman, professeur au MIT et influent chroniqueur dans la presse anglo-saxonne, trouve son origine dans ce que l’auteur qualifie de « révélation de Little Rock ». Lors d’une conférence du patron d’Apple John Sculley tenue dans la capitale de l’Arkansas, il avait été frappé par le foisonnement des métaphores belliqueuses dans le discours de l’homme d’affaires qui n’hésitait pas à présenter sa firme sous les traits d’un combattant engagé dans une véritable « guerre économique ».

Tous les articles ici réunis sont consacrés à déconstruire cette notion de « guerre économique » qui lui semble inappropriée pour rendre compte de la réalité des relations économiques internationales. Selon Krugman, considérer que les États sont en guerre économique les uns vis-à-vis des autres est non seulement faux mais dangereux car, dans une économie mondialisée, c’est l’interdépendance qui prévaut : la prospérité des uns fait celle des autres, et aucun pays n’a donc intérêt à en affaiblir économiquement un autre : « Le commerce international ne pose pas un problème de concurrence, mais d’échanges. »

En conséquence, Krugman rejette l’application aux États de la notion, issue du monde de l’entreprise, de compétitivité. C’est selon lui à tort qu’on impute les difficultés économiques d’un pays à un prétendu manque de compétitivité car la recherche de gains de productivité n’est pas, comme on le laisse trop souvent entendre, la conséquence inéluctable de la mondialisation. Toute entreprise cherche par principe à en réaliser, mondialisation ou pas, et si on tend à parler de compétitivité à l’échelle d’un État, c’est pour mieux faire passer la pilule des conséquences sociales de ces gains de productivité en en rendant coupable la mondialisation qui constitue donc selon l’auteur un bien utile bouc émissaire.

Qui plus est, en parlant de compétitivité des États, on laisse entendre que, comme des entreprises, ceux-ci pourraient tout simplement disparaître ou être absorbés par un concurrent s’ils se faisaient distancer dans la compétition économique mondiale, ce qui ne s’est pourtant jamais vu (on pourrait, certes, discuter de l’impact de la déliquescence économique dans l’implosion de l’URSS).

Car s’il est pour une entreprise vital d’être compétitive sous peine de disparaître, il n’en va pas de même pour un État qui dispose de toute une panoplie d’instruments qui lui permettent de maintenir son dynamisme économique « même si sa productivité, sa technologie et la qualité de ses produits sont inférieures à celles des autres pays ». Ainsi des taux de change qui peuvent être manipulés pour recréer artificiellement de la compétitivité en faisant baisser le prix des produits d’un pays à l’exportation.

Lecture nécessaire en ce qu’elle soulève des débats de fond quant à la pertinence et aux présupposés du paradigme de la guerre économique, le livre de Krugman n’en montre pas moins certaines limites. Surtout si on le rapproche des prises de position plus récentes de son auteur, qui n’hésitait pas dans un article de 2010 à réclamer des sanctions contre la Chine qu’il accusait d’organiser une concurrence déloyale par le biais de manipulations monétaires. Qui a dit que la guerre économique n’existait pas ?
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3 – Guerre et paix entre les marchands

[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]À propos de : Dale C. Copeland, Economic Interdependence and War, Princeton University Press, 2014[/colored_box]

Dale C. Copeland, Economic Interdependence and WarDans ce livre fruit de plusieurs décennies de recherches, Dale C. Copeland, professeur à l’université de Virginie, part d’une question simple : l’interdépendance économique croissante entre les grandes puissances est-elle un facteur d’apaisement de leurs relations ou au accroît-elle au contraire les risques de frictions entre elles ? Une problématique qui s’inscrit dans le prolongement d’un précédent livre, paru en 2001, qui portait sur l’origine des grandes guerres.

Rejetant dos à dos l’analyse des libéraux pour qui le commerce est le meilleur ami de la paix, et celle des réalistes pour qui le caractère limité des ressources et des marchés pousse nécessairement les puissances économiques à l’affrontement, Copeland propose d’explorer une troisième voie.

En se basant sur l’histoire contemporaine, depuis les guerres napoléoniennes jusqu’à la guerre froide en passant par les guerres de l’opium ou la guerre de Crimée, il conclut que les décideurs politiques n’utilisent que rarement les bénéfices de la prospérité économique pour faire la guerre : quand l’économie va bien et que rien ne laisse penser que la conjoncture va changer, alors la tendance naturelle des grandes puissances est d’éviter à tout prix la guerre et ses incertitudes pour maintenir la prospérité dont ils jouissent. En revanche, quand l’horizon économique d’une puissance tend à s’obscurcir pour quelque raison que ce soit, alors la tentation est grande d’avoir recours à la force pour essayer d’obtenir par les armes ce qu’on n’a pas été capable de récolter par le commerce.

En clair, on ne ferait pas tant la guerre pour s’enrichir que par crainte de s’appauvrir, d’où l’importance accordée aux notions de peur et de pessimisme par Copeland. C’est parce qu’une puissance craint de se voir marginaliser qu’elle serait tentée de jouer son va-tout en ayant recours à la poudre. C’est en ce sens que ces guerres peuvent être qualifiées de « préventives », en ce qu’elles visent à éviter un déclassement perçu comme inéluctable.

Cette « théorie des espérances commerciales » (trade expectation theory) permettrait ainsi de déterminer la propension d’un pays à se montrer belliqueux ou non. Une théorie dont l’auteur tente finalement de montrer qu’elle permet de mieux comprendre l’évolution des relations sino-américaines au cours des dernières décennies. Si l’on pourra bien sûr discuter de la pertinence de l’hypothèse ici défendue par Copeland, il faut reconnaître que la grande force de son livre tient à ce qu’il repose sur une longue, précise et assez époustouflante étude historique qui lui confère de solides assises. Si ses conclusions sont géopolitiques, c’est donc d’abord à un grand livre d’histoire qu’on a ici affaire.
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4 – Pour l’intelligence économique

[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]À propos de : Christian Harbulot (dir.), Manuel d’intelligence économique, PUF, 2012[/colored_box]

Christian Harbulot (dir.), Manuel d’intelligence économiqueParue en 2012, cette somme pilotée par Christian Harbulot, directeur de l’École de guerre économique de Paris, s’est rapidement imposée comme une référence en matière d’intelligence économique. Il faut dire qu’elle est aussi le premier et aujourd’hui encore le seul ouvrage de synthèse paru sur le sujet en langue française. Et que loin de se contenter de proposer une synthèse de ce qui se fait à l’étranger dans ce domaine, elle entend présenter de ce champ disciplinaire encore en gestation une approche résolument originale. Plus qu’un manuel, c’est donc un véritable manifeste qui réunit les compétences des principaux acteurs de l’école française d’intelligence économique.

Introduit par le rapport Martre de 1992, la notion d’intelligence économique recouvre l’ensemble des activités liées à la collecte, au traitement et à l’exploitation des informations relatives à la compétition économique internationale. Elle repose sur le constat que le dogme de la « concurrence pure et parfaite », censée régir les relations économiques dans un système global désormais pleinement soumis au modèle libéral, relève de la fable. Car il existe de multiples moyens de distordre la concurrence pour l’orienter à son avantage et c’est précisément le rôle de l’intelligence économique que de repérer, de comprendre pour au final être en mesure d’exploiter ces outils que sont pêle-mêle le lobbying, l’espionnage industriel, la communication ou encore la réglementation.

Le manuel se structure en cinq temps. En premier lieu, sont analysés les ressorts de la « nouvelle mondialisation » : les bouleversements les plus récents de l’ordre mondial y sont décryptés afin de poser le contexte dans lequel s’inscrit l’intelligence économique, fait de rivalités entre les États pour l’appropriation des ressources, notamment alimentaires, mais également de guerres monétaires et de pratiques douanières parfois déloyales. La deuxième partie de l’ouvrage se penche sur des cas concrets et montre comment États et entreprises sont engagés dans une véritable « bataille géoéconomique » et éclaire les stratégies à mettre en œuvre pour espérer en sortir vainqueur. La troisième partie, centrée sur la notion de « connaissances » montre comment celles-ci sont indispensables à la conquête et à la conservation des marchés. Enfin, les deux dernières parties forment une dialectique autour des notions de défense (contre les menaces géoéconomiques, au premier rang desquelles l’espionnage) et d’offensive. Cette dernière, dans le contexte de la guerre économique, relève avant tout du soft power, c’est-à-dire de la capacité à influencer et à inciter pour arriver à ses fins, plutôt que d’avoir à recourir à la contrainte.

L’une des forces qui a fait le succès de ce manuel tient à sa capacité à mêler intimement le théorique au pratique. Ce qui lui permet, tout en proposant des synthèses d’ensemble particulièrement éclairantes, de ne jamais tomber dans un discours abstrait ou abscons et déconnecté des réalités. De nombreuses études de cas sont en effet proposées qui permettent de voir concrètement à l’œuvre les grilles d’analyse proposées par les auteurs. Et de se convaincre de leur pertinence.
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5 – Matière première

[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]À propos de : Bernadette Mérenne-Schoumaker, Atlas mondial des matières premières. Des ressources stratégiques, Autrement, 2013[/colored_box]

Bernadette Mérenne-Schoumaker, Atlas mondial des matières premières. Des ressources stratégiquesLes matières premières ont de longue date joué un rôle géopolitique crucial : le poivre et les épices ont ainsi permis le triomphe vénitien, l’or du nouveau monde celui de Charles Quint, le pétrole celui des Saoud. Si le constat demeure pertinent aujourd’hui, il doit cependant être amendé car si, pendant longtemps, les rivalités de puissances se faisaient d’abord autour du contrôle de l’approvisionnement en matières premières, c’est aujourd’hui leur répartition qui devient également problématique et donc, potentiellement, conflictuelle. Dans un monde toujours plus peuplé, toujours plus développé, et toujours plus consumériste, comment garantir un approvisionnement continu en matières premières ?

C’est tout l’enjeu que permet d’aborder, avec la qualité graphique qu’on connaît à la collection dans laquelle il s’insère, cet atlas Autrement consacré aux matières premières. Outre les « classiques » que constituent le pétrole, les pierres et les métaux précieux, ou encore le charbon, l’ouvrage se penche également sur des matières moins médiatisées mais tout autant concernées par les rivalités géopolitiques que sont les métaux rares ou le bois. Tout un chapitre est également consacré aux matières premières alimentaires qui ont longtemps nourri l’inquiétude des malthusiens, bien que leur caractère renouvelable les rendent pourtant a priori moins sujettes aux tensions que d’autres types de ressources.

La force de cet atlas tient à ce qu’il ne se contente pas de proposer un état des lieux des différents marchés de matières premières. Il réfléchit également à leur impact géoéconomique (s’interrogeant par exemple sur une éventuelle « malédiction » des matières premières pour les pays qui vivent de leur exploitation), géoenvironnemental (la question du développement durable) et enfin géopolitique. Toute la dernière partie de l’ouvrage est ainsi consacrée à des études de cas dédiées à quelques-uns des acteurs du grand jeu mondialisé des matières premières : les États-Unis et leur quête d’indépendance, la Chine et son souci de sécurisation de ses approvisionnements, la Russie et ses difficultés à se diversifier, ou encore le Brésil qui a su habilement tirer profit de son potentiel naturel exceptionnel.
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6 – De la guerre économique à la guerre contre l’économie

[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]À propos de : Ali Laïdi, Aux sources de la guerre économique : fondements historiques et philosophiques, Armand Colin, 2012[/colored_box]

Ali Laïdi, Aux sources de la guerre économique : fondements historiques et philosophiquesAuteur en 2010 d’un essai sur Les États en guerre économique (Éditions du Seuil), Ali Laïdi, chercheur à l’IRIS, se propose dans cet ouvrage paru en 2012 de revenir sur les origines du concept, mais aussi de la réalité, de la guerre économique. Selon la définition très (trop ?) large qu’il adopte, on peut parler de guerre économique dès lors qu’un acteur (entreprise, État ou ONG) use de méthodes déloyales ou illégales pour parvenir à ses fins : « subventions déguisées, espionnage industriel, guerre de l’information, infiltration chez les concurrents et dans les ONG, recours aux services de sécurité et de renseignement, mise sur écoute des délégations commerciales, manipulation des monnaies, évasions fiscales » en seraient autant de manifestations. Autant dire que pour lui la guerre économique se définit par des méthodes et que l’étudiant qui triche à un examen pourrait être accusé de « guerre économique ».

Mais loin de se concentrer sur l’actualité du concept de guerre économique dont il constate qu’il est à présent dans « toutes les bouches », Ali Laïdi consacre une large partie de son ouvrage à retracer la généalogie concrète et intellectuelle de cette réalité dont il retrouve les prémices jusque chez les Phéniciens. Il montre cependant que si la guerre économique a toujours existé, elle n’a été que tardivement prise en compte par les analystes de tous bords. Ainsi des libéraux, pourtant attentifs aux problématiques liées au commerce international, mais qui n’ont vu en lui qu’un « doux commerce » censé pacifier les échanges internationaux.

Tout en insistant sur la réalité de la guerre économique, Ali Laïdi n’y voit cependant pas une fatalité mais bien plutôt le produit d’une dérive néolibérale qui pousse chacun à se penser et donc à agir égoïstement comme un « guerrier économique » : « Elle révèle la démence d’un système qui érige l’homme en individu rationnel, égoïste et calculateur. » Pour éviter la réalisation de la prophétie hobbesienne selon laquelle l’homme serait condamné à être « un loup pour l’homme », l’auteur en appelle donc à l’élaboration d’un « système économique moins conflictuel » ce qui suppose que l’économie cesse « de vouloir dominer tous les aspects de notre vie et régir toutes les relations humaines sur la seule base marchande ». Où l’on constate qu’une petite dose d’utopie ne fait de mal qu’à ceux qui y croient.
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7 – Qui tient la loi tient le monde

[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]À propos de : Antoine Garapon et Pierre Servan-Schreiber (dir.), Deals de justice. Le marché américain de l’obéissance mondialisée, PUF, 2013[/colored_box]

Antoine Garapon et Pierre Servan-Schreiber (dir.), Deals de justice. Le marché américain de l’obéissance mondialiséeLa récente affaire BNP, qui a vu la première banque française condamnée à payer au Trésor américain une amende de près de 9 milliards de dollars, l’a encore illustré récemment : du fait de leur centralité dans le système économique mondial, les États-Unis sont en mesure d’imposer aux entreprises du monde entier leurs règles du jeu. Loin de relever de l’exercice d’une justice traditionnelle, il s’agit en fait d’un véritable chantage destiné à pousser des entreprises à s’acquitter de plein gré de lourdes amendes pour échapper à un procès aux conséquences potentiellement plus désastreuses encore.

Ces « deals de justice » analysés par un collectif de juristes français réunis par Antoine Garapon et Pierre Servan-Schreiber posent in fine le problème de l’hégémonie économique et normative : alors que les États-Unis se sont offusqués à juste titre ces dernières années de l’existence d’acteurs économiques intouchables car « too big to fail » (trop gros pour s’effondrer), on constate qu’ils n’hésitent cependant pas à user de leur propre suprématie pour imposer des choix parfois contestables aux acteurs économiques contraints de se plier aux oukases de Washington pour rester présents sur un marché trop crucial pour être abandonné.

Pour plus de précisions, voir la recension de Pascal Gauchon dans le numéro 1 de Conflits.
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8 – Le retour des conflits

[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]À propos de : Jean Hervé Lorenzi et Mickaël Berrebi, Un monde de violences, Eyrolles, 2014[/colored_box]

Jean Hervé Lorenzi et Mickaël Berrebi, Un monde de violencesDans ce livre de prospective, Hervé Lorenzi pointe les principaux défis économiques qui lui font présager que les prochaines décennies seront marquées par le conflit.

Outre des contraintes déjà anciennes mais dont l’intensité ne cesse de croître (explosion des inégalités, délocalisation, financiarisation à outrance), il en repère trois autres plus inédites mais non moins inquiétantes que sont le vieillissement de la population, la panne du progrès technique et la raréfaction de l’épargne.

Une lecture pour prévoir et, qui sait, éviter, la « grande crise du xxie siècle » annoncée par l’auteur.

Pour plus de précisions, voir la recension de Pascal Gauchon dans le numéro 3 de Conflits.
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9 – L’État VRP

[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]À propos de : Laurence Badel, Diplomatie et grands contrats. L’État français et les marchés extérieurs au xxe siècle, Publications de la Sorbonne, 2010[/colored_box]

Laurence Badel, Diplomatie et grands contrats. L’État français et les marchés extérieurs au xxe siècleS’il est de bon ton chez les spécialistes de la guerre économique d’accuser la France et ses dirigeants d’avoir longtemps fait preuve de naïveté à l’égard de la réalité et de l’ampleur des conflits économiques, l’étude de Laurence Badel vient cependant montrer que l’État n’a pas attendu la fin des Trente Glorieuses pour se soucier de soutenir les grandes entreprises nationales dans la conquête de nouveaux marchés.

Dès les années 1920, la « diplomatie économique », aujourd’hui présentée comme une grande nouveauté par Laurent Fabius, est d’actualité et les diplomates invités à vanter les mérites de l’industrie française de par le monde. Le Quai d’Orsay n’hésite pas non plus à partager avec l’état-major des grands groupes français les informations sensibles dont ils disposent et qui sont susceptibles de leur être utiles.

Une stratégie qui atteint son apogée aux grandes heures du gaullisme triomphant et de sa politique des « grands contrats ». Alors que les élites économiques et politiques deviennent de plus en plus consanguines, l’État français se transforme en un « État vendeur » au service de ses « champions nationaux » dont les cadres passent régulièrement du public au privé. Une posture qui n’est pas sans susciter parfois des difficultés quand les impératifs économiques en viennent à s’opposer aux postures politiques comme l’a encore récemment illustré l’affaire de la vente de navires Mistral à la Russie.
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10 – Quand le dollar gagne la guerre monétaire

[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]À propos de : Benn Steil, The Battle of Bretton Woods : John Maynard Keynes, Harry Dexter White, and the Making of a New World Order, Princeton University Press, 2013[/colored_box]

Benn Steil, The Battle of Bretton Woods : John Maynard Keynes, Harry Dexter White, and the Making of a New World OrderCrise oblige, les appels à un « nouveau Bretton Woods » se sont multipliés ces dernières années. Mais que sait-on au juste des négociations qui se tinrent en juillet 1944 dans cette bourgade du New Hampshire ? Pas grand-chose à en croire l’économiste Benn Steil qui a donc entrepris d’en renouveler l’histoire dans un ouvrage encensé par la presse américaine depuis sa parution en 2013, récoltant pas moins d’une quinzaine de distinctions… et suscitant aussi son lot de polémiques.

Il faut dire que le livre de Benn Steil renverse bien des idées reçues à propos de cette conférence au cours de laquelle Britanniques et Américains, représentés respectivement par J.M. Keynes et H.D. White, ont dessiné les contours de l’ordre économique dans lequel nous vivons encore largement : suprématie du dollar, FMI, BIRD (ancêtre de la Banque mondiale). Mais là où on avait traditionnellement tendance à voir dans Bretton Woods le symbole d’une collusion américano-britannique en vue de pérenniser les intérêts économiques communs de ces deux puissances, Steil dépeint les débats sous les traits d’un bras de fer entre les deux alliés. Bras de fer aboutissant à une « apocalypse économique » ayant permis aux États-Unis de marginaliser définitivement le Royaume-Uni.

Selon lui, ce sont deux visions du monde qui s’affrontent à Bretton Woods : celle des Britanniques, représentés par Keynes, encore confiants dans leur capacité à maintenir leur domination impériale, et celle des États-Unis, représentés par White, qui entendent prendre définitivement le dessus sur leur allié. Cette thèse, qui fait la force de l’ouvrage, est aussi sa faiblesse : sous la plume de Steil, la conférence qui a pourtant réuni plus de 700 délégués venus d’une quarantaine de pays, se réduit à un bras de fer entre deux hommes.

Mais la partie la plus polémique de l’ouvrage, qui n’est pas la moins intéressante, est celle relative au négociateur américain Harry Dexter White. Si l’on savait de longue date que le secrétaire du Trésor américain avait entretenu des liens étroits avec l’URSS, qui lui valurent une audition à la Chambre en 1948, Steil va plus loin et n’hésite pas à affirmer qu’il était un espion à la solde de Moscou. Ce qui n’est pas sans éclairer d’un jour nouveau sa gestion des négociations de Bretton Woods.

Thibaut Mardin

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