La solde des militaires : le prix du sang

19 janvier 2023

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Photo : Revue des troupes du 126e RI par le Général Schill (actuel CEMAT) commandant alors la 9e BIMa
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La solde des militaires : le prix du sang

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Solde et salaire sont deux choses différentes. Si les militaires perçoivent une solde, c’est pour payer le prix du sang, différenciant leurs activités des autres activités rémunérées.

Les militaires (incluant les gendarmes) ne perçoivent pas un salaire mais une solde. Si le salaire est le prix du travail, depuis Napoléon la solde est le prix du sang.

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Un léger malentendu… 

Un militaire perçoit une solde non pour produire un bien ou rendre un service marchand, mais pour se préparer à défendre la Nation, y compris par la violence et au péril de sa vie, en obéissant aux ordres donnés par ses représentants légitimes.

Légalement, un militaire n’a pas d’horaires de travail (dans la pratique quotidienne, des horaires ont été calqués sur ceux du monde civil). Un chef militaire peut ordonner jour et nuit, 365 jours par an, des actions dangereuses pour la vie de ses subordonnés (et pour la sienne) dans le cadre de la mission qui lui est confiée.

En revanche, un chef d’entreprise peut aller en prison s’il met sciemment en danger la vie de ses salariés.

Des élèves-officiers britanniques avaient été interrogés pour savoir, selon eux, quel métier civil se rapprocherait le plus de leur future situation de chef militaire. Beaucoup ont répondu : « chef d’entreprise »…

Un chef militaire n’est pas un chef d’entreprise !

D’abord, un chef d’entreprise doit gagner l’argent, ou l’emprunter, pour investir, payer les salaires et, éventuellement, engranger des bénéfices. Le militaire, lui, ne fera jamais fortune mais il est régulièrement payé par l’Etat, et il n’achète pas le matériel qu’il utilise.

Ensuite, les militaires ont le pouvoir, et même parfois le devoir, de tuer au nom de la Nation qui l’ordonne en lui confiant une mission. Ils ne sont pas seulement des gestionnaires de moyens alloués par la Nation ou des « managers » de leurs subordonnés.

La communication des armées a elle-même contribué à rendre ambigüe cette perception de « l’état militaire ». Des campagnes de recrutement ont été centrées sur le monde civil (apprendre un métier, se consacrer à des actions humanitaires, faire du sport,…). Elles étaient certes utiles pour recruter massivement, mais ces « publicités » étaient en décalage avec les rudes réalités des opérations extérieures.

La préparation au combat n’est pas seulement un apprentissage technique, ni un simple entraînement sportif pour se former physiquement et mentalement, c’est surtout un engagement personnel jusqu’au « sacrifice suprême » au service de son pays et de la défense de ses valeurs (démocratie, liberté,…).

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Les militaires sont destinés au combat

Et le combat sort du monde ordinaire, il est « extraordinaire » au sens littéral. Il porte ses propres règles, différentes de celles qui régissent l’état de paix. Il bouleverse les circonstances habituelles, les perceptions, les réactions et, in fine, l’être même.

Au combat, il faut faire face à l’horreur et surmonter la peur. La proximité avec le danger et la mort agit comme un révélateur. Des hommes et des femmes ordinaires ont soudain des comportements extraordinaires pour défendre des intérêts aux contours parfois flous. Ils acceptent des efforts « hors normes » pour affronter collectivement une réalité violente loin du monde individualiste et hédoniste habituel.

Les militaires répondent aussi à des impératifs personnels : la soif de découverte, l’envie d’aventure, d’action, de se dépasser, le rejet d’une société aseptisée, et le besoin d’être intégré dans un groupe humain rendu solidaire par des épreuves partagées.

C’est souvent principalement pour ces raisons qu’ils acceptent de s’engager dans des combats difficiles, avec des moyens parfois rustiques, et de souffrir en silence.

Les médias communiquent volontiers sur un mode compassionnel et sont promptes à dénigrer l’Armée si un soldat se conduit mal, mais ils « oublient » parfois (souvent ?) d’honorer ces nombreux jeunes Français qui incarnent aussi des vertus de calme, d’effort, de volonté, et de courage.

Le soldat de la Paix

L’ère sympathique, mais quelque peu utopique, du « soldat de la paix » est maintenant dépassée.

Certes, il œuvre pour la paix mais sous la pression des évolutions géopolitiques, le mot guerre n’est plus tabou. La population française redécouvre que des crises et des guerres existent toujours partout dans le monde, provoquant des ruines, des blessés et des morts.

Paradoxalement, malgré cette prise de conscience, les moyens militaires de la France en hommes et en matériels ont diminué ces dernières années. Nos responsables politiques, parfois aveuglés par notre « supériorité technologique », parfois virtuelle, imaginent que les conflits vont s’apaiser d’eux-mêmes, comme par miracle.

Un pays qui oublie la finalité de ses armées et les réalités du combat est condamné à se perdre. Certains espèrent que « d’autres », parfois méprisés, iront spontanément s’exposer à leur place pour faire face au danger lorsqu’il surgira. Mais combien « d’enfants de la Patrie » accepteront avec entrain de se lever et de mettre leur vie en péril, sans y être préparés, quand nos intérêts et nos libertés seront menacés ?

Négliger les valeurs du combattant face à des adversaires de la démocratie qui exaltent à l’extrême des valeurs guerrières sur fond d’idéologie (religieuse ou non) crée un décalage dangereux. « Contre nous (les démocrates), l’étendard sanglant de la tyrannie est levé ».

Dans un monde qui n’a jamais cessé d’être turbulent, voire violent, les critères de discipline, d’abnégation et de dévouement font la force du militaire. Ces valeurs constituent un modèle de plus en plus prisé par une société, notamment des jeunes, en quête de repères.

L’Etat verse une solde aux militaires pour accepter sur ordre de verser leur sang, et aussi pour assumer le sacrifice ultime des autres, pour la défense des intérêts de la Nation.

Sur les canons du roi Louis XIV était gravée la locution latine « Ultima ratio regum » : le dernier argument du roi. 

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À propos de l’auteur
Michel Gay

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