Présidence de la Banque Africaine de Développement : vers un président francophone en 2025 ?

7 novembre 2024

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Présidence de la Banque Africaine de Développement : vers un président francophone en 2025 ?

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Plusieurs candidats sont en lice pour la présidence de la Banque africaine de développement (BAD). Sidi Ould Tah, le président de la Mauritanie, apparait comme l’un des favoris. 

 Le 29 mai 2025, la Banque Africaine de Développement (BAD) désignera son nouveau président. Institution clé du financement du développement en Afrique, la BAD, qui rassemble 54 États africains et 27 pays non africains, pèse lourd dans la structuration économique du continent, qu’il s’agisse d’infrastructures, d’énergie ou d’industrialisation. Son prochain dirigeant aura donc les coudées franches pour infléchir les priorités stratégiques de l’institution. Un choix d’autant plus crucial que les actionnaires non africains, qui détiennent 40 % des droits de vote, restent les véritables arbitres du scrutin.

Après dix ans de leadership anglophone avec le Nigérian Akinwumi Adesina, la question d’un retour d’un président francophone se pose avec de plus en plus d’insistance. Cette élection pourrait bien marquer un tournant linguistique, tant plusieurs pays francophones souhaitent rééquilibrer le rapport de force au sein de l’institution.

Si la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe) s’active pour placer un candidat anglophone, les francophones semblent aussi présents cette fois-ci. Une recomposition qui pourrait profiter à un profil capable de fédérer plusieurs zones d’influence.

Longtemps considérée comme une bataille ouverte, la course prend peu à peu une tournure plus claire ces derniers mois. Le Mauritanien Sidi Ould Tah, qui avance ses pions discrètement, mais efficacement, gagne du terrain face à des adversaires aussi bien anglophones que francophones. Reste à savoir si cette dynamique tiendra jusqu’au vote final.

Sidi Ould Tah, le favori

Dans la bataille pour la présidence de la BAD, Nouakchott ne laisse rien au hasard. Aux commandes de la Banque Arabe pour le Développement Économique en Afrique (BADEA) depuis 2015, Sidi Ould Tah bénéficie d’une assise institutionnelle et financière qui en fait un candidat sérieux. Ancien ministre des Affaires économiques et du Développement de la Mauritanie (2008-2015), ce technocrate a navigué dans les cercles les plus influents de la finance africaine, et siégé en tant que gouverneur de la Mauritanie à la BAD et à la Banque mondiale.

À la tête de la BADEA depuis 2015, il a redimensionné l’institution, en multipliant son capital par cinq (de 4,2 à 20 milliards de dollars), amélioré et lancé en 2024 un premier eurobond de 500 millions de dollars, un tournant qui a renforcé sa crédibilité auprès des investisseurs. Son profil, qui allie technocratie et expertise financière, séduit des États soucieux de diversifier les ressources de la BAD, notamment dans un contexte où l’accès au financement devient un enjeu majeur.

Mais c’est surtout sur le terrain diplomatique que Sidi Ould Tah marque des points. Son bilinguisme (français-anglais) et sa maîtrise de l’arabe en font une figure consensuelle capable de naviguer entre les différentes sphères d’influence. Derrière lui, la machine diplomatique mauritanienne s’active sans relâche, sous l’impulsion du président Mohamed Ould Ghazouani, qui veut capitaliser sur son mandat récent à la tête de l’Union Africaine pour affirmer l’ancrage de la Mauritanie au sein des grandes institutions africaines.

Chef d’orchestre de cette offensive, le ministre mauritanien de l’Économie et des Finances, Sid’ Ahmed Ould Bouh, multiplie les déplacements pour arrimer des soutiens. À Abidjan, le soutien d’Alassane Ouattara semble déjà scellé, ce qui pourrait entraîner avec lui une partie de l’UEMOA. Le président ivoirien, dont l’influence sur les questions économiques régionales est indéniable, pourrait peser en faveur du Mauritanien auprès d’autres chefs d’État de la sous-région.

Dans le même temps, Sidi Ould Tah consolide ses relais au sein de la BOAD qu’il a fortement soutenu dans le cadre de son opération d’augmentation de capital, en injectant pas moins de 400 millions $ directement et indirectement dans l’opération. Serge Ekué, patron de l’institution et très proche du ministre béninois des Finances Romuald Wadagni, joue les facilitateurs. Le président de la BOAD avait d’ailleurs introduit Sidi Ould Tah auprès de Faure Gnassingbé il y a quelques mois.

Si la dynamique francophone semble lui être favorable, le Nigeria reste une pièce maîtresse de l’échiquier. Jusqu’ici, Bola Tinubu n’a pas officiellement désigné de candidat, mais selon plusieurs sources, la visite récente de Sid’ Ahmed Ould Bouh aurait permis d’établir des passerelles entre Abuja et Nouakchott. Le président nigérian, qui hésite encore, aurait toutefois inscrit le nom du Mauritanien, réputé déjà comme candidat de l’Afrique du Nord, parmi les options sérieuses.

Sur le front européen, la Mauritanie tente également de consolider ses arrières. L’Italie fait partie des pays approchés, tandis qu’en France, les relations entre Nouakchott et Paris restent solides, ce qui pourrait jouer en faveur de Sidi Ould Tah auprès de certains actionnaires influents de la BAD.

Si son quadrillage africain se renforce, un obstacle de taille demeure : les États-Unis. Washington, qui détient 6,5 % des droits de vote, n’a pas encore affiché de préférence et pourrait favoriser un candidat issu des milieux financiers anglo-saxons, à l’image du Zambien Samuel Munzele Maimbo, actuellement vice-président de la Banque mondiale.

Son style réservé, loin de l’omniprésence médiatique et du sens du spectacle d’Akinwumi Adesina – toujours en costume rayé et nœud papillon soigneusement ajusté – aussi interroge. Là où le président sortant a imposé son empreinte par une communication agressive et un lobbying constant auprès des actionnaires, Sidi Ould Tah privilégie la diplomatie feutrée et les tractations discrètes. Un contraste qui laisse certains sceptiques quant à sa capacité à peser politiquement dans une institution où l’influence et la visibilité comptent autant que la rigueur technocratique.

Samuel Munzele Maimbo, le candidat de la Banque mondiale

Originaire de Zambie, Samuel Munzele Maimbo incarne le profil du technocrate international. Vice-président de la Banque mondiale chargé du budget, de la planification et de la performance, il a gravi les échelons de l’institution où il a travaillé pendant près de 30 ans. Spécialiste du financement du développement, il a notamment supervisé plusieurs initiatives de mobilisation de ressources pour l’Association Internationale de Développement (IDA), qui finance de nombreux projets en Afrique.

Son atout principal est son expérience dans les institutions financières internationales et sa proximité avec les milieux financiers anglo-saxons, qui le positionnent comme un candidat sérieux auprès des grands actionnaires non africains. Toutefois, il souffre d’un ancrage limité sur le continent africain, ayant passé l’essentiel de sa carrière en dehors des institutions africaines. Sa maîtrise limitée du français pourrait également le désavantager dans un scrutin où le bloc francophone veut jouer les premiers rôles après 10 ans de règne d’Akinwumi Adesina. De plus, la SADC dont il avait le soutien est plus que jamais divisé, avec la candidature de la Sud-Africaine Bajabulile Swazi Tshabalala, ex-Vice-présidente de la BAD.

Amadou Hott, un profil entre finance et politique

L’ancien ministre de l’Économie du Sénégal, Amadou Hott, figure parmi les candidats les plus en vue dans cette course. Ancien vice-président de la BAD, il a également occupé des postes de direction dans le secteur financier, notamment chez UBA Capital et Millennium Finance Corporation.

Avec un réseau bien implanté en Afrique de l’Ouest, il pouvait compter sur certains poids lourds de la CEDEAO, notamment le Nigeria, puisqu’il est proche d’Akinwumi Adesina, le président sortant. Mais son passage au gouvernement sénégalais de Macky Sall a laissé des traces : le bilan de Macky Sall sur l’endettement du pays suscite des critiques, tout comme certaines controverses autour de l’attribution de marchés publics. S’il s’en défend, certains observateurs estiment que son absence des discussions officielles tient moins au hasard qu’à une stratégie bien rodée. Les autorités sénégalaises, avec lesquelles il a renforcé ses liens et qui ont discrètement validé sa candidature, auraient choisi de ne pas l’exposer trop tôt afin d’éviter de fragiliser son positionnement.

Si Amadou Hott peut compter sur des appuis influents dans le secteur privé, il devra toutefois rassurer les États les plus prudents quant à son indépendance et sa capacité à impulser une nouvelle direction à la BAD. Il lui faudra aussi composer avec une CEDEAO fracturée, alors qu’Alassane Ouattara a discrètement rallié le camp de Sidi Ould Tah et qu’Abuja, semble pencher dans la même direction.

Autre défi : son ancrage dans le système Adesina, dont il est considéré comme un proche. Or, le bilan du président sortant de la BAD, bien que globalement défendu, n’échappe pas aux critiques, notamment sur la gouvernance interne et certaines orientations stratégiques. Nommé envoyé spécial pour l’Alliance pour l’infrastructure verte en Afrique (AGIA) depuis décembre 2022, il tente de se positionner comme l’héritier naturel de la dynamique Adesina, une carte qui pourrait séduire certains électeurs… mais en rebuter d’autres.

Mahamat Abbas Tolli, un candidat affaibli par les divisions de la CEMAC

Ancien gouverneur de la BEAC et ex-ministre des Finances du Tchad, Mahamat Abbas Tolli joue la carte de l’Afrique centrale dans la course à la présidence de la BAD. Connu pour ses réformes financières menées avec le soutien du FMI et de la Banque mondiale, il peine néanmoins à rassembler un bloc cohérent derrière sa candidature.

Le manque d’unité au sein de la CEMAC pèse lourd sur ses ambitions. Alors que cette région aurait pu s’imposer comme un front uni, les lignes bougent. Le Gabon a officiellement choisi d’appuyer Amadou Hott, tandis qu’au Congo-Brazzaville, c’est Sidi Ould Tah qui semble avoir pris l’avantage. Il y a quelques jours, le ministre mauritanien de l’Économie et des Finances, accompagné de son candidat, était reçu par Denis Sassou Nguesso. D’après des sources proches du dossier, le président congolais aurait donné son feu vert au Mauritanien.

Autre point noir pour Tolli : son bilan à la tête de la BEAC. Ses décisions en matière de politique de change, ainsi que ses tensions avec la Guinée équatoriale, le Cameroun et surtout le Gabon, ont laissé des traces. À quelques mois du scrutin, sa candidature apparaît de plus en plus fragilisée, et certains évoquent même la possibilité d’un désistement.

Bajabulile Swazi Tshabalala, l’expérience interne à la BAD

L’ancienne vice-présidente principale de la BAD, Bajabulile Swazi Tshabalala, aurait pu incarner la continuité, un rôle désormais dévolu, selon certaines indiscrétions, à Amadou Hott. Elle se serait brouillée avec son patron, Akinwumi Adesina. Ex-directrice financière de Transnet et cadre dirigeante de Standard Bank en Afrique du Sud, elle a rejoint la BAD en 2018, avant d’en devenir vice-présidente principale en 2021.

Son principal atout reste sa maîtrise des rouages internes de la BAD et sa capacité à séduire les grands actionnaires internationaux, notamment en Afrique australe et en Amérique du Nord. Toutefois, elle peut tirer un trait sur le soutien américain : les relations entre Pretoria et Washington se sont distendues sous l’ère Trump, et la dynamique ne semble pas s’être améliorée depuis.

De plus, sa candidature divise au sein de la SADC, où certains États préféreraient soutenir Samuel Munzele Maimbo, considéré comme le candidat légitime de la région.

Présidence de la BAD : le jeu des alliances s’intensifie

À ce stade, aucun candidat ne semble en mesure de l’emporter dès le premier tour, ouvrant ainsi la voie à des alliances de dernière minute. Sidi Ould Tah, qui consolide progressivement ses soutiens, bénéficie d’un contexte favorable à un retour d’un président francophone, tandis que Samuel Munzele Maimbo reste un sérieux prétendant grâce à son ancrage international. Amadou Hott, de son côté, mène une campagne offensive, en multipliant les apparitions dans les médias et événements, avec pour objectif d’élargir sa base de soutien. Bajabulile Swazi Tshabalala n’a pas encore dit son dernier mot et reste en embuscade. La Sud-africaine mise sur son expérience au sein de la BAD pour rallier de nouveaux appuis.

Le véritable enjeu des prochaines semaines sera le positionnement des pays encore indécis et des actionnaires non africains. La France, les États-Unis, l’Allemagne et la Chine n’ont pas encore officiellement exprimé de préférence, mais leur poids dans le vote final sera déterminant pour départager les candidats.

D’ici mai 2025, la campagne devrait encore connaître de nombreux rebondissements, entre tractations diplomatiques et manœuvres en coulisses.

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À propos de l’auteur
Helena Voulkovski

Helena Voulkovski

Helena Voulkovski travaille sur les risques pays pour un cabinet international d’assurances.

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