En cette fin mars 2025, l’heure est à la francophonie ; dans un contexte plutôt morose, il est bon d’en découvrir aussi les atouts. Alain Redslob, Président de l’Association Internationale des Économistes de Langue Française nous dit toute l’importance de son action.
Entretien avec Alain Redslob, Professeur émérite à l’université Panthéon-Assas. Propos recueillis par Johan Rivalland
Vous êtes l’actuel président de l’AIELF. Pouvez-vous nous présenter en quelques mots cette association et ses finalités ? Depuis quand existe-telle ?
L’AIELF est une association à caractère scientifique qui a pour objet de réunir les chercheurs en économie, en gestion et dans des disciplines connexes. Ils résident dans des dizaines de pays différents, disposent de statuts liés souvent à leur âge, et accomplissent leurs investigations dans des domaines très variés. Elle œuvre dans le but de permettre la plus large diffusion des idées sur les thématiques étudiées par ses membres, économistes comme gestionnaires, sans restriction de champ ni de couverture géographique.
Elle s’évertue, avant tout, à promouvoir la culture économique francophone. Aussi ses activités consistent-elles à organiser diverses manifestations scientifiques et à favoriser une recherche économique en langue française de qualité, en publiant ouvrages et articles, entre autres.
La création de l’AIELF qui se dénommait jadis Congrès International des Économistes de Langue Française remonte à 1926. Elle compte donc parmi les sociétés savantes les plus anciennes du monde francophone.
L’AIELF organise des congrès bisannuels. Quels en sont les thèmes de prédilection ?
Les treize derniers Congrès ont été organisés à Varsovie (Pologne), Aix-en-Provence (France), Athènes (Grèce), Montréal (Canada), Marrakech (Maroc) et Porto-Evora (Portugal), Targoviste (Roumanie), Valladolid (Espagne), Paris (France), Poznań (Pologne), Santiago (Chili), Beyrouth (Liban), Sofia (Bulgarie).
Je ne sais s’il faut faire état de thèmes de prédilection, car, en vérité, il n’y en a pas. Au risque de me répéter, les centres d’intérêt restent très éclectiques. Usuellement, le Bureau de l’Association veille à proposer aux Congressistes des sujets de réflexion au plus près des préoccupations du moment. Pour être plus concis, permettez que je livre à vos lecteurs à titre d’exemples les thèmes qui ont été abordés depuis que je suis en charge de sa présidence :
- Croissance, population et protection sociale : faits et théories face aux enjeux.
- Les enjeux du développement économique, financier et écologique dans une mondialisation risquée.
- Pour une recherche économique efficace.
- Monnaies, finances, développements.
- Faits et théories face à l’instabilité en économie et en gestion.
- États et entreprises dans un monde en évolution.
Votre association défend des valeurs de liberté. Pouvez-vous dire lesquelles ? En quoi sont-elles compatibles avec l’esprit du libéralisme ?
Une des premières libertés, et peut-être la toute première sur le plan économique comme dans la vie, est celle de pouvoir s’exprimer. En cela, l’AIELF s’est toujours ingéniée à respecter la diversité des points de vue. Car la richesse d’une production scientifique naît de la confrontation des idées, non de leur alignement.
En conséquence, les libertés de dire, d’écrire et de débattre, pour peu qu’elles soient étayées et non farfelues, sont à notre sens fondamentales. Autrement dit, l’Association n’est pas une assemblée d’économistes adonnés à un dogme, mais de chercheurs convaincus que l’unicité de la vérité est utopique ; elle découle au contraire d’une diversité d’opinions qui vise à la faire émerger, au moins en partie. En cela, elle est ouverte, donc foncièrement libérale dans son approche. Mais, bien entendu, en son sein, il y a des économistes à la sensibilité libérale avérée.
En quoi l’AIELF entend-elle participer aux débats sur les perspectives économiques futures dans le monde francophone ? Quelle place désire-t-elle y occuper ?
Comme vous l’avez aimablement souligné, se tiennent sous son égide des congrès bisannuels qui, par essence, favorisent exposés et échanges, tantôt en séances plénières, tantôt en commissions spécialisées. Sur avis d’un comité scientifique d’audience internationale, les travaux qui en dérivent sont publiés dans des Actes sous forme d’un livre édité par l’institution hôtesse. Ils peuvent l’être aussi dans la Revue Internationale des Économistes de Langue Française (RIELF), instituée dès 2016.
D’une périodicité semestrielle et en accès libre sur la Toile, cette dernière s’interroge sur les grandes thématiques qui agitent le monde, en particulier francophone. Par ailleurs, vous aurez également noté que le Congrès a lieu dans des pays riches, émergents ou en retard, de sorte qu’un « balayage géographique » des problématiques inhérentes opère.
L’Association, grâce à la tenue de ses Congrès mais aussi à l’édition des numéros de sa Revue, occupe une place sinon déterminante, en tout cas de tout premier choix, dans les débats théoriques et empiriques qui agitent la sphère francophone. Elle entend veiller à sa pérennisation.
Quels sont les grands thèmes d’avenir qui, selon vous, occuperont l’espace de réflexion dans les années qui viennent ou mériteraient d’y figurer ?
Il m’est impossible de prétendre à une quelconque exhaustivité.
Cela étant, il me semble que le thème de l’intelligence artificielle (IA) ne pourra que prendre de l’importance tant il est vrai – un peu à l’image de l’informatique à ses débuts – qu’il concerne tous les pays, quel que soit leur degré de développement, tous les domaines de l’activité, toutes les disciplines, et bien des actes de la vie courante…
En outre, une réflexion approfondie sur le devenir des richesses agricoles s’imposera tôt ou tard non seulement pour des raisons démographiques, évidentes, mais aussi militaires, moins apparentes et plus vitales ! Trop de conflits actuels en forment de patents signes avant-coureurs. Bref, la garantie de la souveraineté alimentaire s’imposera de plus en plus.
L’autoproduction concerne aussi l’industrie : qu’on songe aux biens pharmaceutiques, aux matériels d’armement, aux engins spatiaux, aux robots…
L’avenir du secteur tertiaire n’est pas non plus exempt de questionnements de fond : les communications, sous toutes leurs formes, ne doivent pas être négligées. Se situant en amont des décisions, elles peuvent en effet provoquer des erreurs aux conséquences dramatiques, sans compter les piratages en tout genre.
En un mot comme en mille, vous avez compris que le champ de l’économique ne pourra que s’élargir à l’avenir. À l’AIELF d’en saisir toute la mesure. Je demeure confiant…