Drone : la fibre optique n’est pas une panacée

15 avril 2025

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : A General Atomics MQ-9 Reaper practices landings at March Air Reserve Base on Friday, Nov. 18, 2022, in Moreno Valley, Calif. (Dylan Stewart/Image of Sport/Sipa USA)/43556526/ds/2212281456

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Drone : la fibre optique n’est pas une panacée

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Pour être efficaces, les drones doivent communiquer avec leurs opérateurs. Se pose alors la question du GPS, des antennes et de la fibre optique.

Depuis le début du conflit en Ukraine, les drones se sont imposés comme des outils tactiques majeurs, utilisés à grande échelle pour la reconnaissance, l’ajustement des tirs d’artillerie, les frappes ciblées, voire la lutte contre d’autres drones. L’essor des drones s’est accompagné d’un raffinement technologique croissant dans leur architecture de communication. Au cœur de ce système se trouvent les antennes, véritables interfaces entre l’appareil en vol et son environnement — qu’il s’agisse de satellites, d’opérateurs humains ou d’autres drones. Comprendre leur fonction et leur orientation, c’est saisir la logique invisible, mais décisive de la navigation, de la transmission et de la guerre électronique moderne.

Le rôle du GPS

Sur la majorité des drones, l’antenne GPS occupe une place centrale. Elle est généralement orientée vers le ciel, puisque sa mission consiste à capter les signaux émis par les constellations de satellites en orbite. Cette orientation est essentielle : toute obstruction, tout blindage excessif ou mauvaise inclinaison peut perturber la réception du signal, rendant le drone aveugle à sa propre position. Dans un contexte militaire, cette antenne est doublée ou couplée à un système RTK (Real Time Kinematic, ou cinématique en temps réel, est une technologie de géolocalisation par satellite à très haute précision avec correction en temps réel du positionnement grâce à une station de référence fixe. Alors qu’un GPS classique a une précision de quelques mètres, le RTK permet d’atteindre une précision centimétrique, voire millimétrique dans certains cas), qui améliore la précision géolocalisée, mais exige un environnement radiofréquentiel stable et peu perturbé.

Viennent ensuite les antennes de contrôle, qui permettent la communication directe entre le drone et le pilote ou le poste de commande au sol. Celles-ci sont en général dirigées vers le bas ou vers l’arrière, selon la position attendue du récepteur au sol. Elles transmettent les ordres de vol, reçoivent les données de télémétrie et jouent un rôle critique dans le maintien du lien. Une coupure de cette liaison (qu’elle soit due à une distance trop grande, à un obstacle physique ou à un brouillage intentionnel) peut entraîner une perte de contrôle, voire un crash. Les antennes utilisées ici varient selon les plages de fréquence choisies.

À cela s’ajoutent les antennes de transmission vidéo, orientée elles aussi vers le sol ou vers l’arrière, selon l’emplacement de la station de réception. Sur un théâtre d’opérations, la qualité du retour d’image conditionne la précision d’une frappe ou la pertinence d’un renseignement. Ces antennes doivent donc combiner stabilité de la liaison, faible latence et résistance aux perturbations. Elles sont parfois distinctes de l’antenne de commande, parfois intégrées dans un système multifonction.

Les antennes et les communications

Les drones plus sophistiqués — comme les modèles de type MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance), tels que le Bayraktar TB2 ou le MQ-9 Reaper — peuvent embarquer des antennes de liaison satellite. Celles-ci permettent un contrôle au-delà de la ligne de vue, indispensable pour les opérations à longue distance. L’orientation dépend alors du satellite ciblé, souvent en orbite géostationnaire, ce qui impose une antenne dirigée vers le haut et parfois stabilisée mécaniquement dans un dôme. Ces liaisons SATCOM offrent un avantage stratégique clair, mais elles sont coûteuses, énergivores et vulnérables au brouillage si les bandes utilisées sont détectées.

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Enfin, certains drones incluent des antennes latérales ou omnidirectionnelles destinées à la communication inter-drones, notamment dans le cadre de vols en essaim ou de réseaux décentralisés. Ces systèmes de maillage permettent aux drones de partager des informations, de se synchroniser ou de réagir collectivement à une menace. Cette logique, encore expérimentale dans certains contextes, devient de plus en plus opérationnelle, notamment en Ukraine, où les drones sont utilisés à la fois comme capteurs, comme émetteurs et comme agents actifs de la guerre électronique.

Ainsi, chaque antenne, par sa fonction et son orientation, répond à une logique tactique précise. Certaines cherchent le ciel, d’autres scrutent la terre, et toutes doivent s’ajuster à un environnement changeant, parfois hostile et saturé de signaux concurrents. La prolifération de drones sur le champ de bataille a entraîné une réponse technologique rapide visant ce point faible : le développement et le déploiement intensif de contre-mesures électroniques (ou guerre électronique), transformant l’espace aérien en un véritable champ de bataille invisible.

Les deux belligérants ont ainsi mis en œuvre des systèmes de brouillage sophistiqués capables de perturber, détourner ou neutraliser les drones ennemis. Le brouillage GPS est l’une des techniques les plus répandues : en perturbant les signaux de positionnement, il rend les drones incapables de naviguer ou de revenir à leur base, les forçant parfois à s’écraser. À cela s’ajoute le brouillage des liaisons radio entre le drone et son opérateur, qui coupe le contrôle à distance ou perturbe la transmission vidéo. Dans de nombreux cas, ces dispositifs ont permis d’abattre virtuellement des drones sans qu’ils soient touchés physiquement par une munition, simplement en les désorientant.

Contrer les drones

Cette intensité des contre-mesures a poussé les opérateurs de drones à s’adapter : recours à des drones plus rudimentaires, mais autonomes, usage de trajectoires préprogrammées, lancement de multiples drones simultanément pour saturer les défenses électroniques adverses. La guerre électronique devient alors un jeu du chat et de la souris, où chaque innovation tactique appelle une contre-innovation immédiate.

En Ukraine, le ciel n’est plus un simple espace de survol, mais un domaine de confrontation numérique où l’intelligence algorithmique, la détection des fréquences et la résistance aux brouillages sont tout aussi déterminantes que la puissance de feu. Le conflit démontre ainsi que la supériorité ne tient plus seulement à la possession de drones, mais à la capacité de les faire voler dans un environnement électromagnétique hostile.

L’usage des drones guidés par fibre optique représente une solution technique de plus en plus prisée dans les domaines où la sécurité des communications et la résistance au brouillage sont primordiales. Ces dispositifs se distinguent par leur capacité à transmettre en temps réel des données à haut débit via une liaison physique ininterrompue. Toutefois, cette technologie n’est pas sans conséquences sur les performances générales de l’appareil, en particulier sur sa capacité d’emport, sa stabilité en vol et la sécurité de l’environnement d’opération.

La première contrainte notable réside dans le poids du câble de guidage. Les câbles à fibre optique utilisés dans des contextes tactiques pèsent en moyenne entre 10 et 25 grammes par mètre. Ainsi, une simple bobine de 100 mètres peut ajouter entre un et deux kilos à la charge utile totale du drone. Ce poids n’est pas négligeable, surtout pour des appareils de taille intermédiaire dont la capacité d’emport ne dépasse souvent pas les cinq à dix kilos. Rappelons également que, dans l’ensemble des modèles les plus répandus sur le front ukrainien (hors drones longue portée ou drones suicides comme le Shahed iranien), la charge utile moyenne d’un drone de basse altitude tourne entre 1 et 2 kg. En conséquence, la charge utile réellement disponible pour les capteurs, les caméras ou les équipements spécifiques à la mission se trouve considérablement réduite.

La question de l’embarquement

Au-delà de la seule question du poids, le câble influe également sur l’équilibre global de l’appareil. Lorsqu’il est déployé en vol, il introduit une force de traînée, surtout en cas de vent ou de turbulences, ce qui modifie la dynamique de vol du drone. Cette instabilité potentielle exige des ajustements spécifiques du centre de gravité, ainsi qu’une compensation algorithmique au niveau du logiciel de pilotage pour maintenir une stabilité suffisante. Par ailleurs, la mobilité du drone est naturellement limitée par la longueur du câble : plus celui-ci s’allonge, plus la tension et le risque d’emmêlement augmentent, limitant ainsi les manœuvres rapides ou les changements brusques de direction. Enfin, même s’il est tout à fait possible d’avoir un drone guidé par fibre optique avec une hélice placée à l’arrière, cela implique certaines contraintes techniques et des choix de conception précis.

Les conditions météorologiques renforcent encore ces défis. Par vent fort, le câble peut osciller de manière latérale, provoquant une instabilité susceptible d’altérer la qualité des prises de vue ou des mesures effectuées. La pluie ou l’humidité, en s’accumulant sur les connecteurs ou en pénétrant les gaines du câble, peuvent entraîner des défaillances dans la transmission ou la dégradation de la fibre, surtout si celle-ci n’a pas été renforcée pour des environnements tropicaux ou marins. De surcroît, la présence d’éléments conducteurs dans les câbles composites (lorsqu’ils intègrent aussi une alimentation électrique) peut poser des risques d’électrisation ou d’attraction des éclairs en cas d’orage.

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À ces contraintes techniques s’ajoutent des risques opérationnels non négligeables, notamment pour le personnel au sol. La présence d’un câble reliant le drone à une base fixe expose cette dernière à d’éventuelles détections ou attaques, en particulier dans des contextes militaires ou de surveillance dans des zones hostiles. La station de contrôle, souvent statique, devient alors un point vulnérable. De plus, sur un terrain accidenté ou encombré, le câble lui-même peut poser un danger physique : risque de chute, d’enchevêtrement ou de détérioration par frottement ou traction excessive. En d’autres termes, la gestion du câble devient à elle seule une composante critique de l’opération, exigeant une vigilance constante de la part des opérateurs.

En conclusion, si la liaison par fibre optique constitue une réponse crédible aux exigences de sécurité, de confidentialité et de stabilité des transmissions, elle demeure loin d’être une solution universelle. La réduction de la mobilité, la limitation de la charge utile, la vulnérabilité accrue aux conditions météorologiques et l’exposition du personnel au sol imposent un arbitrage tactique rigoureux de la part des forces qui en font usage.

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À propos de l’auteur
Gil Mihaely

Gil Mihaely

Journaliste. Directeur de la publication de Conflits.

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