Le 22 avril 2025, une attaque dans la vallée de Baisaran, au Cachemire indien, a tué vingt-six personnes, dont un ressortissant népalais. Le groupe de la Résistance du Cachemire a revendiqué l’opération, affirmant que les victimes étaient des agents des services de sécurité indiens. Cette attaque ravive les lignes de fracture d’un conflit ancien dans un contexte régional tendu.
Le 22 avril 2025, une attaque d’une brutalité inédite depuis près de deux décennies a ensanglanté la vallée de Baisaran, dans la région touristique de Pahalgam, au Cachemire indien. Vingt-six personnes, dont un ressortissant népalais, ont été tuées par des tirs nourris alors qu’elles visitaient cette station prisée. Le groupe peu connu de la Résistance du Cachemire a revendiqué l’opération, affirmant que les victimes étaient en réalité des agents liés aux services de sécurité indiens, et dénonçant un prétendu projet de colonisation démographique orchestré par New Delhi. Si cette attaque marque un pic de violence dans la région, elle ravive surtout les lignes de fracture d’un conflit ancien, complexe, et aujourd’hui réactivé dans un contexte régional tendu.
Un conflit ancien
Le conflit du Cachemire plonge ses racines dans la partition de l’Empire britannique des Indes en 1947. Le maharaja du Jammu-et-Cachemire, hindou à la tête d’un État majoritairement musulman, choisit de rattacher son territoire à l’Union indienne. Le Pakistan, né au nom de l’identité musulmane du sous-continent, conteste ce choix, déclenchant la première guerre indo-pakistanaise. Depuis, le Cachemire est une terre traversée par une ligne de contrôle, revendiquée intégralement par les deux puissances nucléaires. Ce contentieux irrésolu structure depuis plus de soixante-quinze ans une rivalité faite de cycles de guerre ouverte, d’insurrections et d’attentats sanglants.
L’attaque de Pahalgam s’inscrit dans une série d’événements marquants. En mars 2000, le massacre de 35 sikhs à Chittisinghpura, perpétré par des hommes en uniforme, avait choqué l’opinion publique. Deux ans plus tard, l’attentat contre la base de Kaluchak fit 34 morts parmi les familles de soldats. En novembre 2008, l’Inde connut l’un de ses traumatismes les plus profonds avec les attaques coordonnées de Mumbai, où dix terroristes venus du Pakistan par la mer tuèrent 166 personnes et en blessèrent plus de 300, en ciblant hôtels, gares, cafés et un centre juif. Ces attaques, revendiquées par le groupe Lashkar-e-Taiba, marquèrent un tournant dans la perception mondiale de la menace terroriste en Asie du Sud. En août 2017, huit pèlerins hindous furent tués lors d’une attaque visant un bus revenant du sanctuaire d’Amarnath. Enfin, en février 2019, un kamikaze tua 40 paramilitaires indiens à Pulwama, provoquant des frappes aériennes de représailles de l’Inde sur Balakot, au Pakistan.
La riposte de l’Inde
La riposte indienne a été immédiate. Des mesures punitives ont été prises contre Islamabad : suspension du traité de l’Indus, fermeture du poste frontalier de Wagah, réduction des effectifs diplomatiques pakistanais à New Delhi. Le ministre de la Défense, Rajnath Singh, a réuni les chefs d’état-major pour une évaluation stratégique d’urgence dans le Jammu-et-Cachemire.
Cette nouvelle poussée de fièvre survient alors que le Pakistan traverse une crise profonde. Son économie est au bord de l’asphyxie : dette extérieure massive, inflation record, insécurité énergétique. Sur le plan diplomatique, Islamabad est encerclé par des tensions. Tout d’abord avec l’Iran, en raison d’opérations militaires transfrontalières au Baloutchistan. Ensuite avec l’Afghanistan, où les talibans refusent de livrer les chefs du TTP (Tehrik-e-Taliban Pakistan, Mouvement des talibans du Pakistan), groupe islamiste armé fondé en 2007, distinct des talibans afghans mais partageant avec eux une idéologie et des origines tribales communes dans les zones frontalières.
Dans ce contexte, le recours au levier cachemiri peut être perçu par certains segments de l’appareil sécuritaire pakistanais comme un moyen de détourner l’attention intérieure ou de tester les lignes rouges indiennes.
La complexité du Pakistan
Cependant, il serait erroné de considérer le Pakistan comme un bloc monolithique. Son appareil sécuritaire est profondément fragmenté. L’armée, institution centrale depuis l’indépendance, exerce une influence tentaculaire bien au-delà des questions de défense : elle contrôle des pans entiers de l’économie, oriente la politique étrangère et domine le renseignement à travers l’ISI (Inter-Services Intelligence), accusé de mener une double stratégie : coopération officielle avec l’Occident dans la lutte antiterroriste, et soutien tacite à certains groupes jihadistes en Afghanistan ou au Cachemire.
Face à cette fragmentation de la gouvernance, le pouvoir civil, souvent marginalisé, peine à imposer une ligne claire. Le ministère de l’Intérieur, les polices provinciales et les autorités locales sont parfois réduits à de simples organes d’exécution, sans réelle autonomie. Certaines zones tribales, notamment au Khyber Pakhtunkhwa ou au Baloutchistan, échappent partiellement au contrôle de l’État central et deviennent des terrains d’action pour des groupes armés, tantôt tolérés, tantôt combattus. Cette architecture éclatée explique en partie l’ambiguïté de la politique pakistanaise vis-à-vis du TTP ou de Lashkar-e-Taiba. Il ne s’agit pas seulement d’un double jeu cynique, mais une absence de consensus interne où des logiques contradictoires sont à l’œuvre : sécurité intérieure, stratégie régionale, et diplomatie globale. L’ombre de l’État profond pakistanais plane sur ces événements, nourrissant la défiance et minant toute perspective de normalisation et l’hypothèse d’éléments dissidents, de groupes agissant dans les interstices de l’autorité pakistanaise ou de réseaux transnationaux échappant à tout contrôle étatique ne peut être écartée.
Ce climat de tension coïncide avec une séquence diplomatique délicate. La veille de l’attentat, la secrétaire d’État adjointe américaine, Elizabeth Vance, était à New Delhi pour discuter des relations stratégiques indo-américaines dans un contexte de rivalité croissante avec la Chine. Dans un hasard cruel du calendrier, le vice-président des États-Unis, JD Vance, effectuait sa première visite officielle en Inde du 21 au 24 avril, au moment même où l’attentat secouait la région. Prévue pour porter sur le commerce, la défense, l’énergie et les technologies stratégiques, la visite s’est vite recentrée sur les enjeux sécuritaires.
La Maison-Blanche a exprimé son indignation et réaffirmé son « entière solidarité » avec l’Inde, tout en annonçant un renforcement de la coopération bilatérale en matière de sécurité. Cette convergence entre diplomatie stratégique et solidarité antiterroriste risque toutefois d’exacerber les tensions régionales, notamment dans un Pakistan de plus en plus marginalisé par les grandes puissances. L’Inde, au cœur de la stratégie russe de contournement des sanctions, mais aussi rivale géopolitique structurelle de Pékin, s’impose ainsi comme un acteur-clé de la reconfiguration globale en cours, ce qui ne fait qu’alimenter les ressentiments pakistanais.