APKWS contre drones : réponse à bas coût à une menace bon marché

3 juin 2025

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : These sailors from the 700X Naval Air Squadron are testing Britain’s latest state-of-the-art drones. Featuring: N/A Where: AT SEA, AT SEA, United Kingdom When: 03 Mar 2025 Credit: PO Phot Rory Arnold/UK MOD © Crown copyright 2025/Cover Images

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APKWS contre drones : réponse à bas coût à une menace bon marché

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Dans le paysage mouvant de la guerre contemporaine, où des drones coûtant à peine quelques milliers de dollars peuvent endommager, voire détruire, des systèmes d’armement coûteux et rares, les armées doivent relever un défi nouveau : neutraliser efficacement, à un coût acceptable, des véhicules aériens sans pilote souvent rudimentaires mais tactiquement redoutables.

La généralisation de leur usage s’observe sur tous les théâtres : en avril 2024, l’Iran a lancé une attaque directe contre Israël en mobilisant un essaim de drones et de missiles de croisière ; en Ukraine, les forces armées ont récemment frappé le territoire russe en utilisant des drones kamikazes lancés depuis des conteneurs maritimes, contournant les défenses classiques ; au Yémen, les Houthis multiplient depuis 2023 les frappes contre des cibles maritimes et régionales au moyen de drones d’attaque ou de reconnaissance. Dans ce contexte de prolifération rapide et de sophistication croissante, les solutions classiques de défense aérienne se révèlent inadaptées face à des menaces aussi diffuses qu’agiles.

C’est dans ce contexte que s’impose l’Advanced Precision Kill Weapon System, ou APKWS, un système développé par BAE Systems pour transformer de simples roquettes de 70 mm en munitions intelligentes. Conçu à l’origine pour offrir aux hélicoptères américains une capacité de frappe de précision à bas coût, l’APKWS s’impose aujourd’hui comme un outil de choix dans la lutte contre la prolifération des drones légers.

Développement des APKWS

L’origine du programme remonte aux années 2000 et à un besoin opérationnel spécifique : doter les hélicoptères d’attaque et les avions d’appui léger d’un armement de précision peu onéreux et faiblement destructeur. En Irak et en Afghanistan, les plateformes comme l’AH-64 Apache ou l’UH-1Y Venom étaient régulièrement sollicitées pour neutraliser des cibles mobiles de faible valeur, comme des pick-up, des tireurs de mortier ou des combattants isolés. Utiliser un missile Hellfire dans de telles conditions s’avérait économiquement intenable et militairement disproportionné. L’APKWS a donc été conçu comme une solution de compromis, en adaptant les roquettes Hydra 70, abondantes dans l’arsenal américain, à une frappe ciblée par l’ajout d’un module de guidage inséré au centre du projectile. L’arme résultante conserve la simplicité et le coût de la roquette d’origine, tout en acquérant une précision chirurgicale grâce à la désignation laser.

Le système repose sur une technologie de senseurs répartis dans les ailes, capables de capter le faisceau laser réfléchi depuis la cible. Cette configuration n’alourdit pas le missile et permet une compatibilité immédiate avec les lanceurs existants. Cependant, ce système n’est pas un « shoot and forget » : il faut un homme dans la boucle à plusieurs niveaux, tant dans la désignation de la cible que dans la décision de tir, ce qui en fait une arme à guidage semi-actif, non autonome. C’est cela qui permet d’en réduire le coût et le poids.

L’APKWS mesure environ 1,9 mètre, pèse une quinzaine de kilos, et offre une portée de cinq kilomètres depuis une plateforme terrestre, et jusqu’à onze kilomètres depuis un aéronef. Il peut embarquer différentes charges militaires, notamment des ogives explosives classiques (fusée de percussion) ou des têtes à fusée de proximité. L’armement est compatible avec de nombreuses plateformes, dont les F-15, ou encore des lanceurs navals et terrestres.

L’apparition massive de drones bon marché à partir du milieu des années 2010, qu’ils soient commerciaux, militaires ou artisanaux, a bouleversé les équilibres tactiques. Du Liban au Donbass, en passant par les attaques houthies en mer Rouge, ces petits appareils se sont imposés comme des vecteurs de renseignement, de harcèlement, voire d’attaque directe. Leur capacité à saturer les défenses existantes, combinée à leur faible coût de production, a mis en évidence un déséquilibre structurel : les missiles antiaériens classiques, coûteux et conçus pour des cibles plus importantes, sont inadaptés à cette nouvelle menace. Dans ce contexte, l’APKWS a été réévalué pour des missions de lutte anti-drones, en particulier contre les appareils pesant de 5 à 600 kg.

Rôle opérationnel

Son efficacité dans ce rôle repose sur plusieurs qualités essentielles : un coût modéré, une précision élevée grâce au guidage laser, une compatibilité multisupport et une capacité de frappe limitée en termes de dommages collatéraux, ce qui est important pour des interceptions au-dessus des zones densément peuplées. Sa mise en œuvre peut se faire selon un schéma de coopération entre deux plateformes : l’une désigne la cible au moyen d’un pointeur laser (soldat au sol, drone d’observation ou hélicoptère équipé) et l’autre tire le projectile. Des essais récents ont ainsi vu l’emploi de désignateurs portables et de systèmes de désignation embarqués, avec des résultats probants face à des cibles volantes de petite taille.

Sur le terrain, plusieurs exemples récents attestent de l’usage croissant de l’APKWS contre les drones. En mer Rouge, certains bâtiments de l’US Navy, tels que l’USS Carney, ont utilisé des lanceurs de pont équipés de ces missiles pour intercepter des drones en approche. En Irak et en Syrie, les forces spéciales américaines ont monté l’APKWS sur des véhicules tactiques légers, tirant sur des drones iraniens ou leurs équivalents. L’aviation de l’armée de terre, pour sa part, a utilisé des hélicoptères Apache, les cibles étant désignées soit par les capteurs embarqués, soit par des opérateurs au sol, notamment des contrôleurs aériens avancés.

Afin d’augmenter encore son efficacité contre des drones de petite taille ou à trajectoire imprévisible, l’APKWS a récemment été doté d’une fusée de proximité. Cette capacité permet une détonation à courte distance de la cible, augmentant la probabilité de neutralisation sans nécessiter un impact direct. D’autres évolutions sont en cours, comme l’intégration à des plateformes terrestres modulaires, la montée en puissance de systèmes navals autonomes, ou l’association à des capteurs de ciblage assistés par intelligence artificielle.

Comparé à d’autres solutions, l’APKWS se distingue par sa capacité à combiner précision, faible coût et flexibilité d’emploi. Le Coyote Block 2, plus sophistiqué, offre une autonomie d’interception, mais à un coût supérieur. Le système Iron Dome, efficace, mais conçu pour des menaces balistiques, reste peu adapté aux engagements de drones, même si le récent ajout d’une capacité laser (Iron Beam) améliore la performance globale du dispositif. Quant aux brouilleurs, comme le Dronebuster, ils sont non létaux et vulnérables au durcissement électronique des drones. L’APKWS s’inscrit donc dans une logique de complémentarité au sein des défenses multicouches, offrant aux forces un outil simple, rapide et efficace dans une gamme de scénarios variés.

Adaptation de l’armement

L’APKWS est un bon exemple de l’adaptation d’un armement existant aux défis du champ de bataille moderne. Il ne remplace pas les systèmes lourds ou stratégiques, mais comble un vide critique entre les défenses légères non létales et les missiles de grande puissance. Dans une guerre de plus en plus agile, marquée par la dispersion, la saturation et l’innovation tactique, il apporte ce qui fait souvent défaut : la bonne munition, au bon moment, pour la bonne cible. Cependant, les États doivent acquérir la capacité de mener ce genre de projets d’armement (« upgrader » rapidement et à faible coût des systèmes existants en utilisant des technologies existantes) rapidement et dans un cadre budgétaire raisonnable, depuis l’expression du besoin jusqu’à la mise en service opérationnel.

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À propos de l’auteur
Gil Mihaely

Gil Mihaely

Journaliste. Directeur de la publication de Conflits.

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