5 juillet 2025

Temps de lecture : 3 minutes

Photo :

Abonnement Conflits
Abonnement Conflits

Éditorial – Au miroir des drogues

par

Le danger des drogues est double : elles détruisent les hommes qui les consomment, elles détruisent les sociétés où elles se déploient, par la corruption des structures sociales et mentales.

Article paru dans le no58 – Drogues La France submergée

Dissolution sociale. En favorisant le déploiement des réseaux criminels, en gangrenant les structures économiques légales, en établissant un filet de pouvoir sur des territoires, l’extension de la consommation de drogue engendre une dissolution du corps social. Par la violence générée, par les masses d’argent qui circulent, par l’adrénaline et l’aventure qu’apportent les activités de trafics, les drogues provoquent une corruption qui touche l’ensemble de la société. Fonctionnaires qui collaborent, politiques qui touchent de l’argent, policiers qui ferment les yeux, voire participent, c’est toute la structure étatique de légalité qui est viciée par le déploiement et la diffusion des drogues. Sans compter les drames sanitaires causés chez les drogués, les morts et les familles détruites. La drogue est un fléau, mais sa diffusion et son expansion disent beaucoup de l’état de délabrement moral et mental d’une société ; le Mexique étant pour beaucoup le modèle repoussoir suprême. Mais en réaction à ces réseaux, un autre danger se profile, celui de la tentation d’établir un régime policier.

Régime policier. Pour comprendre ce qu’un régime policier a de dangereux, il n’est qu’à se promener dans les rues délabrées de Berlin-Est ou dans les musées du communisme de Prague et de Budapest, ce dernier étant installé dans l’ancien siège central de la police. La force, c’est la violence légitimée, la violence autorisée par la loi. Face aux réseaux et aux trafics, la tentation est parfois grande de basculer en régime policier, de suspendre, voire supprimer les libertés fondamentales pour espérer sauver la sécurité. Caméras de surveillance, espionnage des communications, réduction de la vie privée, pouvoirs arbitraires donnés à la police, avec toujours l’argument du provisoire et l’idée que les innocents n’ont rien à craindre des lois d’exception ; qui finissent par devenir la norme et qui sont inefficaces pour lutter contre la criminalité. Face à la violence des réseaux criminels, la tentation de la violence légalisée, par les pouvoirs démesurés de la police, menace l’essence de la démocratie. La force est un gaz expansif qui prend la place laissée libre. C’est la tentation de la sécurité qui repose sur la privation des libertés et les règles du droit bafouées. C’est là toute la difficulté : lutter contre la violence des réseaux criminels, sans donner les pleins pouvoirs à la violence policière légalisée. C’est par la justice que la drogue se combat. Le régime policier ne saurait remplacer la démission de l’État. En France, l’arsenal législatif est suffisamment dense pour combattre les réseaux, mais c’est son application qui fait défaut (manque de moyens des tribunaux, laxisme de certains juges). La solution n’est pas dans le plus de lois et le plus de police mais dans le plus de justice appliquée.

À lire aussi : Logistique du narcotrafic : les chemins de la drogue, des ports aux consommateurs

Dignité humaine. La drogue est l’illustration parfaite de ce qu’est l’analyse géopolitique : une réflexion à plusieurs échelles. Des zones de consommation dans les espaces ruraux français aux zones de production dans les montagnes colombiennes, c’est tout un ensemble de lignes, de points de passage, de connexions. La drogue à ceci de particulier que son déploiement paraît tentaculaire et impossible à juguler. L’exemple de l’éradication de la French Connection dans les années 1970 démontre pourtant que cela est possible. Le fléau de la drogue n’est pas qu’économique et criminel, il touche aussi à la dignité des personnes. Dignité perdue des consommateurs, qui sont ravagés par les substances, dignité bafouée des trafiquants qui, de gré ou de force, sont enrôlés dans des réseaux qui les dépassent et qui les transforment en rouage d’une machine infernale. Dignité d’un pays et d’une société qui doit éradiquer ces trafics sans céder à ses valeurs et à ses libertés humaines. En France et en Europe, il n’est pas trop tard pour agir, mais il y a urgence. La poudre blanche de la cocaïne submerge l’Hexagone, ainsi que les drogues de synthèse. C’est un drame sanitaire, c’est aussi un drame humanitaire : la drogue vise à combler des détresses humaines et morales, elle se présente parfois comme un recours, comme l’alcoolisme autrefois, alors qu’elle est un tombeau pour les consommateurs et pour les sociétés qui sont sous son emprise.

Mots-clefs : ,

À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
La Lettre Conflits
3 fois par semaine

La newsletter de Conflits