Cambodge : une liberté de la presse sous surveillance

15 juillet 2025

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Angkor (c) Unsplash

Abonnement Conflits

Cambodge : une liberté de la presse sous surveillance

par

Mal classé dans les études internationales, le Cambodge a réduit à la portion congrue la liberté de la presse. Les répressions contre les journalistes et les atteintes aux libertés fondamentales sont nombreuses et dénoncées par plusieurs ONG

Malgré les engagements internationaux du pays en matière de droits humains et de gouvernance démocratique, le Cambodge fait pâle figure. Journalistes emprisonnés, médias indépendants fermés ou contraints à l’exil, autocensure croissante : le paysage médiatique cambodgien est marqué par un climat de peur et de répression.

En 1985, Hun Sen est devenu Premier ministre du Cambodge à la tête du Parti du peuple cambodgien, poste qu’il a occupé jusqu’en 2023, laissant le pouvoir à son fils Hun Manet, tout en restant lui-même président du Sénat. Cette dynastie des Hun, qui a placé de nombreuses personnes fidèles aux postes clefs du Cambodge, tant dans la politique que dans l’administration, a pu se maintenir grâce à son contrôle total sur les médias et sa répression contre les journalistes et les médias indépendants.

Les élections de 2018, largement critiquées pour leur manque de transparence et l’absence d’une véritable opposition, ont été précédées par une vague de répression contre les voix critiques. Parmi les victimes, The Cambodia Daily et Radio Free Asia, deux médias indépendants, ont été contraints de cesser leurs activités locales.

Le gouvernement du Cambodge a en effet mis en place des taxes qui peuvent contraindre les journaux indépendants, qui ne disposent pas de revenus suffisants, à fermer. Le Cambodia Daily, rare journal indépendant du pays, a ainsi dû fermer en 2017, ne pouvant pas s’acquitter de ce nouvel impôt. Ou comment tuer la liberté de la presse en s’en prenant aux finances des médias libres.

Répression judiciaire et surveillance

Les journalistes qui s’aventurent à critiquer le gouvernement ou à enquêter sur des sujets sensibles, tels que la corruption, les droits fonciers ou les violations des droits humains risquent des poursuites pénales. Des lois vagues comme celles sur la cybercriminalité, la diffamation ou les « fausses nouvelles » sont souvent utilisées pour justifier des arrestations. En 2023, des journalistes ont été emprisonnés pour avoir diffusé des informations jugées nuisibles à la « sécurité nationale ».

La plupart des médias cambodgiens sont aujourd’hui affiliés au parti au pouvoir ou font preuve d’une prudente neutralité. Le contrôle des licences de diffusion, l’accès restreint aux financements étrangers, et la surveillance numérique ont contribué à instaurer une autocensure généralisée. De nombreux journalistes choisissent désormais de ne pas couvrir certains sujets, de peur de représailles.

L’histoire de la répression au Cambodge, c’est par exemple celle du journaliste Ouk Mao et de son arrestation sans mandat le 16 mai 2025, ciblé à la suite de son enquête sur la déforestation illégale. Une arrestation dénoncée par Reporter sans frontière (RSF) et détaillée par la Fédération internationale des journalistes (FIJ): « Le journaliste environnementaliste Ouk Mao a été arrêté et inculpé après avoir dénoncé l’exploitation forestière illégale dans une réserve naturelle, à l’issue d’une campagne de harcèlement judiciaire qui a duré dix mois. La Fédération internationale des journalistes (FIJ) se joint à son affiliée, l’Association cambodgienne des journalistes (CamboJA), pour condamner les représailles dont fait l’objet M. Mao pour avoir publié des articles critiques sur des questions d’intérêt public, et demande sa libération immédiate. » Une libération qui se fait attendre au pays des Khmers.

C’est aussi l’histoire du journaliste Mech Dara, inculpé pour « incitation à la violence » en octobre 2024. Soutenu par Amnesty International (AI), il lutte pour sa libération des prisons cambodgiennes. Le témoignage d’AI fait froid dans le dos quant aux capacités d’un État à réduire à rien les droits de la presse : « Les accusations portées contre Mech Dara montrent une fois de plus que le gouvernement cambodgien n’hésitera pas à réprimer les journalistes. Il s’agit de la dernière mesure en date prise par le nouveau gouvernement dans le cadre de sa campagne visant à supprimer la liberté de la presse. »

La loi de répression « d’incitation à la violence » n’est qu’un prétexte pour museler la liberté d’enquête et d’information, l’appréciation de « l’incitation » étant laissée à un pouvoir judiciaire dont les marges de manœuvres sont faibles. Ce que poursuit AI dans son rapport : « Les accusations portées contre Dara en vertu de lois sur l’incitation à la violence, utilisées à mauvais escient, constituent une tactique courante visant à réduire au silence les détracteurs du gouvernement et à les intimider par de lourdes peines de prison. Après avoir pris connaissance des publications sur les réseaux sociaux, je suis convaincu qu’il exerçait légitimement son droit à la liberté d’expression. La gravité de l’infraction signifie qu’il risque de passer un long moment en détention provisoire. Or, la détention provisoire n’est autorisée que dans des circonstances exceptionnelles et ne doit pas être utilisée comme une peine. »

D’autres journalistes ont connu un destin plus cruel. C’est le cas de Chhoeung Chheng. L’assassinat du journaliste a marqué les esprits. Alors qu’il enquêtait sur les pratiques illégales dans le monde agricole, il a été abattu de plusieurs balles. Lors du procès de son meurtrier, le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) s’est porté garant du défunt, afin de protéger sa famille et que justice soit rendue. Si le criminel a bien été condamné, le CPJ tient surtout à ce que cet assassinat marque « la fin de la violence et de l’intimidation chroniques dont sont victimes les journalistes au Cambodge » a déclaré Shawn Crispin, représentant du CPJ pour l’Asie du Sud-Est. Pour lui, pas de doute, le gouvernement du Cambodge doit prendre la mesure du problème et offrir une réelle protection aux journalistes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. « Les autorités devraient s’appuyer sur cette avancée majeure en matière d’État de droit pour protéger les reporters qui couvrent les questions environnementales » défend-il encore.

Enfin, il y a le cas de Gerald Flynn, moins dramatique mais tout de même emblématique du peu de respect de la liberté de presse. Lui aussi enquêtait sur les questions environnementales et lui aussi a vu son champ d’action réduit. Il a été tout simplement interdit d’entrer au Cambodge, alors qu’il avait passé quelques jours de vacances en Thaïlande. « Un journaliste britannique spécialisé dans l’environnement a été interdit d’entrée au Cambodge, dans ce que les groupes de presse ont qualifié de nouvelle attaque contre les médias indépendants par les dirigeants autoritaires du pays. Gerald Flynn, qui écrit pour le site d’information Mongabay, s’est vu refuser l’entrée au Cambodge le 5 janvier 2025 alors qu’il revenait de vacances, selon la publication, qui a indiqué qu’il avait été contraint de monter dans un avion et renvoyé en Thaïlande » relate ainsi The Guardian.

Une multitude d’exemple qui démontre l’état de la répression contre les journalistes, ce que vient confirmer plusieurs classements internationaux.

De mauvais classements pour le Cambodge

On ne sera donc pas surpris de découvrir les mauvais classements du Cambodge en matière de libertés de la presse et d’expression.

RSF classe ainsi le Cambodge à la 161ᵉ place sur 180 dans l’Indice de liberté de la presse 2025, en notant en plus une nette détérioration des conditions journalistiques. Voilà le Cambodge à peu près au même rang que son voisin du Vietnam. Seule la Thaïlande fait beaucoup mieux, classée à la 85e place.

Un mauvais classement qui se retrouve dans l’indice de la liberté du Freedom in the world, qui donne la note de 23/100 au Cambodge. Une note qui permet au pays d’être qualifié de pays « non libre ». Il faut dire qu’avec un score de 4/40 pour les droits politiques et de 19/60 pour les libertés civiles, Phnom Penh a encore beaucoup à faire. Là aussi, le Cambodge est dans la fourchette de ses voisins immédiats (Laos, 13/100 ; Vietnam, 20/100) alors que la Thaïlande, encore une fois, fait beaucoup mieux avec 39/100.

Que l’on soit citoyens ou journalistes, il ne fait pas bon penser et parler au Cambodge.

(c) Conflits

Mots-clefs :

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !
À propos de l’auteur
Mathilde Legris

Mathilde Legris

Journaliste. Terroirs, histoires, voyages.

Voir aussi

Indopacifique : un arc de crises stratégique

Des frontières de feux. Quelles soient maritimes ou terrestres, les frontières en Indopacifique sont sujettes à de nombreuses tensions. Conséquence de rivalités séculaires entre les pays, mais aussi du terrain de jeu de plus en plus marqué de la Chine et des États-Unis Dresser une...

Dossier : L’arc de crises de l’Indopacifique

Rivalités pour le contrôle maritime, contestation des frontières, expansion de la Chine : l'Indopacifique est une région cruciale. Dans cette rivalité entre Chine et Etats-Unis, la Thaïlande joue un rôle pivot d'équilibre. Autour d'elle, des pays qui ont rejoint la sphère chinoise :...