NVIDIA peut désormais vendre à la Chine ses puces IA H20

22 juillet 2025

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NVIDIA peut désormais vendre à la Chine ses puces IA H20

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Cette levée partielle de l’interdiction représente une évolution stratégique significative dans l’approche des États-Unis face à la concurrence technologique sino-américaine. Ce découplage plus ciblé et sélectif créerait une forme de “piège technologique” visant à garder la Chine dans un cadre défini et limité par l’architecture américaine. En même temps, il est certain que, tout en profitant des avantages temporaires, la Chine continuera à poursuivre son ambition de l’autosuffisance.

Une pierre dans la mare

Alors qu’on s’y attendait le moins, NVIDIA a annoncé avoir reçu l’autorisation de l’administration américaine pour vendre à la Chine ses puces IA H20[1], une version allégée du modèle H100. Cette décision, lourde de conséquences, repose sur plusieurs motivations.

La première raison tient au fait que les États-Unis prennent de plus en plus conscience que la Chine est sur le point de combler son retard technologique[2]. En maintenant trop longtemps l’interdiction, Washington risque de favoriser une montée en puissance accélérée des fabricants chinois, qui pourraient bientôt inonder le marché mondial avec des chipsets d’abord matures, puis rapidement haut de gamme[3].
Les progrès réalisés par Huawei avec ses puces Ascend 910B et 910C en sont une illustration frappante : le modèle 910B rivalise déjà avec le NVIDIA A100, tandis que le 910C s’approche dangereusement du H100 en matière de performances brutes.

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La deuxième raison est économique. NVIDIA, leader mondial des processeurs pour intelligence artificielle, fait face à une perte de plusieurs milliards de dollars potentiels à cause des restrictions d’exportation imposées fin 2023. La Chine représentait historiquement environ 20 % du chiffre d’affaires IA de l’entreprise, et les puces H20 avaient été conçues spécifiquement pour répondre aux critères des restrictions américaines. Or, même ces versions « bridées » avaient été bloquées par le Département du Commerce. Face à la pression des actionnaires, des lobbys industriels et des grands clients chinois (Tencent, ByteDance, Alibaba), NVIDIA a plaidé en faveur d’une levée partielle, arguant que le maintien de l’interdiction favoriserait la montée en puissance de concurrents chinois comme Huawei.

Troisièmement, les tensions sino-américaines baissent légèrement, la reprise de livraison des Boeing à la Chine en est le signe[4]. La levée de l’interdiction peut être interprétée comme le résultat de tractations diplomatiques discrètes. Certaines sources suggèrent qu’en parallèle, la Chine aurait accepté d’augmenter ses livraisons de terres rares aux entreprises américaines, en échange d’un assouplissement des contrôles sur certaines technologies non militaires.

Signification géopolitique

Cette décision illustre un tournant stratégique dans la politique technologique américaine. Plutôt qu’un découplage technologique total, les États-Unis optent désormais pour une approche plus ciblée et différenciée, fondée sur l’usage des technologies plutôt que leur simple origine. L’objectif est de restreindre les semi-conducteurs à haut risque – notamment ceux susceptibles d’être utilisés à des fins militaires ou stratégiques – tout en maintenant un flux contrôlé de composants vers le marché chinois pour des usages commerciaux.

Cette décision traduit un compromis entre impératifs économiques et sécuritaires. D’un côté, elle répond aux pressions de l’industrie américaine, notamment de NVIDIA, soucieuse de préserver l’accès au marché chinois. De l’autre, elle permet aux États-Unis de conserver une forme d’influence technologique, en autorisant des produits limités mais toujours dépendants des outils logiciels américains, comme CUDA[5]. Cette dépendance logicielle reste un levier de contrôle crucial, parfois plus stratégique que le matériel lui-même.

Cependant, cette approche suscite des controverses à Washington, en particulier chez certains élus républicains, qui dénoncent une faille dans le dispositif de sécurité. Ils redoutent que même des puces bridées comme le H20 puissent être détournées à des fins sensibles, notamment dans le domaine de l’inférence, désormais clé pour les IA génératives.

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Du côté chinois, la réception du H20 est ambivalente. Les grandes entreprises technologiques comme Alibaba, Tencent ou ByteDance se réjouissent de pouvoir accéder à ces puces, qui leur permettent de maintenir la compétitivité de leurs services d’IA à court terme. Mais certains analystes chinois mettent en garde contre ce qu’ils appellent un « cadeau empoisonné ». Le H20 permet certes d’exécuter des modèles performants, mais il empêche la Chine d’acquérir les outils nécessaires à l’entraînement de modèles de nouvelle génération. Cette limitation freine le progrès scientifique à long terme et renforce la dépendance vis-à-vis de l’écosystème américain.

En somme, cette décision symbolise une nouvelle phase du découplage technologique : plus subtil, asymétrique et fondé sur une stratégie d’endiguement technologique. Les États-Unis cherchent à ralentir l’avancée chinoise sans provoquer une rupture frontale, tout en consolidant leur position dominante via les normes logicielles et les écosystèmes qui structurent l’IA mondiale.

État de fait technologique

Le H20 est une puce spécifiquement conçue par NVIDIA pour contourner les restrictions américaines imposées en 2023 et 2024, qui interdisaient l’exportation de GPU de très haute performance vers la Chine. Cette puce est une version bridée de modèles plus puissants comme le H100 ou l’A100. Elle est destinée à des tâches d’inférence plutôt qu’à l’entraînement de grands modèles d’intelligence artificielle, qui requièrent beaucoup plus de bande passante mémoire et de puissance de calcul.

Même dans sa version limitée, le H20 reste une puce très performante, supérieure à la majorité des alternatives locales disponibles en Chine. Les puces chinoises telles que les Ascend de Huawei ou les produits issus de l’écosystème SMIC peinent à égaler les capacités de NVIDIA, que ce soit en puissance brute ou en efficacité énergétique. Toutefois, la véritable supériorité technologique de NVIDIA ne réside pas uniquement dans son matériel, mais dans son écosystème logiciel, en particulier CUDA qui constitue aujourd’hui l’infrastructure logicielle incontournable pour développer, optimiser et faire tourner les modèles d’IA les plus avancés. Les entreprises chinoises, même dotées de leurs propres GPU, continuent de dépendre de CUDA pour rester compétitives à l’échelle mondiale.

Cette dépendance technologique agit comme un verrouillage stratégique. En autorisant l’exportation de H20, les États-Unis permettent à NVIDIA de conserver son rôle dominant dans l’IA commerciale en Chine, tout en veillant à ce que cette technologie ne puisse pas être utilisée pour des objectifs militaires ou scientifiques sensibles, comme l’entraînement de modèles à grande échelle ou le développement d’armes autonomes. En ce sens, le H20 fonctionne presque comme un « cheval de Troie technologique » : suffisamment utile pour maintenir l’emprise de la technologie américaine, mais volontairement limité pour freiner les ambitions chinoises d’indépendance.

Stratégie de Huawei

Sur le plan de la contre-attaque, Huawei ne se limite pas à imiter NVIDIA : il bâtit une alternative stratégique complète. L’entreprise met en œuvre une stratégie d’intégration verticale ambitieuse, visant à briser la dépendance à l’écosystème CUDA et à contester la domination de NVIDIA. En développant ses propres briques matérielles et logicielles, Huawei pose les bases d’une infrastructure souveraine, capable de rivaliser sur le long terme tant en puissance qu’en autonomie technologique. Au cœur de cette stratégie se trouvent :

  • CANN, équivalent de CUDA, qui expose les capacités des GPU Ascend via des bibliothèques et outils de bas niveau ;
  • Photon, moteur de compilation et d’optimisation des modèles IA, analogue à TensorRT, pour maximiser les performances ;
  • MindSpore, un framework IA maison destiné à remplacer TensorFlow ;
  • ModelArts, plateforme cloud intégrée, concurrente de DGX Cloud ;
  • Ascend, la ligne de puces NPU/GPU conçue pour rivaliser avec les A100/H100 de NVIDIA.
  • Afin de réduire les obstacles techniques à la transition pour les grands clients actuels de NVIDIA (Tencent, ByteDance, Alibaba), Huawei pense à mettre en place une structure intégrant CUDA ou compatible avec celui-ci.

Cette approche vise à garantir à la Chine un écosystème IA entièrement national, résilient face aux sanctions américaines. Elle s’appuie sur des investissements massifs, le soutien de l’État, et une base industrielle intégrée.

Huawei commence à collaborer avec des entreprises dans des pays comme l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis ou encore la Thaïlande, en s’appuyant sur une version antérieure de sa puce (Ascend 910B). Cette démarche vise à pénétrer les marchés périphériques de NVIDIA. Elle s’inscrit dans une stratégie inspirée du principe “occuper d’abord les villages pour ensuite encercler les villes”.

Conclusion 

À long terme, la levée de l’interdiction pourrait avoir des effets ambivalents.

Pour NVIDIA, elle représente une respiration financière bienvenue, permettant de récupérer une partie de son marché chinois et de valoriser des stocks déjà produits. Cela renforce aussi sa position de quasi-monopole mondial dans l’IA commerciale. Toutefois, cette dépendance au marché chinois pourrait devenir une vulnérabilité stratégique si le climat politique se détériore à nouveau.

Pour la Chine, l’accès à la puce H20 représente une solution temporaire, mais risque de freiner la progression vers une autonomie technologique véritable. Tant que les géants chinois de la tech peuvent continuer à s’équiper, même partiellement, avec des puces NVIDIA bridées, l’adoption des alternatives nationales comme les GPU Ascend de Huawei serait potentiellement ralentie. Cette dynamique crée un véritable “piège technologique” : la Chine avance dans le domaine de l’IA, mais dans un cadre restreint, défini par une architecture américaine sujette à des interruptions soudaines. Une forme de “mort subite”, déjà observée par le passé. Une chose est donc certaine : la Chine ne renoncera jamais à son objectif d’autosuffisance technologique.

Enfin, du point de vue du système international, cette affaire illustre un nouvel équilibre technologique global. Les sanctions ne visent plus uniquement à interdire, mais à calibrer la progression des puissances concurrentes. Les États-Unis cherchent à ralentir l’innovation chinoise sans couper entièrement les canaux d’interdépendance, afin de conserver un levier d’influence durable. Cela pourrait devenir un modèle de contrôle technologique pour d’autres secteurs stratégiques, tels que les réseaux quantiques, les biotechnologies ou l’énergie avancée.

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[1] La vente des GPU Nvidia H20 repart en Chine, Le Monde informatique, Prasanth Aby Thomas, IDG NS (adapté par Serge Leblal) , publié le 15 juillet 2025.

[2] Le PDG de Nvidia dit que la puce de Huawei est comparable à la H200 de Nvidia, Reddit, (https://www.reddit.com/r/LocalLLaMA/comments/1kxw6b9/nvidia_ceo_says_that_huaweis_chip_is_comparable/?tl=fr)

[3] Cf. Alex Wang, La guerre des semi-conducteurs sino-américaine : la messe est-elle dite ? Revue Conflits, le 17 août 2022.

[4] Apaisement sur les droits de douane : la Chine met fin à l’interdiction de livraison de Boeing, le 13 mai 2025 à 14h00 par Joël Ricci dans Airjournal.

[5] CUDA (Compute Unified Device Architecture) est une plateforme de calcul parallèle et un modèle de programmation développé par NVIDIA, qui permet aux développeurs d’utiliser la puissance des GPU (processeurs graphiques) pour bien plus que le graphisme — notamment pour l’intelligence artificielle, le deep learning, la simulation scientifique et le calcul haute performance (HPC).

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À propos de l’auteur
Alex Wang

Alex Wang

Titulaire de deux doctorats (philosophie et ingénierie) et familier des domaines clés de la NTIC, Alex Wang est ancien cadre dirigeant d’une entreprise high tech du CAC 40. Il est également un observateur attentif des évolutions géopolitiques et écologiques.

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