Saint-Cyr : réforme de l’Académie

9 janvier 2022

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Photo : Ceremonie en hommage aux Saint-Cyriens

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Saint-Cyr : réforme de l’Académie

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Le creuset de tous les jeunes officiers de larmée de Terre fait évoluer sa formation. Plus réaliste et plus exigeante sur les plans physique, technique, moral, elle vise à  mieux préparer les chefs au retour de la guerre de haute intensité.

Cette rentrée 2021 des trois écoles de l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan est un peu particulière. Les 455 élèves qui ont rejoint les écoles de lande bretonne pour débuter leur formation initiale au métier d’officier dans l’armée de Terre seront les premiers à véritablement bénéficier de la réforme élaborée au cours des deux années qui viennent de s’écouler, sous la houlette du général Patrick Collet, son chef jusqu’à l’été. C’est à la demande expresse du général Thierry Burkhard, lorsque celui-ci est nommé chef d’état-major de l’Armée de Terre en 2019, que ce fantassin parachutiste a sculpté, avec une petite équipe d’experts, une nouvelle matrice commune aux différentes filières baptisée « ESCC 2030 ». Il a pour mission de remettre au centre du parcours initiatique et initial du futur officier les notions de « singularité du chef militaire » et « d’esprit guerrier ». Dans ses allocutions, l’ex-patron de l’armée de Terre soulignait volontiers que le point clé de tout engagement militaire est « la formation des chefs ». Laccent, selon lui, devait être porté « sur la maîtrise tactique » et sur « l’état desprit » : les futurs chefs « doivent comprendre tout ce que recouvre la singularité militaire ».

Ces nouveaux impératifs découlent des plus récentes réflexions des stratèges sur  l’évolution des relations internationales et le spectre des menaces probables. Après la période de redécouverte de la guerre et de la mort au combat, au cours de la décennie 2008-2018, en Afghanistan d’abord (90 morts) puis au Sahel (55 morts) et au Levant, caractérisée par une dominance dengagements de type contre-insurrectionnels et contre-terroristes, les états-majors anticipent un retour au premier plan des conflits de type « haute intensité » ; une multiplication des chocs où les troupes seront confrontées à un ennemi de taille comparable, où elles pourront perdre temporairement l’avantage des feux et de la supériorité aérienne, où la dureté et la durée des engagements pourraient éprouver leur capacité à se régénérer, la solidité de l’arrière. Depuis quelque temps, les Européens de l’Est, encouragés par les États-Unis, agitent la résurgence de la menace russe comme un chiffon rouge. À Paris, les experts militaires préfèrent évoquer la Turquie comme  nouveau maître étalon de la remontée en puissance et de la modernisation de notre outil militaire. Ankara a multiplié les démonstrations de force et les postures agressives dans la cour géostratégique des Occidentaux, et en particulier celle de la France : en Syrie, en Libye, en Méditerranée Orientale et tout dernièrement au Haut-Karabakh.

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La montée des dangers

Début juillet, aux députés de la commission de la Défense qui l’auditionnaient pour la dernière fois avant son adieu aux armes, le général Lecointre glissait cet avertissement, passé relativement inaperçu : « Les dangers qui nous guettent se rapprochent de nous ». Dans son premier ordre du jour en date du 22 juillet, son successeur, le général Thierry Burkhard, a renchéri. Sur terre, sur mer, dans les airs,  lespace et le cyberspace, partout, écrit-il, les manifestations de puissance s’expriment dans un « continuum compétition-contestation-affrontement […] qui nous oblige collectivement à envisager toutes les hypothèses dengagement, et surtout les plus exigeantes ». Nommé par ce dernier cet été à la tête de l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan en remplacement du général Collet appelé à d’autres fonctions, le général Hervé de Courrèges hérite de la mission de mettre en œuvre sa nouvelle feuille de route. Il confie à Conflits : « elle va modeler les officiers qui commanderont dès demain des unités élémentaires, et dont les meilleurs seront les généraux des années 2050. Cette évolution nous engage pour les 30 prochaines années ».

C’est le signal d’un retour aux fondamentaux pour linstitution descendant en droite ligne de l’école créée en 1802 par le Premier consul Napoléon Bonaparte dans l’intention de fournir des chefs compétents à l’embryon de sa future Grande Armée. Depuis 1944, toutes ses filières sont regroupées sur la commune de Guer, dans le Morbihan, en bordure dun camp militaire s’étendant sur 2 500 hectares. Un « isolement » qui lui permet d’offrir toutes les infrastructures nécessaires à l’éducation des jeunes élèves officiers : amphithéâtres et logements modernes, parcours sportifs et d’aguerrissement, stands de tir, grands espaces pour l’entraînement et la manœuvre tactique d’unités constituées. Il n’y a pas si longtemps encore, conséquence directe des « dividendes de la paix » et d’une armée abonnée aux opérations de maintien de la paix, les chefs de cette institution au prestige et au rayonnement international comparable à celui de lacadémie royale de Sandhurst, au Royaume-Uni ou de West Point, aux États-Unis, vantaient d’abord aux visiteurs extérieurs les mérites de cette « grande école de management »… Sans rien sacrifier aux exigences posées par le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche pour valider les titres d’ingénieur et de master 2 qui sanctionnent la formation des jeunes Saint-Cyriens, ils viennent de tourner officiellement cette page pour la faire entrer de plain-pied dans une nouvelle ère. Ce cap a été officiellement franchi en juin dernier avec son changement de nom. Exit les Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan. Bienvenue à l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.

Des Écoles à l’Académie

En s’appropriant sa nouvelle bannière, la pépinière bretonne des chefs de l’armée de Terre a ouvert le chantier de sa mue en opérant, en amont de la rentrée 2021, une clarification et une simplification bienvenue de son « offre ». Elle s’articule désormais autour du triptyque ESM-EMIA-EMAC qui forme chaque année près de 2 000 élèves. Aucun changement notable pour les deux premiers cursus, dédiés à la formation des officiers de carrière. Le plus ancien et le plus renommé est l’École spéciale militaire (ESM) dite « la Spéciale ». La « grande école du commandement » continuera à recruter de jeunes étudiants à haut potentiel sur concours pour un cycle de formation durant trois ans. Pour l’essentiel, les candidats intègrent après deux ou trois ans de prépa (22 ans au maximum) ; une minorité (environ 10%) est recrutée sur titre à bac + 5 pour intégrer directement la dernière année (âge limite : 25 ans). Au nombre d’environ 160, dont 10% de femmes et une dizaine d’élèves étrangers par promotion, les « Cyrards » constituent le vivier des futurs généraux. Quant à l’École Militaire Interarmes (EMIA), créée en 1961 pour bien dissocier cette voie du recrutement interne, elle incarne le fonctionnement intact de l’ascenseur social et de la promotion au mérite au sein de l’institution : plus âgés (jusqu’à 37 ans), ses candidats proviennent des rangs des sous-officiers et des militaires du rang, pourvu qu’ils soient bacheliers et affichent au moins trois ans de service ; une centaine intègre chaque année ce cursus s‘étalant sur deux ans.

En revanche, les formations dédiées aux officiers appelés à servir pour une durée déterminée, dont le volume est beaucoup plus important, ont été fondues dans un tronc commun : la nouvelle École militaire des Aspirants de Coëtquidan (EMAC). Pour l’essentiel, on y retrouve le cours des officiers sous contrats (OSC) de la filière commandement et spécialités (juristes, communicants ou encore pilotes ; près de 35 options au total), qui ont été allongés de 8 à 12 mois pour répondre aux nouvelles exigences pédagogiques. Un reliquat est constitué des promotions d’élèves officiers de réserve (EOR), dont la scolarité est plus courte, et du programme spécifique – et très attractif – des étudiants recrutés auprès des grandes écoles partenaires. Lannée dernière, cette formation au « leadership » conçue pour les étudiants des grandes écoles de commerce, dingénieur et de sciences politiques a été prise dassaut : ils furent 150 candidats pour 30 places disponibles. Preuve que « Le nouveau Saint-Cyr séduit déjà au-delà des rangs des « fana  mili » », se réjouissait cet été le général Patrick Collet.

Dès l’hiver dernier, l’expatron de « Coët » a commencé à activer l’un des grands objectifs de la réforme : redonnerdu poids au volet militaire de la formation initiale. Outre des séances de sport et de tir musclés afin de « durcir » physiquement et moralement toutes les recrues, leur formation militaire initiale sera « plus longue, plus dure et davantage axée sur les tactiques du fantassin ». Le module basique de référence imaginé dans les années 1990, baptisé « Proterre », fait place à un menu plus « offensif ou agressif » dénommé « concept commun du combat terrestre » ou « C3T », élaboré par le général Pierre Schill avant qu’il ne devienne cet été le nouveau chef d’état-major de l’armée de Terre. De surcroît, les périodes de mise en situation seront multipliées. Les Saint-Cyriens qui ont achevé leur scolarité cet été ont eu la chance d’en bénéficier. Ils ont notamment participé à de vrais exercices organisés autour de Coëtquidan avec les légionnaires de deux compagnies du 2e régiment étranger d’infanterie (2eREI) qui rentraient du Mali. Pendant plusieurs jours, chacun leur tour, ils ont endossé leur futur rôle de chef de section et commandé à des professionnels aguerris, élaborant les ordres et assurant ensuite la conduite d’une trentaine d’hommes dans une manœuvre d’ensemble, sous l’œil attentif des instructeurs. Pour ceux qui ont intégré l’ESM à la rentrée, âgés de 20 ans en moyenne, cette séquence militaire démarrera dans les prochaines semaines par une immersion de 3 mois avec le grade de sergent dans l’un des Centres de formation initiale des militaires du rang (CFIM) de l’armée de Terre. Jusqu’alors, cette découverte de son quotidien et de ses métiers, qui leur permettra d’éprouver leur vocation, ne durait qu’un mois et arrivait plus tard dans l’année.

Réforme académique

Le second volet de la réforme est académique et sera commun aux trois écoles. Il va entrer progressivement en application à partir de cet automne. Leur enseignement va senrichir dune couche supplémentaire appelée « Culture militaire et art de la guerre ». En cours d’élaboration (avec des contraintes d’emploi du temps déjà très chargé), le programme de cette nouvelle chaire affiche d’ores et déjà une introduction à la stratégie confiée au général Vincent Desportes, lancien patron de lÉcole de Guerre, auteur dune réflexion abondante et originale sur le sujet. La stratégie, compte-t-il expliquer à ses élèves, « est dabord lart de se poser les bonnes questions dans son rapport à l’autre, avec des réponses qui ne vont pas de soi, contrairement à la tactique, qui est plutôt l’art du rapport à la technique ».

Avant son départ, le général Collet expliquait à Conflits : « nos jeunes chefs sont tiraillés entre les codes du monde dont ils sont issus et ceux de leurs ennemis potentiels. Avec une formation qui évolue pour être plus réaliste et plus exigeante sur les plans physique, technique, moral, nous les armerons mieux pour relever quatre défis cardinaux pour leur mission : celui de la combativité du soldat ; celui de l’autorité du chef ; celui de l’intelligence de l’officier ; celui de l’humanité de l’homme ». Un bagage qui, précise le général, doit les aider, très concrètement, à : « passer dun théâtre dengagement à lautre, sans préavis ; se montrer aussi à laise en France qu’à l’étranger, dans un engagement rapide et victorieux ou dans un conflit long et incertain ; maîtriser une technologie complexe autant que de sen passer ; prendre des décisions qui engageront la vie de leurs hommes, dautres hommes, et la leur. Et de lassumer ».

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L’armée de Terre durcit aussi sa formation continue

Son modèle inspire les réformateurs de l’ENA 

En cinq ans, l’institution a entièrement toiletté le parcours de formation continue des officiers pour l’adapter à la nouvelle donne stratégique. L’impulsion a été donnée par le général Jean-Pierre Bosser, patron de l’armée de Terre de 2014 à 2019, période au cours de laquelle, sous la pression des attentats terroristes, les autorités politiques ont initié la remontée en puissance des Armées. L’objectif est double : « durcir et préparer l’engagement » ; « former des experts ». La mise en œuvre a été pilotée par les directeurs successifs du Centre d’enseignement de la doctrine et du commandement (CDEC), à l’École Militaire, à Paris : les généraux Pascal Facon, Michel Delion et, aujourd’hui, Pierre-Joseph Givre.

Première brique de ce parcours s’étendant sur plusieurs années, l’École d’état-major de Saumur a vu son cycle s’allonger de 9 à 12 semaines. « Il fallait convertir les jeunes officiers, de vrais chefs de bande, en spécialistes de la conduite de projets simples dans des PC de niveau bataillon et brigade », résume un expert. À l’issue, âgés en moyenne de 30 à 35 ans, les volontaires passent le concours de l’École de guerre. C’est l’étape nécessaire pour accéder au grade de colonel et ensuite aux plus hautes responsabilités. Les épreuves sont communes aux candidats des trois armées, à l’exception d’une seule. Ceux qui échouent passent un diplôme technique. Ceux qui réussissent commencent par « un temps de transformation » préalable de 18 mois environ.

Regroupés pour un an à l’École de guerre-Terre, ils s’initient au commandement des opérations aéro-terrestres. En avril, pour la première fois, ils ont rejoint Fort Hood, au Texas, pour participer sur 10 jours à l’exercice allié Warfightersimulant un conflit de haute intensité. Il y a deux ans, l’état-major des Armées leur avait confié la mission d’imaginer l’avenir de l’opération Barkhane ; leurs réflexions ont inspiré la décision prise début 2020 d’étoffer le dispositif et de le recentrer sur le fuseau sud-est du Mali pour casser les reins de l’EIGS, la franchise de Daech au Sahel. Á l’issue, tous effectuent une opération extérieure, où ils exercent une fonction très opérationnelle qui leur donne un avant-goût de leur deuxième partie de carrière.

De retour en France, les officiers rejoignent leurs camarades aviateurs et marins à  l’École de guerre pour une année complète de scolarité dense. C’est l’étape de l’acculturation aux problématiques « interarmées ». Promus lieutenant-colonel à la sortie, les meilleurs enchaînent par une formation spécifique à HEC, à Polytechnique, à l’Inalco, à l’Ensta, aux Mines ou encore aux Ponts. Ils y étudient un domaine crucial pour les armées, comme le cyber, les langues, la logistique ou encore les systèmes d’information. Depuis un an, ceux qui le souhaitent peuvent aussi mettre à profit ce cycle de 3 ans et demi pour valider un doctorat. Les cinq premiers volontaires viennent d’intégrer l’école doctorale de l’ESCP Business School à Paris. « Jusqu’à présent, nous  demandions aux officiers d’empiler les masters ; nous leur permettons enfin de les valoriser », résume un chef.

Ce modèle fait aujourd’hui référence dans la haute fonction publique. Le rapport Thiriez sur la réforme de l’ENA s’en est officiellement inspiré pour dessiner les contours de l’Institut national du service public qui verra en théorie le jour le 1er janvier 2022. « La formation des futures élites civiles de l’État alliera les recettes qui sont efficaces à Saint-Cyr avec celles qui préparent à l’École de Guerre », dit-on du côté de l’École Militaire.

 

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Mériadec Raffray

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