Bonaparte et Napoléon, maîtres de la propagande

28 juillet 2025

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Bonaparte et Napoléon, maîtres de la propagande

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Napoléon Bonaparte fut un maître de la propagande. Journaux, tableaux, littérature, tout fut utilisé pour créer sa geste et diffuser l’image de sa grandeur, créant ainsi un véritable marketing politique.

Nous sommes le 14 juin 1800. À Marengo, petite bourgade de la vallée de la Bormida, près d’Alessandria dans le Piémont, l’armée de réserve française, commandée par le 1er Consul Bonaparte, fait face à l’armée autrichienne de la 2e coalition commandée par le feld-maréchal von Melas. À 14h, l’armée française est défaite. À 17h, l’arrivée des divisions Boudet et Desaix renverse le sort des armes. À la nuit, Bonaparte a remporté la victoire. Jean Tulard peut dire « Le travail de la légende napoléonienne a débuté à Marengo ». Car, sa légende, le général Bonaparte, puis l’Empereur Napoléon vont la construire, l’entretenir, l’embellir et la rendre immortelle avec une communication et une propagande très élaborée et basée sur le récit et l’image. Le but est de développer un travail mémoriel en utilisant la mise en forme journalistique et littéraire et les arts, en particulier la peinture. C’est l’Empereur qui va mettre en scène sa propre légende.

Le storytelling ou mise en récit

Le soir de la bataille de Marengo, Bonaparte lui-même dicte son 1er bulletin des armées de la Réserve : la retraite de 14h est devenue un repli stratégique, un piège tendu aux Autrichiens pour accéder à la victoire. Dès 1797, Bonaparte a saisi l’importance de la presse comme instrument de propagande politique pour diffuser au plus grand nombre les exploits de son armée et entretenir son image de stratège et de conquérant. Mais aussi à fournir au soldat qui a combattu « des matériaux aux causeries des bivouacs ». Il publie alors deux journaux, Le Courrier de l’Armée d’Italie et La France vue de l’Armée d’Italie.

À lire aussi : Histoire bataille – Napoléon Bonaparte. Austerlitz (2 décembre 1805). Un chef-d’œuvre de A à Z

Le 12 octobre 1805, le 1er Bulletin de la Grande Armée est publié. C’est le récit officiel des campagnes avec 3 objectifs : expliquer les batailles, exalter les victoires et assurer la postérité. On peut ajouter : confirmer le génie de l’Empereur. Dictés par Napoléon, ils sont remis en forme par les officiers de son état-major. Une série de 37 bulletins après Austerlitz (1805), puis 87 bulletins d’octobre 1806 à juillet 1807 et 4 autres séries de bulletins couvrant les campagnes de 1809 (30), 1812 (29), 1813 (61) et 1814 (23). Les Bulletins sont envoyés aux préfets et sont ensuite distribués, placardés sur les murs, lus en chaire lors du sermon dominical, dans les cabarets ou dans les théâtres et également dans les lycées. Alfred de Vigny raconte dans « Servitudes et grandeur militaire » : « Les maîtres ne cessaient de nous lire les Bulletins de la Grande Armée et nos cris de “Vive l’Empereur” interrompaient Tacite et Platon. »  Il faut impérativement toucher une part importante de la société. Tout en étant haletants et glorieux, ces Bulletins modifient les événements, amplifient les hauts faits et minimisent les échecs ou les pertes, ce qui fait naître une expression dans l’armée et la société : « menteur comme un bulletin ». Ils vont également mentionner les hommes et régiments qui se sont illustrés au combat et qui font l’objet d’une citation. Le général Bonaparte met en scène son épopée pour conquérir le pouvoir. L’Empereur Napoléon va consolider son image non seulement en tant que conquérant, mais aussi en mettant ladite image (ou aura) « au service » des arts en organisant un environnement artistique à sa gloire. Il parvient à enrôler une armée d’artistes pour construire le récit enjolivé de ses conquêtes.

La stratégie d’image

Napoléon met en place un culte de la personnalité ancré dans l’héroïsme, la bienveillance et la compétence. Pour ce faire, il va s’appuyer sur des peintres pour que son pouvoir soit magnifié de façon imaginative, centré sur son personnage, mais aussi sur sa présence sur les champs de bataille. Il met alors en œuvre une véritable propagande basée sur une stratégie d’image. Napoléon joue de l’impact de la peinture d’histoire sur le grand public, de nombreux peintres ont pour mission la célébration universelle de ses hauts faits.

Il va d’abord imposer son image de général courageux et de consul attentif aux besoins de son peuple et à la gloire de la patrie, puis, en s’associant visuellement avec les rois et empereurs du passé, il se transforme en dieu olympien incontestable lorsqu’il devient empereur. Pour diriger cette stratégie, l’Empereur nomme en 1803 Dominique- Vivant Denon (1747-1825) directeur des arts, baptisé « l’œil de Napoléon », qui décide des commandes et choisit les artistes qui les réalisent. Déjà en 1796, le peintre Antoine-Jean Gros (1771-1835) réalise un portrait de Napoléon immortalisant la traversée du pont d’Arcole (qui sera sujet à caution). En 1802, le même Antoine-Jean Gros est commissionné pour réaliser un portrait du premier consul. Ce portrait en pied, représentant Bonaparte dans le costume rouge des consuls, fut particulièrement apprécié, pour que Napoléon commande des répliques au peintre pour les villes de Lille, Lyon et Rouen. Jacques-Louis David (1748-1825) va réaliser le célèbre tableau Bonaparte au col du Grand-Saint-Bernard, exemple archétypique de la légende et qui travestit la réalité, comme nous allons le voir par la suite. Un autre exemple de la propagande par l’image est un tableau extraordinaire du même Jacques-Louis David intitulé « Le sacre de l’Empereur Napoléon 1er » où, là encore, le peintre prendra quelques libertés avec la réalité historique !! Les tableaux vont également être utilisés pour effacer des échecs en promouvant l’image « humaniste » du 1er Consul. Pour mettre en avant cette image, Antoine-Jean Gros va peindre Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa (1979) et Pierre-Narcisse Guérin (1774-1833) Napoléon pardonnant aux révoltés du Caire (1808).

La peinture de batailles va s’exprimer dans les œuvres de Carle Vernet (1758-1836), Antoine-Jean GrosAnne-Louis Girodet (1767-1824), Claude Gautherot (1769-1825), Charles Meynier (1768-1832) ou Jean-Baptiste Debret (1768-1848), jusqu’au jeune Horace Vernet (1789-1863), qui exercent ses talents tout à la fin de l’Empire. Les scènes se concentrent sur Napoléon et son état-major, comme chez Gros, Vernet, Gautherot etc. Dans ces scènes militaires, Napoléon est souvent représenté à cheval au milieu de ses maréchaux, dans une attitude martiale. On ne le voit jamais combattre, ni même brandir une arme. Il adopte, au contraire, une attitude posée et rassurante, comme le montre le tableau d’Antoine Jean Gros Napoléon à la bataille d’Eylau (1808).

Le pinceau ne suffira pas. Napoléon va s’employer à diffuser son portrait partout sous la forme de pièces de monnaie, médailles, gravures, estampes, tabatières et bustes sculptés.

La maîtrise de l’opinion publique

Les vecteurs de communication ci-dessus sont utilisés dans un but d’établissement d’un culte de la personnalité. Selon Matthieu Creson, Napoléon est « un meneur de foule autoritaire et divinisé en quête permanente de prestige ». Dans son livre Psychologie des foules, Gustave Le Bon (1841-1931) écrit : « Napoléon pénétrait merveilleusement la psychologie des foules françaises, mais il méconnut complètement parfois celle des foules de races différentes. Cette ignorance lui fit entreprendre, en Espagne et en Russie notamment, des guerres qui préparèrent sa chute ».

À lire aussi : Napoléon III, le souverain incompris. Entretien avec Joachim Murat et Olivier Pastré

Selon Joseph Pelet de la Lozère (1785-1871), Napoléon aurait déclaré devant le Conseil d’État, en 1804 : « Je respecterai les jugements de l’opinion publique quand ils seront légitimes ; mais elle a des caprices qu’il faut savoir mépriser. C’est au gouvernement et à ceux qui en font partie de l’éclairer, non de la suivre dans ses écarts. J’ai pour moi la volonté de la nation et une armée de cinq cent mille hommes ». Bonaparte puis Napoléon tirent leur légitimité du peuple, reposant sur un exécutif fort et structuré. Napoléon a imposé sa légende à l’opinion publique. Il s’est créé une image à la fois héroïque et immédiatement identifiable qui se décline aussi bien dans le narratif et dans les grandes peintures académiques, mais aussi dans ses tenues (le petit chapeau et la redingote grise) et sa gestuelle (la main dans le gilet).

Marketing politique ?

Alors, Napoléon est-il un excellent directeur de casting doublé d’un redoutable directeur des ressources humaines et d’un as du marketing politique ? Sans nul doute, Napoléon a su s’entourer de personnalités compétentes qu’il a choisies ou fait évoluer : militairement avec les maréchaux, généraux, officiers et sous-officiers, et administrativement avec les ministres, les directeurs d’administration centrale et les préfets. Cette organisation est encore, en grande partie, structurellement en place aujourd’hui. En ce qui concerne le marketing politique, il est intéressant de noter que le 1er Consul, puis l’Empereur ont su se mettre en avant, soit convaincre, sensibiliser l’opinion publique par l’émotion, se faire reconnaître et se faire aimer, autant de techniques utilisées par le marketing politique actuel. Mais, la comparaison peut s’arrêter là. Napoléon n’est pas un produit qui a été mis sur le marché. C’est un personnage qui s’est imposé dans un pays secoué par une révolution et qui a, certes, employé des méthodes nouvelles pour établir un culte de la personnalité confinant à un mythe. En 2014, l’historien Jean Tulard avançait le nombre (invérifiable) de 80 000 ouvrages écrits sur l’empereur, soit plus d’un par jour depuis sa naissance à Ajaccio. La construction de cette mythologie se poursuit au-delà de la chute de l’Empire, à destination de la postérité, comme en témoigne Le Mémorial de Sainte-Hélène. Aujourd’hui, à Paris, les rues, boulevards, ponts, monuments et même des stations de métro célèbrent la légende napoléonienne !!

Notes

Story Telling

Également appelée mise en récit, est une méthode de communication fondée sur une structure narrative du discours qui s’apparente à celle des contes et des récits. Cette méthode est, en particulier, utilisée en stratégie de marque et en marketing politique.

Bonaparte au col du Grand-Saint-Bernard par Jacques-Louis David.

La composition relate la traversée des Alpes par Bonaparte sur un cheval cabré, bravant les éléments, avant sa fameuse victoire à Marengo contre l’Autriche en juin 1800. David va conférer à l’évènement une grandeur légendaire et utilise un portrait équestre généralement réservé aux héros ou aux guerriers conquérants. Ainsi, David emprunte le geste d’allocution à la fameuse sculpture de Marc-Aurèle sur place du capitole à Rome. Le vent s’engouffre dans la cape, le cheval est cabré, le 1er Consul maîtrise parfaitement sa monture.   L’absence de second plan grandit Bonaparte et son cheval qui dominent l’ensemble de la composition. Ainsi, Bonaparte s’associe visuellement par le choix de la composition aux grands dirigeants politiques et militaires du passé. En fait, avec ce tableau, Bonaparte manipule l’histoire. En réalité, il effectua ce passage des Alpes à l’arrière-garde sur un mulet, comme le reproduira Paul Delaroche (1797-1859) dans son tableau Bonaparte franchissant les Alpes (1848).

D’après Sitzia E.

https://raisonpublique.fr/937/#:~:text=Dans%20ses%20portraits%20les%20traits,politiques%20et%20militaires%20du%20pass%C3%A9.

« Le sacre de l’Empereur Napoléon 1er » par Jacques-Louis David.

Après le consulat à vie établi en 1802, le Conseil d’État, s’inspirant du mythe de Charlemagne, suggère en 1804 l’instauration du régime impérial. Une nouvelle constitution confie le gouvernement de la République à Napoléon Bonaparte, qui devient empereur héréditaire.

Le tableau qui va représenter la cérémonie du sacre est confié à Jacques-Louis David. La vaste composition de 9 mètres sur 6, qui rassemble plus de deux cents figures, donne l’impression d’une scène vivante. La ressemblance des personnages et le détail des costumes confèrent à cette toile le réalisme d’une galerie de portraits.

Le tableau de David est bien une œuvre de propagande, comme toute la production de l’époque napoléonienne. Mais si la composition s’identifie à l’Empire, David fait œuvre d’historien en exposant un répertoire des personnalités du régime avec un réalisme certain.

L’œuvre a un sens politique : couple impérial, pape, cardinaux et maréchaux sont en pleine lumière tandis que courtisans, frères et sœurs sont dans l’ombre. Et, pour la postérité, l’Empereur se sacre lui-même, symbole de l’autorité parfaite.

Pour aller plus loin

Tulard J. « Marengo ou l’étrange victoire de Bonaparte » Ed. Buchet-Chastel 2021.

Tulard J. « Napoléon vérités et légendes » Ed. Perrin 2025.

Mauduit X. «L’homme qui voulait tout » Ed.Autrement 2015.

Bertaud J.P « Napoleon journaliste : les bulletins de la gloire »

https://shs.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2005-1-page-10?lang=fr&tab=sujets-proches

Creson M. “Napoléon par Gustave Le Bon : un meneur de foule autoritaire et divinisé en quête permanente de prestige » https://www.revuepolitique.fr/napoleon-vu-par-gustave-le-bon-2-2-un-meneur-de-foules-autoritaire-et-divinise-en-quete-permanente-de-pres

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À propos de l’auteur
Alain Bogé

Alain Bogé

Enseignant en Géopolitique et Relations Internationales. HEIP Hautes Etudes Internationales et Politiques - Lyon. Czech University of Life Sciences-Dpt Economy - Prag (Czech Republic). Burgundy School of Business-BSB - Dijon-Lyon. European Business School-EBS - Paris.

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