Les Émirats arabes unis multiplient les stratégies d’influence à travers le monde, pour mieux défendre leurs intérêts stratégiques, se positionner dans la course aux ressources africaines et tenter d’affaiblir leur meilleur ennemi, le Qatar. Une approche qui dépasse largement la simple « opération-séduction ».
A l’image d’autres pétromonarchies du Golfe, les Émirats arabes unis (EAU) déploient, depuis de nombreuses années maintenant, de tentaculaires stratégies d’influence. Qu’il s’agisse de traditionnelles campagnes de nation branding, d’opérations de guerre économique ou de rivalités régionales larvées, le soft power émiratis s’étend désormais sur tous les fronts. Économie numérique bien sûr, mais aussi intelligence artificielle (IA), investissements à l’étranger, mainmise sur les matières premières, « coups » géostratégiques plus ou moins couronnés de succès… : Abou Dhabi fait feu de tout bois.
Conquérir les âmes et cœurs occidentaux
A la fois vitrine et instrument de ce soft power conquérant, la ville de Dubaï incarne, dans sa démesure, toutes les ambitions des EAU. En quelques années à peine, la mégalopole émiratie s’est imposée comme la capitale mondiale de l’influence – et la Mecque des influenceurs, qui sont 15 000 à y avoir élu domicile. Car au-delà des figures caricaturales de l’influenceuse bling-bling et de son pendant masculin VRP en cryptomonnaies, c’est toute une stratégie concertée que déploient les autorités émiraties. Au moyen notamment d’un fonds dédié, le Content Creators Support Fund, qui alimente lui-même Creator HQ, une initiative visant à renforcer l’attractivité des EAU en positionnant son écosystème numérique comme un levier d’influence globale.
Selon Luidgy Gabriel Belair, attaché macroéconomique au ministère français de l’Économie, « la politique publique de l’influence (des EAU) nourrit le déploiement d’un soft power émirati dans le monde ciblant la jeunesse ». Pour Dubaï, les réseaux sociaux représentent, à ce titre, « un puissant vecteur de rayonnement » – mais aussi un moyen de façonner, plus discrètement, les opinions publiques. En novembre dernier, l’AFP révélait ainsi qu’opère sur le réseau social X (ex-Twitter) une nébuleuse comptant plus de 2 000 faux comptes, qui multiplient les contenus favorables aux EAU. Une campagne d’influence coordonnée, qui vise selon le chercheur Sébastien Boussois à véhiculer « une image très attractive (…) pour les Occidentaux ».
Mais aussi à opérer « une sorte de maquillage » sur d’autres sujets, poursuit l’expert en géopolitique, selon qui « ces stratégies de ‘’soft power’’ permettent de faire passer un agenda un peu plus offensif en termes de ‘’hard power’’, que ce soit militaire ou politique, à travers l’influence des Émirats sur un certain nombre de pays dans la région, sur l’étouffement des printemps arabes, sur le soutien au retour d’un certain nombre de dictateurs au Moyen-Orient et en Afrique ». L’Afrique est en effet un terrain d’action stratégique pour les Émirats arabes unis. Le pays aspire à tisser des liens avec certains États-clés et factions militaires majeures d’Afrique de l’Est. Et cherche à tout prix à se positionner sur les ressources de la Corne de l’Afrique, un enjeu vital pour les Émirats arabes unis, encore pleinement dépendants des importations alimentaires étrangères – à hauteur de 85 %.
Une stratégie d’influence qui se décline en Afrique et au Qatar
Depuis une dizaine d’années, l’influence émiratie a passé un cap dans la région. Le pays est désormais un soutien affirmé des forces paramilitaires (FSR) au Soudan, qui se heurtent depuis 2023 à l’armée gouvernementale. Depuis une quinzaine d’années, les Émirats arabes unis ont d’ailleurs la main sur plusieurs milliers de kilomètres carrés de terres arables soudanaises, dans la très fertile région de la Gezira. Le pays est militairement présent en Érythrée avec une base nouvelle et y affirme son soutien face à l’Éthiopie voisine, contre qui les tensions restent larvées. En Égypte, Abou Dhabi a multiplié les investissements pour contribuer au développement du potentiel touristique du pays. En Libye, les Émirats arabes unis ont, comme la France et la Russie, apporté un soutien appuyé au camp du maréchal Haftar, avant d’y renoncer. Souvent resté discret sur la scène internationale, le pays mène aujourd’hui un activisme diplomatique puissant. « Nous assistons à l’extension du pré carré des (EAU) en Afrique », s’inquiète auprès du Monde un ancien agent de la CIA.
Une stratégie d’influence qui se dessine aussi dans l’opposition systémique du pays avec son rival qatari. Ces dernières années, le média Emirates Leaks a ainsi dévoilé le soutien financier accordé par le pays à Humanity United, une Fondation de défense des droits humains, dont une partie de l’activité est dirigée contre le Qatar. L’ONG était, pendant la Coupe du Monde 2022, hyperactive pour relayer les soupçons d’atteintes aux droits humains régulièrement portés contre le pays. L’ONG française Sherpa, financièrement soutenue par Humanity United, a d’ailleurs mené plusieurs actions judiciaires contre le groupe de BTP Vinci et sa filiale qatarie QDVC – qui précise n’avoir jamais été engagée sur des infrastructures en lien avec cet évènement sportif -, sans succès jusqu’ici.
Pourtant, les relations franco-émiraties ont rarement été aussi fertiles. « Un partenariat stratégique en pleine expansion », affirme-t-on même du côté des pouvoirs publics. Le 6 février dernier, Emmanuel Macron recevait justement son homologue émirati, Mohammed ben Zayed Al Nahyane. Dans les valises de l’émir, un investissement de 30 à 50 milliards d’euros pour développer l’intelligence artificielle (IA) en France, mais aussi la mobilité durable ou encore la transition énergétique : de quoi renforcer, encore, le soft power émirati.