Géopolitique de l’énergie

26 novembre 2021

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Photo : Géopolitique de l’énergie. Crédits : canva
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Géopolitique de l’énergie

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L’énergie est un des principaux moteurs des économies industrielles et, à ce titre, un terrain propice à la confrontation des intérêts entre protagonistes dans un contexte de rareté de la ressource. Elle est donc tout d’abord facteur et déterminant de la guerre. En temps de paix, la confrontation des intérêts demeure par les moyens pacifiques que sont la structuration des marchés et la détermination des prix.

Les éléments constitutifs de la géopolitique de l’énergie

En temps de guerre, l’énergie est tout à la fois un facteur de guerre et un déterminant de la guerre. Pour ce qui est du temps de paix, cinq éléments sont aujourd’hui en train de reconfigurer la géopolitique mondiale de l’énergie. Il s’agit des contraintes de l’impératif climatique, de l’importance prise par le gaz aujourd’hui, du poids pris par la Chine et l’Inde dans la consommation mondiale d’énergie, de la réémergence des États-Unis comme premier producteur énergétique mondial, de la permanence du poids énergétique des pays du Golfe et de la Russie ainsi que de l’arrivée sur le marché de nouveaux acteurs étatiques.

La géopolitique de l’énergie en temps de guerre :  guerre et énergie

Depuis le premier conflit mondial, l’énergie est tout autant un facteur de guerre qu’un déterminant de la guerre. L’énergie devint en effet un déterminant de la guerre lorsque la mécanisation des forces armées fit que le poids de l’accès au pétrole devint une constante des opérations militaires. À cet égard, la Seconde Guerre mondiale fut près de 350 fois plus consommatrice de pétrole que la Première Guerre mondiale. En tant que déterminant, la suprématie de la flotte britannique sur la flotte allemande au cours de la Seconde Guerre mondiale tient à une décision de W. Churchill d’avant la Première Guerre mondiale d’équiper la flotte d’une propulsion au pétrole et non plus au charbon. La doctrine du Blitzkrieg allemande prenant appui sur la mobilité du char, son action combinée à l’aviation, les percées technologiques dans le domaine des transmissions et la recherche de l’effet de surprise est fondamentalement une doctrine visant à obtenir une décision militaire rapide parce que la configuration géopolitique de l’Allemagne limitait ses possibilités d’approvisionnement en pétrole et en matières premières pour une guerre longue. Enfin, la décision de 1942 qui déboucha sur la défaite allemande à Stalingrad détourna l’Allemagne de l’objectif de la prise de Moscou au profit d’une action militaire dans le Caucase en vue de prendre possession du pétrole de Bakou pour l’usage de ses forces et afin de bloquer le ravitaillement en pétrole des forces soviétiques.

L’énergie fut également un facteur de guerre lorsqu’en 1941 le Japon déclencha à Pearl Harbour sa guerre préventive contre les États-Unis pour échapper à l’asphyxie économique produite par l’embargo pétrolier américain. Au lendemain de la Seconde Guerre, l’intervention franco-britannique de Suez de 1956 fut une réponse à la nationalisation du canal de Suez par lequel transitait l’essentiel du pétrole importé par les Européens. Le premier choc pétrolier de 1973 fut également une réponse directe au soutien occidental à Israël attaquée en 1973 par une coalition menée par l’Égypte et la Syrie. La guerre Iran-Irak de 1980 à 1988 opposant deux pays qui produisaient à eux seuls le tiers du pétrole du Golfe et qui fit 1,2 million de morts trouve en partie son origine dans un conflit frontalier de délimitation pour la possession du pétrole du Chatt-el-Arab au débouché du golfe Persique. La première guerre du Golfe de 1990/1991 fait suite à l’invasion du Koweït par l’Irak pour la possession des réserves énergétiques du second. La seconde guerre du Golfe de 2003 pour le renversement de Saddam Hussein fut pour large part motivée par la volonté américaine de prendre le contrôle du pétrole irakien. L’embargo pétrolier est par ailleurs toujours une arme dans les litiges interétatiques, dont celui à destination de l’Iran, parce que sa possession de l’arme nucléaire ferait peser un grand risque sur le détroit d’Ormuz et sur Israël. Il est enfin probable que l’autosuffisance énergétique récente des États-Unis du fait de l’exploitation des hydrocarbures de roche les conduira à se désengager du Moyen-Orient pour se concentrer sur la Chine qui est devenue entre-temps sont principal adversaire stratégique. Dans les conflits intra-étatiques, la ressource pétrolière joue également un grand rôle en ce qu’elle alimente les soulèvements et les guerres internes pour le contrôle de sa rente comme c’est le cas aujourd’hui en Libye, au Tchad et au Soudan ainsi qu’aux abords du golfe de Guinée.

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Géopolitique de l’énergie en temps de paix :  la reconfiguration actuelle

En matière climatique, il a été calculé que le réchauffement climatique pourrait être limité à 1,5°C. en cas de neutralité carbone atteinte en 2050, à 2°C. si ce cap était obtenu en 2070 et à 2,5°C. s’il était obtenu en 2100. Dès lors, la question est celle des moyens nécessaires en vue d’atteindre cette neutralité carbone dans un contexte international marqué par une grande divergence des intérêts économiques et des moyens environnementaux des pays comme l’a récemment montré la COP 26 de Glasgow. En matière énergétique, cet objectif passe par la réduction de la consommation de charbon et des hydrocarbures au profit du nucléaire et des renouvelables. Pour ce qui la concerne, la consommation mondiale d’énergie devrait encore augmenter de 50% en 2030 par rapport à 2005 et la production annuelle de gaz naturel qui était de 3,9 milliards de m3 en 2018 avant la crise de la covid devrait continuer à progresser à l’horizon 2030/2040. Il en est ainsi parce qu’elle est une énergie de substitution moins polluante que le charbon dans un contexte mondial de tentative de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Au sein de cette production de gaz naturel, la part des gaz de roche mère, notamment américains, devrait également croître de façon notable.

La Chine concentre aujourd’hui 24% de la consommation mondiale d’énergie primaire et 18,5% de sa production mondiale. Elle est la première productrice mondiale de charbon avec une production de 3,8 milliards de tonnes, le 4eproducteur de gaz naturel avec une production de 191 Gm3 et le 6e producteur de pétrole avec une production de 195 millions de tonnes. Elle est également le premier importateur mondial d’énergie avec des volumes de, respectivement, 505 millions de tonnes pour le pétrole, 125 Mds m3 pour le gaz et 306 millions de tonnes pour le charbon. Cette situation ne peut que s’amplifier à l’horizon 2030 tandis que, dans son sillage, la consommation indienne d’énergie croît également. Celle-ci se situe au 3e rang mondial pour sa consommation derrière les États-Unis et la Chine avec, toutefois, un faible niveau de consommation par habitant. Elle est au 5e rang pour ses réserves de charbon qui correspondent à 10% des réserves mondiales et au 2e rang en production derrière la Chine. Ses réserves de pétrole et de gaz sont inférieures à 1% des réserves mondiales avec des productions qui ne couvrent que 16% de sa consommation de pétrole et 45% de gaz. Elle se situe enfin au 2e rang mondial pour ses importations de pétrole et de charbon. Ses énergies renouvelables couvrent toutefois 23% de sa consommation d’énergie primaire.

Grâce aux hydrocarbures de roche mère, les États-Unis qui étaient alors le premier importateur mondial de pétrole et de gaz en sont devenu le premier producteur mondial. Sa production de pétrole est ainsi passée de 333 à 747 millions de tonnes entre 2010 et 2019 et sa production de gaz de quelque 230 millions de m3 en 2010 à plus de 600 millions de m3 en 2019. L’ensemble ne devrait pas atteindre son pic avant 2030 même si la caractéristique des gisements de roche mère est qu’ils s’épuisent plus rapidement que les gisements conventionnels. Pour ce qui les concerne, la Russie et l’Arabie saoudite sont les 2e et 3e producteurs de pétrole avec des productions respectivement de 568 et 560 millions de tonnes en 2019. La Russie est également le premier exportateur de gaz naturel à destination de l’Europe et maintenant de la Chine avec une production annuelle de l’ordre de 650 milliards de m3. Enfin, la géographie mondiale de la production d’énergie s’est enrichie de nouveaux acteurs. Le Canada bénéficie aujourd’hui de ses immenses réserves de pétrole et de gaz de roche mère. Sa production annuelle de pétrole est aujourd’hui de 275 millions de tonnes de pétrole. Le Brésil est devenu un grand producteur de pétrole avec une production de 150 millions de tonnes annuelle grâce à la découverte récente d’importants gisements en eaux profondes au large de ses côtes. Enfin, les réserves énergétiques de l’Afrique sont également très importantes notamment en offshore offrant un fort potentiel de progression même si la production du continent n’est encore que de 400 millions de tonnes de pétrole par an. Les principaux gisements se trouvent dans le golfe de Guinée, au Nigeria, en Angola, au Gabon, au Ghana, au Niger et au Mozambique.

L’énergie en économie de marché : Logiques de marché et système de prix

En économie de marché, la géopolitique de l’énergie est pour l’essentiel conditionnée par la structure des marchés et la détermination des prix. En économie libérale, l’un comme l’autre sont déterminés par l’existence ou non d’entraves à la liberté du marché. Celles-ci prennent la forme de la nationalisation, du cartel, du pouvoir de marché et des contrats de long terme.

La structure des marchés de l’énergie

Au niveau des productions, l’énergie est tout d’abord un secteur puissamment capitalistique en raison de l’importance de ses coûts fixes et de la concentration des productions dans les mains de quelques grandes entreprises autour desquelles gravite une myriade de sociétés de service. À côté des compagnies étatiques qui contrôlent aujourd’hui 83% et 85% des réserves de pétrole et de gaz, les compagnies privées continuent à jouer un rôle fondamental dans l’exploration et l’exploitation des ressources énergétiques de la planète en y investissant quelque 30% du total mondial. Sur le premier élément, l’attachement au principe de souveraineté sur les ressources naturelles a fait que nombre d’États producteurs d’énergies du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Amérique latine ont nationalisé leurs productions énergétiques entre 1960 et 1980 quand les ressources de l’URSS et de la Chine l’étaient déjà depuis les révolutions de 1917 et de 1949. Il en résulta notamment la création de compagnies nationales comme Saudi Aramco pour l’Arabie saoudite, Nioc pour l’Iran, Sonatrach pour l’Algérie et PEMEX pour le Mexique. Les principales entreprises chinoises sont enfin la Sinopec, la CPC et la CNOOC. Sur le second élément des intérêts privés, les ressources énergétiques de la Russie ont été partiellement privatisées dans les années 1990 donnant naissance aux géants Gazprom et Lukoil tandis que la Saudi Aramco fut partiellement mise en bourse en 2019. En Occident, le démembrement en 1911 de la Standard Oil créée par Rockfeller au titre de la loi anti-trust américaine avait donné naissance à 6 compagnies privées dont Chevron, Exxon et Mobil. Aujourd’hui, font partie des majors mondiaux par ordre d’importance en termes de chiffres d’affaires la Royal Dutch Shell des Pays-Bas, ExxonMobil résultant de la fusion des deux compagnies en 1998, British Petroleum (BP) pour le Royaume-Uni, Total pour la France qui a fusionné avec Elf en 2000 et Gulf-Chevron.

Au niveau du transport, la géopolitique des flux énergétiques épouse tout d’abord celle des routes maritimes du pétrole et maintenant du gaz. Les principaux goulets d’étrangement qui en nécessitent le contrôle sont le détroit d’Ormuz par où transitent 20% de la production mondiale du pétrole, les canaux de Suez et du Mozambique, le cap de Bonne Espérance et les détroits de Gibraltar, de Malacca et de la Sonde. Les principaux espaces maritimes concernés sont les océans indien et atlantique ainsi les mers Méditerranée, Noire et du Nord. Ainsi, la moitié de la production mondiale de pétrole et de gaz naturel liquéfié transite par l’océan Indien en direction de l’Asie. Les golfes d’Aden et de Guinée sont enfin des espaces maritimes à risque de fait de la recrudescence de la piraterie maritime et l’océan arctique se projette dans l’avenir comme nouvelle frontière maritime et énergétique à dimension planétaire. Pour le gaz et l’électricité, la géopolitique des flux énergétiques épouse celle des tubes et des réseaux. En Europe, de nombreux gazoducs terrestres acheminent le gaz russe de Sibérie transitant traditionnellement par la Biélorussie et l’Ukraine. La Russie s’engagea également dans une politique énergique de diversification des routes d’exportation de son gaz en Europe au moyen de la construction de gazoducs sous les mers visant à réduire la puissance de transit de l’Ukraine. Sous la mer Noire, il en résulta la construction des gazoducs Blue Stream et Turkish Stream ainsi qu’un projet de construction de South Stream. Sous la mer Baltique, il en résulta la construction des Nord-Stream 1 et 2 en direction de l’Allemagne. En Asie, un réseau étendu d’oléoducs et de gazoducs existe entre la Chine et la Russie ainsi qu’entre la Chine et l’Asie centrale L’un des objectifs énergétiques des nouvelles routes de la soie est enfin de contourner le détroit de Malacca par où transitent 80% des importations énergétiques chinoises, mais que la Chine ne contrôle pas. C’est notamment la fonction des pipelines prévus entre la côte sud du Pakistan et le Xinjiang afin d’acheminer 1 million de barils jour, soit 15% de la consommation chinoise. Enfin, des projets existent également d’établir des liaisons électriques entre l’Europe et la Chine de sorte à satisfaire l’augmentation de 70% de la consommation chinoise prévue d’ici 2040.

En termes d’échange, les ressources énergétiques se font tout d’abord structurellement concurrence. La première fonction du pétrole fut ainsi de remplacer l’huile de baleine pour l’éclairage individuel avant de gagner progressivement tous les secteurs de l’économie notamment au détriment du charbon. Le pétrole gagna ainsi ses parts de marché parce que c’est une ressource d’une grande souplesse d’utilisation et d’un coût de production fortement compétitif et que la stratégie des firmes pétrolières fut très tôt très agressive en vue de la prise de contrôle des parts du marché énergétique. Il bénéficia en outre longtemps du marché captif du transport routier. Le gaz est également une énergie de substitution au charbon notamment pour le chauffage en concurrence avec l’électricité tirée du nucléaire et des énergies renouvelables. Les termes de l’échange énergétique sont ensuite dominés par une très grande concentration des zones de production pour le pétrole et le gaz et une relative dispersion pour le charbon. L’essentiel des productions de pétroles se concentrent en effet dans les pays de l’OPEP plus qui sont les pays de l’OPEP (Arabie Saoudite, Venezuela, Irak, Koweït, Émirats arabes unis. Iran, Algérie, Libye, Angola, Gabon, Nigeria, Guinée équatoriale et République du Congo.) et les nouveaux arrivants dans l’OPEP Plus que sont la Russie, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Mexique ainsi que Bahreïn, Brunei, la Malaisie, Oman et le Soudan. Trois pays se partagent enfin 48% des réserves de gaz conventionnels qui sont la Russie, l’Iran et le Qatar auxquels s’ajoutent aujourd’hui les nouveaux pays producteurs d’hydrocarbures de roche mère dont encore essentiellement les États-Unis. Enfin, les termes de l’échange sont dominés par la concurrence que se font les contrats de long terme et les marchés spot de court terme en plein développement dont les modalités et les prix n’obéissent pas aux mêmes règles. En dehors du GNL, l’essentiel des livraisons de gaz naturel et les 2/3 des livraisons de pétrole passèrent longtemps par la voie des contrats de long terme. En matière de gaz, la tendance des Européens fut néanmoins dans les années 2010 de remettre en cause les contrats de long terme au profit de livraisons sur le marché spot. Parallèlement, les contrats de long terme actuels furent également renégociés en vue de leur indexation sur les prix spot plus volatils qui explique que le prix du gaz soit si haut aujourd’hui.

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La détermination des prix de l’énergie

Rentre tout d’abord dans le calcul du prix de l’énergie les frais fixes. Il s’agit des frais d’exploration qui sont d’autant plus élevés que les conditions d’exploration sont difficiles comme en Arctique ou dans les eaux profondes et que le résultat est aléatoire. En moyenne, on considère qu’une campagne d’exploration sur quatre débouche sur une mise en exploitation. Il s’agit, d’autre part, des coûts d’exploitation qui se subdivisent en dépenses d’infrastructures et en dépenses de fonctionnement. Dans le premier cas, il s’agit notamment du coût d’installation ou de location des plates-formes de production notamment offshores. L’ensemble induit des coûts d’accès qui varie de 8$ le baril pour le brut onshore du Proche-Orient à 45$ le baril d’offshore profond de mer du Nord ou du Golfe de Guinée. Rentre également dans le calcul du prix les coûts de transport qui sont variables selon les distances et la nature des énergies transportée. Parce qu’il est un pondéreux coûteux à transporter et parce que les lieux de production sont relativement disséminés, le charbon a toujours été consommé à proximité des lieux d’extraction ou dans les pays limitrophes. Ce n’est donc que lorsque le prix des autres énergies de substitution augmente qu’il devient intéressant de le transporter comme le montre l’importation actuelle du charbon américain en Europe en substitut de l’envolée du prix du gaz. À l’inverse, le prix du transport est faible dans le cas du pétrole de un à deux $ le baril, mais de cinq fois plus élevé pour le transport du gaz naturel à pouvoir calorifique équivalent. Pour ce qui le concerne, le coût du transport du GNL est de l’ordre de 4 à 6 fois le coût du transport terrestre par gazoduc avec, toutefois, une tendance à la réduction du fait du progrès des technologies et de l’amortissement des investissements déjà réalisés. L’importance des investissements dans ces dernières infrastructures explique enfin que les contrats portant sur la fourniture de GNL soient des contrats de longue durée de l’ordre de la décennie.

En tant qu’elles sont soumises à la loi de l’offre et de la demande, le prix des énergies fluctue en fonction des aléas du marché comme de la politique de prix des producteurs. À l’international, l’essentiel du droit international applicable, qu’il soit produit par l’OMC ou par les différents droits régionaux, convergent de longue date sur le principe de la suppression des entraves à la liberté du marché. Il en résulte une tendance à la vérité des prix et à la montée en puissance des marchés spot de court terme. Ceci n’empêche toutefois pas le maintien du recours aux contrats de long terme de 10 à 25 ans comme c’est le cas traditionnellement pour la fourniture du gaz russe à l’Europe. Il en est ainsi lorsque le poids des investissements nécessaires à la production et au transport nécessite de sécuriser les investisseurs par ce type de contrats. La vérité des prix peut également être mise à mal par des politiques de prix agressives des sociétés nationales productrices. C’est ainsi que de 2014 à 2016, dans un contexte de ralentissement de la demande chinoise de pétrole et de consolidation concomitante de la production de pétrole de schiste américain, l’Arabie saoudite et les pays de l’OPEP s’engagèrent dans une politique de libération de l’offre à 30$ le baril destinée, d’une part, à gagner des parts de marché par la baisse des prix et, d’autre part, à fragiliser la situation financière des producteurs américains d’hydrocarbures de roche mère qui leur font concurrence et dont la survie nécessite un cours du baril supérieur à 40 $.

Sur ces bases, la structure des prix du pétrole présente une courbe ascendante depuis plusieurs décennies avec des périodes de forte volatilité. Le prix moyen du  pétrole était ainsi de 2$ le baril avant le premier choc pétrolier de 1973, de 12$ à son lendemain et de 40$ après le second choc pétrolier de 1979. Il est redescendu à 10$ le baril avec le contre-choc de 1986 puis de nouveau au moment de la crise asiatique de 1998. Du début des années 2000 à son effondrement en 2014/2016, le prix du pétrole n’a cessé de monter pour atteindre 100$ début 2008 avant de s’effondrer à nouveau à 40$ pendant la crise financière de 2008 puis de remonter ensuite à 100$ entre 2010 et 2014 et de s’effondrer encore à 30$ en 2016. Il est ensuite de nouveau remonté à 65$ en début 2019 et atteint aujourd’hui le niveau de 80 $ le baril. Pour ce qui la concerne, la structure de prix du gaz est distincte de celle du pétrole même si elle lui est indexée en totalité ou partiellement. Elle est distincte parce que, contrairement au marché du pétrole, celui du gaz est n’est pas mondialisé, mais segmenté entre un marché américain, un marché européen et un marché asiatique. Cette segmentation régionale du marché du gaz se reflète donc dans les prix. Ainsi, le prix du gaz en Europe est deux fois plus élevé qu’aux États-Unis et 30% moins cher qu’en Asie. Toutefois, le développement du transport maritime du GNL constitue un facteur puissant d’unification du marché du gaz à l’échelle mondiale qui devrait se traduire à terme par une tendance à la convergence des prix.

Enfin, le pouvoir de marché des producteurs pèse de longue date dans la détermination des prix des hydrocarbures. Aux États-Unis, avant son démantèlement en 1911, la Standard Oil de D. Rockefeller faisait le prix du pétrole parce qu’elle monopolisait 80% du transport de pétrole américain et 90% de son raffinage. À l’international et jusqu’à la création de l’OPEP, les Sept Sœurs américaines qui monopolisaient 90% des échanges internationaux de pétrole se constituèrent en cartel qui instaura un système dit Gulf Plus de prix unique réputé provenir de la côte est des États-Unis. Aujourd’hui, les cinq majors privées ne représentent toutefois plus que 12% du marché du pétrole depuis la nationalisation des productions de pétrole et voient donc leur pouvoir de marché considérablement réduit. La nationalisation de 83% des réserves mondiales de pétrole un peu partout dans le monde et la création corrélative de l’OPEP en 1960 instaura donc un puissant pouvoir de marché des pays de l’OPEP. L’affirmation de ce dernier pouvoir de marché fut néanmoins progressive. Dans un premier temps, l’OPEP chercha simplement à lutter contre la baisse des prix et donc de ses royalties. Avec les hausses de prix du premier choc pétrolier, l’OPEP prit réellement conscience de son pouvoir de marché et le testa ensuite avec le second choc pétrolier de 1979 successifs à la révolution iranienne.

En matière de structure des prix, le premier choc pétrolier visa à introduire dans le prix du pétrole une rente de rareté tout en anticipant une hausse probable des prix du pétrole du fait de l’accroissement de la demande internationale de l’époque. Par la suite, le second choc pétrolier visa à introduire sur le marché une rente de monopole. Toutefois, le pouvoir de marché de l’OPEP eut rapidement tendance à s’éroder passant de 54% de la production mondiale de pétrole en 1973 à 30% au début des années 1980. Il en résulta que l’OPEP dut alors choisir entre deux types de stratégie des prix sur le marché. La première stratégie est une stratégie de défense de ses parts de marché au moyen d’une hausse des productions et d’une baisse des prix de sorte exclure du marché les concurrents aux coûts de production supérieurs. Ce fut le cas dans les années 1980 ainsi que dans la seconde moitié des années 2010. La seconde stratégie vise au maintien du pouvoir d’achat des pays producteurs par réduction de l’offre de pétrole pour en augmenter les prix. Enfin, il s’avère aujourd’hui qu’en dehors du rôle d’équilibre que joue l’Arabie Saoudite dans l’OPEP, cette dernière a du s’élargir en 2016 en une OPEP Plus incluant la Russie et les pays d’Asie centrale pour en garantir les pouvoirs de marché face à la montée en puissance du pétrole de schiste américain. Le problème dans ce cas est que plus les membres d’un cartel sont nombreux et plus il est difficile de faire respecter une discipline des quotas de production. Cela était déjà le cas au sein de l’OPEP, cela le sera donc probablement également au sein de l’OPEP Plus. Enfin, une des facettes du prix d’équilibre recherché est celle qui permet d’éviter que les acheteurs de pétrole recourent à des énergies de substitution (renouvelables, gaz, charbon et nucléaire) quand cela est possible.

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À propos de l’auteur
François Campagnola

François Campagnola

François Campagnola, chercheur associé auprès de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE)
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