Géopolitique des migrations : introduction au dossier, par Pascal Gauchon

3 juillet 2019

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Abonnement Conflits
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Géopolitique des migrations : introduction au dossier, par Pascal Gauchon

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Introduction au dossier « Géopolitique des migrations », Conflits n°22 (juillet-août-septembre 2019), par Pascal Gauchon.

Les migrations internationales ne sont pas un phénomène nouveau. Elles ont pris des visages différents depuis la Préhistoire – grandes invasions et grandes découvertes, traite des esclaves, colonisation, mouvements plus ou moins volontaires de travailleurs, puis de réfugiés politiques, économiques, climatiques, médicaux… Malgré cette variété elles ont toutes contribué à l’instabilité du monde et à la déstabilisation de l’ordre en place. Il en va de même aujourd’hui. En ce sens, elles sont la grande révolution.

Un choix de société

L’histoire est ponctuée de lents mouvements de respiration puis d’expiration : des peuples se répandent dans les territoires occupés par d’autres, ils les abandonnent ensuite, avant que le mouvement reparte en sens inverse.

Du début de l’ère chrétienne jusque vers l’an 1000 des populations venues d’Asie, d’Europe orientale ou de la péninsule arabique ont chassé devant elles les peuples déjà installés. À partir de la Renaissance, le mouvement s’est inversé et des vagues d’aventuriers puis de colons sont partis d’Europe vers le reste de la planète, modifiant radicalement la population du continent américain et de l’Océanie en ce qu’il faut bien appeler un « grand remplacement ». Au XXe siècle, les flux s’inversent de nouveau et ce sont les populations des anciens territoires colonisés qui affluent vers les pays peuplés d’Européens : depuis les années 1930 la population de l’Europe progresse moins vite que celle des autres continents.

Le choix de la facilité

Ce serait pourtant une erreur d’expliquer l’ensemble des migrations par le seul différentiel de croissance démographique. Comme le souligne François Lenglet, la principale cause de la mondialisation est le degré d’acceptation de l’ouverture au reste du monde bien plus que l’amélioration des transports ou la baisse des contrôles aux frontières. L’ouverture aux migrants est un choix de société qui nous arrange… dans un premier temps.

L’immigration nous fournit d’abord des travailleurs doublement bon marché : nous ne les avons pas élevés et nous pouvons les payer moins que nous ne devrions le faire pour des nationaux. Ceux qui profitent de ce système sont les chefs d’entreprise et les actionnaires, mais aussi l’ensemble des consommateurs qui achètent moins cher les biens et services dont ils ont besoin. Le système peut être à deux vitesses : depuis la chute du communisme, quatre millions de Roumains auraient quitté le pays pour travailler en Europe occidentale, dès lors le pays s’efforce d’attirer un million d’Asiatiques qui seront peut-être remplacés là-bas par d’autres travailleurs encore moins exigeants. Une véritable course à l’échalote, ou à l’immigrant, se met en place.

La venue de travailleurs immigrés permet de réduire les coûts du travail et les coûts de production. C’est un moyen de gagner en compétitivité, bien plus aisément qu’en augmentant la productivité ou en améliorant la qualité des produits. Mais ce moyen facile alimente une politique de facilité qui évite de nombreuses dépenses à court terme (formation, achat de machines) mais ne bâtit pas grand-chose à long terme.

Sans doute dispense-t-il de faire des enfants et de les élever, ce qui est coûteux et fastidieux. Grâce aux migrants, finis les nuits écourtées par les biberons, les weekends gâchés à emmener la marmaille au musée et les économies englouties dans les vacances fastidieuses sur des plages familiales. Les migrants nous apportent des enfants tout faits, futurs soutiers de nos économies, ce qui permet le recul de la fécondité. Ou bien, grâce au regroupement familial, ces enfants seront fabriqués sur place, sans que les autochtones aient à s’en occuper.

En grandissant ils deviendront autant de travailleurs qui contribueront doublement à assurer nos retraites, du moins l’espérons nous. Ils cotiseront pour elles en même temps qu’ils accepteront les humbles tâches ancillaires qui font fonctionner nos EPHAD. Mieux, les plus aisés d’entre nous pourront même émigrer à leur tour vers les pays qu’auront quittés les immigrés où ils bénéficieront d’un coût de la vie modeste et d’impôts faibles.

Sommes-nous intelligents ?

Comme notre société est intelligente ! Elle réduit ses dépenses au minimum en mettant en place un circuit complexe qui repose sur la venue de migrants majoritairement pauvres. « Il est temps d’affronter la vérité. Nous ne pouvons pas et ne pourrons jamais arrêter l’immigration. L’immigration est profondément liée à nos politiques en matière d’économie, de commerce, d’éducation et d’emploi. » Ne faut-il pas donner raison à Dimitris Avramopoulos, commissaire européen chargé de l’immigration ?

Sauf que, à regarder les performances de l’Union, on peut se demander si ce choix a été le bon : les pays européens régressent dans le classement PISA dominé par les nations asiatiques, ils connaissent un taux de chômage élevé et une croissance molle. Dimitris Avramopoulos a raison, nous avons choisi l’immigration, notre économie comme notre société se sont réorganisées en fonction d’elle : mais est-ce pour le meilleur ?

On aura en tout cas du mal à présenter cette solution comme généreuse. Inviter les étrangers chez nous pour équilibrer notre système de retraite, quelle grandeur d’âme et quelle hauteur de vue ! En réalité, les arguments en faveur du renforcement des flux migratoires relèvent de deux formes de libéralisme difficile à concilier. Le libéralisme politique, celui des droits de l’homme, qui affirme le droit de chaque individu de se déplacer, de s’installer où il le veut, de s’affranchir des contraintes nationales. Et le libéralisme économique, celui des gains que procurera une autre répartition des travailleurs à travers le monde. Ces deux libéralismes prônent l’abaissement des frontières, et pas seulement en ce qui concerne l’immigration. Mais pour les uns le migrant est un facteur de production, pour ne pas dire une marchandise, tandis que pour les autres il est un être humain doté de droits. D’où la surprise de certains : « Nous attendions des bras et des hommes sont venus » (Max Frisch). Bonne ou mauvaise nouvelle ?

Avec les hommes sont venus leurs mœurs, leurs croyances, leurs modes de vie, leur conception du monde. Les fondements des vieilles nations européennes en ont été ébranlés, elles sont devenues des « archipels » pour reprendre la formule de Jérôme Fourquet où des communautés diverses coexistent sans définir un projet commun. Du moins jusqu’à aujourd’hui, penseront les optimistes espérant que demain l’intégration, sinon l’assimilation, fera de ces éléments divers un peuple. Cela n’est pas impossible à une condition : que l’immigration ralentisse fortement ou qu’elle cesse le temps de permettre au processus d’intégration de fonctionner ; cependant la formule de Dimitris Avramopoulos (relisez-la) nous apprend que nous ne pourrons jamais arrêter l’immigration car il s’agit d’un circuit qu’il faut sans cesse réalimenter avec de nouveaux venus. Qui paiera les futures retraites des immigrés, sinon de nouveaux immigrés ?

La rupture avec le choix de société que représente l’immigration risque d’être douloureuse. Sa prolongation le serait peut-être encore plus.

Pascal Gauchon

A votre tour ! Editorial du n°22 de Conflits

31 numéros dont 9 spéciaux soit plus de 2600 pages. Tel est le bilan de Conflits lancé en mars 2014, il y a un peu plus de cinq ans. Une revue de géopolitique destinée au grand public informé, bien écrite et vivante, rédigée pour l’essentiel par de jeunes chercheurs appuyés par des spécialistes chevronnés, fournissant des synthèses, évitant les idées reçues, à la recherche de réflexions originales.

Cinq ans plus tard, ce bilan me satisfait. Alors pourquoi décider de renoncer à mes responsabilités de directeur et de rédacteur en chef ? Des raisons personnelles m’y contraignent, dont l’âge n’est pas le moins important.

C’est parce que je suis conscient de la marche du temps que, tout au long de ma vie professionnelle, je me suis efforcé de faire confiance aux jeunes et de les faire progresser comme directeur de Prépasup comme de Conflits. C’est à eux de prendre le relais, en particulier à Jean-Baptiste Noé qui devient rédacteur en chef à partir du prochain numéro, le 23. Les lecteurs de Conflits ont pu apprécier sa plume acérée et ironique, en particulier dans la rubrique Boule de cristal et marc de café.

Je ne vous quitterai pas totalement, rassurez-vous – si cela vous rassure. Je rédigerai ponctuellement des articles de fond. Il serait trop difficile de rompre d’un coup avec la communauté de Conflits qui m’a tant apporté. Mais aujourd’hui c’est votre tour.

Pascal Gauchon

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