Gangrenée par la criminalité, la ville des Alpes a perdu sa superbe et son charme. Ainsi que ses habitants et ses entreprises, qui sont nombreux à fuir Grenoble
Article paru dans le N57 : Ukraine Le monde d’après
Un rose languide, des verts grisâtres, des ocres pâlis : Grenoble est décidemment une ville de pastel délayés. Et aux quatre points cardinaux surgissent les cônes blanchissants que sont les montagnes : Chartreuse, Vercors, Belledonne.
Ce n’est pas véritablement la France et ce n’est pas encore l’Argentine, c’est un pays à mi-lieue de la savane alpine et des raideurs soviétiques des anciennes villes du bloc de l’Est. C’est tout ça et rien à la fois. Miracle fait de bric et de broc où les moulures du xixe côtoient les contreplaqués hâtivement posés : boîte emplie de vieilleries qu’un géant a renversé sur la table et qu’il a laissées là, trop las à l’idée de remettre un peu d’ordre dans tout ce bazar.
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Ce qui surprend, confusément, c’est que cette métropole de plus de 450 000 habitants a tout de la modeste ville alanguie de petits propriétaires posée au hasard d’un coin de montagnes. Des personnes errent dans ses rues – mais d’une demi-vie. En haut des immeubles, des silhouettes noires montent une garde sempiternelle, ce sont les guetteurs qui veillent sur le business qui s’étale sur le devant des parkings. Le sentiment de pauvreté est effarant, la ville s’est laissée glisser dans les abîmes du gouffre économique et traîne, après elle, ses habitants. Il y a peu de magasins et encore moins de luxe, seule une boutique Lacoste parvient à survivre dans ce centre-ville déserté : elle est emplie de jeunes dealers se ravitaillant en survet de la marque au crocodile.
Autrefois perçue comme une ville avant-gardiste et dynamique, Grenoble n’est désormais plus que l’ombre avortée d’un rêve à jamais enfui.
Les Trente Glorieuses sont passées par là et ont marqué la ville par une urbanisation aussi rapide que décomplexée qui s’est déployée avec la rapidité d’un carcinome. S’il fallait ne retenir qu’un exemple, ce serait la construction du quartier de la Villeneuve édifié à la va-vite à l’orée des Jeux olympiques de 1968. À Paris la chienlit, à Grenoble la modernité ! Le futur passera par les Alpes. Cependant, l’urbanisme des années 1970 a un défaut, et pas des moindres, il a tendance à privilégier la quantité à la qualité du bâti. En bref, ses productions vieillissent mal.
Mais des logements il en fallait, puisque entre 1962 et 1975 la population grenobloise augmenta d’un tiers avec un pic atteignant les 160 000 habitants au milieu de la décennie 1970. Et pour accueillir ces nouveaux résidents, c’est tout naturellement que le nombre de logements sociaux doubla entre 1960 et 1980. Toutefois, un certain déclin démographique commence à se faire sentir à partir des années 2000, les jeunes migrant en direction de métropoles jugées plus attractives. Résultat, en 2024, la population n’est plus que de 155 000 habitants.
L’arrivée du maire socialiste Michel Destot en 1995 inaugure l’ère d’une politique sociale qui se veut autant ambitieuse que controversée. Si la mairie se focalise sur l’élaboration et le développement de nouveaux projets culturels, c’est souvent au détriment de la sécurité urbaine et de l’entretien des infrastructures. La culture importe beaucoup plus que la voirie. En cela, la gauche s’éloigne des besoins triviaux mais indispensables du réel. Pour Alain Carignon, ancien maire, on ne peut pas négliger les besoins immédiats de la population sous prétexte d’idéologie.
La capitale des Alpes, qui avait tout pour devenir un hub technologique, s’est endormie sur ses lauriers. Une gestion publique hasardeuse précipite la ville vers son déclin. En 2022 encore, 17 grandes entreprises désertèrent la métropole pour d’autres villes françaises. Plus personne ne tient à rester dans une ville à moitié zombifiée. Le pouvoir d’achat est au plus bas et le moral l’est tout également à force de fréquenter une cité dont les murs n’ont rien à envier à ceux de La Havane. Sans compter que d’autres problèmes endémiques parcourent la ville gangrenée : la délinquance sur fond de trafic de drogues et l’immigration mal contrôlée.
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Point de chute de nombreux migrants, Grenoble s’essouffle à les accueillir dans ses banlieues. Pour le sociologue Farid Abdelouahab, l’intégration est toujours un défi quand les infrastructures et les politiques publiques ne suivent pas. La ville a su accueillir mais n’a pas toujours su intégrer. Résultat : 15 % de la population de Grenoble est d’origine étrangère quand le taux de chômage chez les jeunes de moins de 25 ans d’origine immigrée frôle les 28 % ! Depuis 2010, le taux de criminalité ne cesse d’augmenter dans les quartiers prioritaires et bon nombre d’arrestations concernent des mineurs d’origine étrangère. C’est que Grenoble figure parmi les villes les plus touchées par la criminalité et c’est en vain qu’Éric Piolle tente de défendre son bilan : « Nous ne voulons pas militariser la ville, mais trouver un équilibre entre sécurité et liberté. » En attendant que cette singulière stratégie prenne, Grenoble a connu, pour la seule année 2024, une trentaine d’incidents impliquant des armes à feu. Est-il besoin ici de rappeler que pour le seul début 2025, une attaque à la grenade et la destruction d’une bibliothèque à l’aide d’une voiture bélier sont (déjà) à recenser ?
Dante avait raison avec cette sentence qu’il plaçait au fronton des enfers : « Vous qui entrez, abandonnez tout espoir. »