<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> « L’Europe a apporté la paix » Et réciproquement ?

5 octobre 2019

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Discours de Nicolas Sarkozy au parlement Européen, Strasbourg, 21 octobre 2008. Auteurs : SAUTIER PHILIPPE/SIPA Numéro de reportage : 00568760_000014
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« L’Europe a apporté la paix » Et réciproquement ?

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L’Union Européenne ne serait pas le seul élément clé de la paix à l’échelle continentale.

Parmi les lieux communs entendus pour confirmer la légitimité de la construction européenne, il en est un qui l’identifie à l’exceptionnelle période de paix connue par le continent depuis 1945 ; plus de soixante-dix ans sans un conflit entre puissances majeures, ce n’était plus arrivé depuis le xixe siècle [simple_tooltip content=’Exception faite des conflits, brefs et limités, pour l’unification italienne et des guerres austro-prussienne et franco-allemande.’](1)[/simple_tooltip], entre 1815 (Waterloo) et l’éclatement de la Première Guerre mondiale (1914). Incontestablement cette construction a été fondée sur la réconciliation franco-allemande, imprévisible après soixante-douze ans de rivalité pour l’hégémonie continentale et trois conflits majeurs, et plus approfondie qu’aucun autre rapprochement entre États souverains dans l’histoire. Plus récemment, l’Union européenne a aussi largement accompagné (et financé) le processus de paix en Irlande à travers les quatre tranches du programme Peace, pour lequel l’UE a versé plus de 1,5 milliard d’euros depuis 1995.

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Néanmoins, il ne faudrait pas oublier que le contexte d’éclatement de la guerre froide a aussi été décisif dans l’étouffement des querelles intestines, comme le rappelle l’apostrophe en 1948 de Paul-Henri Spaak, Premier ministre belge, à la tribune de l’ONU, s’adressant au représentant de l’URSS : « Savez-vous quelle est la base de notre politique ? C’est la peur. La peur de vous, la peur de votre gouvernement, la peur de votre politique. » L’adoption du plan Marshall, puis celle de l’Alliance atlantique (1949) précèdent les initiatives purement européennes, d’autant que le congrès de La Haye, organisé en mai, a montré la division du mouvement pan-européen entre « fédéralistes » et « souverainistes », pour adopter la terminologie actuelle de cette fracture persistante. C’est donc autant la volonté d’opposer un front commun, sous l’égide américaine, à la menace soviétique que la prise de conscience d’une fraternité continentale qui préside à l’unification européenne, et c’est la déception des fédéralistes devant ses premières réalisations qui pousse Robert Schuman à proposer une nouvelle stratégie, en commençant par la réconciliation franco-allemande, lors de sa déclaration du 9 mai 1950.

Un couple franco-allemand ambigu

Ce rapprochement franco-allemand n’était lui-même pas exempt d’arrière-pensées. Pour les Français, il s’agissait de surveiller la puissance allemande autant que de l’intégrer à un ensemble continental, comme le montra la proposition Pleven d’une Communauté européenne de défense (CED), pour répondre à la demande américaine de réarmement de la RFA sans donner le sentiment d’une renaissance de l’armée allemande. Pour les Allemands, il s’agissait de sortir définitivement du statut de vaincu et de paria pour prendre place parmi les « Alliés ». On reverra cette divergence de regards lorsque la réunification s’annoncera, Mitterrand freinant autant que possible la résurrection d’une « grande Allemagne » quand Kohl poussait pour sortir enfin du statut de Gulliver entravé hérité de la guerre. Un compromis sera alors possible autour du traité (européen) de Maastricht, dont l’union monétaire garantit l’ancrage « occidental » de la nouvelle Allemagne en échange du ralliement de la France (socialiste) aux conceptions monétaristes allemandes.

Pourtant, au même moment, l’Europe commençait à se déchirer et les pays multiethniques à éclater, pacifiquement pour certains (Tchécoslovaquie), douloureusement pour d’autres (Yougoslavie, voire URSS). Le retour de la guerre en Europe coïncide avec la fin de la guerre froide, qui permet simultanément un certain achèvement de la construction européenne. L’UE n’y est pas pour grand-chose, mais le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’a jamais réussi à endiguer avec ses seules forces, qu’elles soient diplomatiques ou militaires, les flambées de violence sur le continent. Pour y parvenir, il aurait fallu que tous ses membres parlent d’une seule voix et que tous les pays soient d’accord pour soutenir et financer les interventions. L’histoire de l’action internationale de l’UE rappelle plutôt l’exemple fâcheux de la SdN, dotée d’un certain soft power par sa capacité à créer du droit ou à financer des programmes de pacification, mais incapable de résister aux épreuves de force.

À propos de l’auteur
Pierre Royer

Pierre Royer

Agrégé d’histoire et diplômé de Sciences-Po Paris, Pierre Royer, 53 ans, enseigne au lycée Claude Monet et en classes préparatoires privées dans le groupe Ipesup-Prepasup à Paris. Ses centres d’intérêt sont l’histoire des conflits, en particulier au xxe siècle, et la géopolitique des océans. Dernier ouvrage paru : Dicoatlas de la Grande Guerre, Belin, 2013.
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