Haut Karabagh : la guerre entre dans une nouvelle phase

19 octobre 2020

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : SHUSHA, NAGORNO-KARABAKH - OCTOBER 18, 2020: Icons at Holy Savior (Ghazanchetsots) . Sergei Bobylev/TASS/Sipa USA/31150712/YD/2010181801
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Haut Karabagh : la guerre entre dans une nouvelle phase

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En dépit d’un cessez-le-feu signé sous les auspices de Moscou, les combats continuent au Haut-Karabagh. Le front est stabilisé le long de la frontière, ce qui fait craindre un enlisement du conflit et une guerre d’attrition. Le bilan humain ne cesse de s’alourdir et le développement des épidémies fait craindre que des pertes importantes ne surviennent chez les civils.

 

Le dimanche 27 septembre 2020 à l’aube débutait un nouveau conflit sur toute la longueur de la ligne de contact qui sépare le territoire de la République autoproclamée de l’Artsakh de l’Azerbaïdjan. Forts de leur supériorité militaire que leur incombe leurs hélicoptères de combats, leurs drones de fabrication turque et israélienne, et leurs unités de chars, sans oublier l’appui de l’armée turque et de ses mercenaires syriens d’ethnie turkmène, les Azerbaïdjanais pensaient (re)conquérir d’importantes portions de territoires des mains des Arméniens dans le cadre d’une offensive de type blitzkrieg. 22 jours de guerre et deux cessez-le-feu humanitaires mort-nés plus tard, les armées sont entrées dans une guerre de tranchées.

Un bilan humain lourd

Sur le terrain des opérations, l’offensive de type blitzkrieg finement préparée par les états-majors des armées turque et azerbaïdjanaise lors des grandes manœuvres de l’été dernier dans l’exclave du Nakhitchevan, n’a pas porté ses fruits. Tout au plus l’armée du régime d’Aliyev est parvenue au prix de combats acharnés et forts de leur supériorité technique à contrôler quelques territoires au nord et au sud de la République autoproclamée de l’Artsakh. À l’évidence, les belligérants sont entrés dans une guerre de tranchées à l’issue incertaine qui n’est pas sans rappeler l’épisode de la guerre Iran – Irak (1980-1988).

 

Notre émission : Fenêtre sur le monde. Conflit au Haut-Karabagh

 

Cet échec initial explique notamment l’intensité des bombardements sur des zones densément peuplées visant à démoraliser et vider la population. Les forces de défense de l’Artsakh y ont répliqué par des bombardements dirigés vers les villes de Gandja, (2e ville de l’Azerbaïdjan) et de Tartar. Forts de leur supériorité aérienne que leur confèrent les drones kamikazes israéliens, les Azéris procèdent quotidiennement à d’intenses bombardements indiscriminés qui visent essentiellement des cibles non militaires, comme la cathédrale Saint Sauveur de Chouchi le 8 octobre, siège du diocèse de l’Église arménienne apostolique de l’Artsakh et surtout des immeubles d’habitation et des hôpitaux à Stepanakert, capitale de la République autoproclamée, bombardée avec des bombes à fragmentation, bannies par le droit international et humanitaire. De son côté le Comité international de la Croix-Rouge a rappelé que l’emploi de bombes à fragmentation est interdit et que leur utilisation dans les zones résidentielles peut accroître le nombre de victimes. « Celles que l’on nous rapporte et dont le bilan humain est déjà très lourd doivent absolument cesser » a pour sa part insisté Martin Schüpp, directeur du CICR pour la région.

L’Iran s’inquiète du conflit

Selon le ministère arménien de la Défense, on déplorerait à ce jour 710 morts (civils et militaires confondus). De son côté l’Azerbaïdjan n’a pas communiqué les chiffres de ses pertes au nom du secret défense, tandis que les deux parties estiment avoir infligé plusieurs milliers de morts et des pertes considérables de part et d’autre.

À la suite de sa visite en Artsakh le 18 octobre, le député allemand Steffen Kotré (AFD) a rappelé lors d’une conférence de presse que le bilan des morts pendant ces dernières trois semaines était bien plus élevé que celui constaté en Syrie au cours de toute la dernière année.

Pour l’heure, des combats acharnés se déroulent dans le sud, qui non content d’offrir un relief moins accidenté est situé le long de la frontière naturelle avec l’Iran (rivière Araks), là où les forces turco-azéries tentent de percer le front afin de lancer le gros de leur troupe en direction de la ville arménienne de Meghri d’où elles pourraient opérer une jonction avec le Nakhitchevan. Ce faisant, l’Arménie se trouveraient étouffée et le dessein panturquiste cher aux alliés ultranationalistes du MHP qui soutiennent le président Erdogan, réalisé. Aux yeux de l’Iran, cette option paraît hautement périlleuse. La République islamique s’inquiète à la fois des troubles dans ses provinces du nord, peuplées majoritairement d’Azéris qui exigent la fermeture du poste-frontière avec l’Arménie et l’espace aérien par où transiteraient des livraisons d’armes russes. De la même manière Téhéran s’inquiète de la présence d’agents du Mossad, testant l’efficacité du matériel israélien sur place ainsi que les agissements du millier de mercenaires (à fortiori djihadiste) salariés de la Turquie et toujours en activité sur le flanc nord de sa frontière.

Si le conflit fait proportionnellement un nombre de plus en plus important de victimes qu’au début des années 1990, la raison est à trouver dans la modernisation des arsenaux respectifs.

A lire aussi : Affrontements entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan

Le développement des épidémies

 

À l’heure où l’Azerbaïdjan maintient un blackout médiatique aussi bien sur le plan intérieur que vis-à-vis des rares journalistes accrédités et travaillant à proximité du front, une autre menace pointe à l’horizon. Cachant à sa population l’ampleur de ses pertes humaines, qui de l’avis des observateurs est significativement supérieure au nombre de morts dans les rangs arméniens, l’Azerbaïdjan a refusé aux équipes de la Croix-Rouge internationale de retirer les cadavres des soldats morts et des blessés du champ de bataille, en violation de l’accord de cessez-le-feu conclu à Moscou dans la soirée du 17 octobre.

Selon Artsrun Hovhannisyan, ancien secrétaire de presse du ministère de la Défense et analyste militaire, « Jamais les dirigeants de l’armée azerbaïdjanaise n’ont montré une attitude aussi irrespectueuse à l’égard de leurs propres victimes et cadavres. Ils sont laissés dans les champs, les canyons et les marécages. »  Le 18 octobre, les autorités azerbaïdjanaises ont déclaré leur volonté de rendre les corps des soldats arméniens tout en refusant de récupérer les leurs. Ce fait interroge : est-ce que les pertes sont trop élevées pour être communiquées à la population azerbaïdjanaise ? S’agit-il de corps de mercenaires étrangers ? Ou alors, est-ce une stratégie délibérée visant à se délester de cadavres représentant des sources d’épidémie ? En ces temps de pandémie de COVID-19 qui a affecté un grand nombre de reporters sur le terrain, des carences en hygiène ont créé des conditions favorables à la propagation de maladies intestinales infectieuses (choléra, hépatite A, dysenterie, etc.). Des épidémies naturelles circulent déjà dans les zones où les combats font rage, et où des agents pathogènes sont présents. L’absence de conditions préalables au retrait, à l’enterrement ou à l’échange des corps, font des cadavres en devenir des transmetteurs de maladies infectieuses ou de reproduction naturels pour les insectes, et crée aussi un environnement favorable aux épidémies. Ceci est d’autant plus inquiétant que les agents pathogènes peuvent circuler dans l’environnement pendant une longue période, ce qui crée toutes les conditions préalables aux flambées des épidémies.

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À propos de l’auteur
John Mackenzie

John Mackenzie

Géopolitologue et grand reporter, John Mackenzie parcourt de nombreuses zones de guerre.
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