<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Impôt mondial ou impôt américain ?

6 novembre 2021

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Impôt mondial ou impôt américain ? Crédit photo : Unsplash

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Impôt mondial ou impôt américain ?

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« Un tournant historique ! » C’est ainsi que fut présentée la signature par 130 des 139 membres du cadre inclusif de l’OCDE, le 1er juillet dernier à Venise, de l’accord sur l’application à partir de 2023 d’un taux minimum d’impôt sur les sociétés de 15 % au niveau mondial.

Pour l’écrasante majorité des commentateurs, ce texte, en contraignant les entreprises multinationales à acquitter sur leurs bénéfices leur juste contribution aux finances publiques, représenterait un grand pas vers une plus grande « justice fiscale » internationale, en même temps qu’il symboliserait la victoire du multilatéralisme sur les « égoïsmes nationaux ». Une telle analyse est doublement fausse. D’une part, elle ignore les phénomènes d’équité spatiale et d’incidence fiscale, dont la connaissance est pourtant indispensable si l’on veut apprécier correctement la justice – interétatique et interindividuelle – d’une réforme fiscale de ce type. D’autre part, elle fait fi des réels rapports de force internationaux qui sous-tendent l’accord du 1er juillet, lequel est moins coopératif qu’on ne veut bien le dire.

Juste, l’impôt minimum mondial ? Pour les petites nations souveraines faiblement dotées en facteurs de production, l’absence de plancher d’imposition et la libre fixation des taux apparaissent normalement comme le moyen d’attirer à elles le capital financier et humain nécessaire à leur développement et à celui de leur population. C’est ce qu’ont bien compris et revendiquent, plus ou moins directement, les neufs récalcitrants fiscalement peu gourmands : Irlande, Hongrie, Estonie, Kenya, Nigeria, Barbade, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Pérou et Sri Lanka. Dès lors, la mise en œuvre d’un taux minimal mondial d’impôt sur les sociétés reflète davantage la volonté des grands États (« les plus froids des monstres froids ») de préserver leur avantage compétitif et leur manne fiscale, qu’elle ne traduit un véritable souci de justice en direction de petits pays à plus faible espace de marché. La loi de la répercussion fiscale nous enseigne par ailleurs que les contribuables désignés comme imposés par la législation sont rarement ceux qui contribueront, dans les faits, au financement des dépenses publiques. Le plus fort économiquement répercutant sur le plus faible, il y a tout lieu de penser que le surplus de recettes fiscales attendu (150 milliards de dollars par an au niveau mondial ; 5 milliards d’euros pour la France) sera en réalité supporté par les salariés les moins qualifiés de ces grandes firmes internationales ou par leurs consommateurs, à travers de moindres salaires ou des hausses de prix, de façon à ne pas rogner les marges des entreprises.

Les esprits les plus affûtés auront ici compris que la fiscalité, comme toute question politique, revêt d’abord une dimension géopolitique. La meilleure preuve : Janet Yellen, secrétaire au Trésor des États-Unis, a obtenu des Européens qui voulaient continuer à taxer unilatéralement les Gafam américains qu’ils renoncent docilement à leur droit d’imposition. L’appel à la justice fiscale s’est tout à coup fait moins bruyant, du côté de Washington, quand il s’est agi de protéger les fleurons industriels américains. La naïveté de nombre d’observateurs français et plus généralement européens, qui louent Biden après avoir maudit Trump, est une fois de plus confondante. L’échange est certes plus courtois avec Joe, et le pouvoir de rétorsion moins ostensible qu’avec Donald. Mais la finalité demeure la même : America First ! Ce n’est pas un hasard non plus si la réforme de l’imposition mondiale des sociétés, après avoir pataugé durant de longues années, semble sur le point d’aboutir au moment même où les États-Unis décident d’augmenter leur propre taux national d’impôt sur les sociétés. L’administration américaine s’assure ainsi de recettes fiscales supplémentaires tout en limitant significativement les risques de délocalisations et de matraquage pour ses propres multinationales. Winning on all fronts !

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À propos de l’auteur
Victor Fouquet

Victor Fouquet

Doctorant en droit fiscal. Chargé d’enseignement à Paris I Panthéon-Sorbonne. Il travaille sur la fiscalité et les politiques fiscales en France et en Europe.

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