Terrorisme : refuser de nommer

4 mai 2021

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Terrorisme : refuser de nommer

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Depuis au moins les attentats de 2012 à Toulouse, le terrorisme s’est à nouveau invité dans les vies quotidiennes et dans les discours réguliers des hommes politiques. Il est entendu que « nous sommes en guerre » contre le terrorisme et que la nation tout entière doit être mobilisée contre celui-ci.

Nous sommes en guerre certes, mais nous avons du mal à identifier et comprendre l’ennemi. Si le terrorisme est nommé, ceux qui l’utilisent et l’idéologie que celui-ci sert sont bien souvent oubliés. Parler du terrorisme semble être de plus en plus une façon bien commode et bien utile de ne pas parler d’autre chose, et surtout de ne pas évoquer l’essentiel. Or on ne peut pas être en guerre contre le terrorisme, car celui-ci n’est pas un adversaire, mais une technique. Le terrorisme est à la fois une arme de guerre et un curieux objet politique qui embarrasse tout autant qu’il sert les dirigeants.

Unité nationale. Face au terrorisme, le peuple est invité à l’unanimisme. Il est appelé à l’unité nationale et à faire bloc derrière ses chefs d’État, comme s’il n’était plus possible de penser et de réfléchir sur les causes et les objectifs de celui-ci, ni sur la proportionnalité et l’opportunité des moyens employés pour le combattre. On peut bien décréter des journées nationales d’hommage aux victimes, dresser des statues, déposer des fleurs et illuminer la tour Eiffel en proclamant que « la haine ne passera pas », on voit mal comment ces attitudes permettent de lutter contre le véritable mal. L’acte terroriste est parfois l’idiot utile ou l’heureuse surprise qui permet à des chefs d’État sans gloire et sans panache de remonter dans l’opinion de leur peuple et d’invoquer une chimérique union nationale derrière eux. Quand il n’est pas tout simplement manipulé, sans vergogne pour les victimes, comme l’attentat de la rue Copernic (1980) habilement attribué dès l’origine à « l’extrême droite » et aux « néo-nazis » avec une enquête orientée et à charge. De fait, aucun des responsables ne fut trouvé, la piste partant aujourd’hui vers le Moyen-Orient.

Faire peur, faire perdre la raison. Le terrorisme tue peu. Là n’est pas son but puisque son objectif est de provoquer la sidération. Il s’agit moins de créer un climat de panique que de contraindre les gouvernements à céder sous l’effet de la peur. Charles Pasqua voulait certes renverser l’équation en « terrorisant les terroristes », ce qui n’est possible que par une action active des services de renseignement, de la police et de l’armée. Mais il reste difficile de faire comprendre à un peuple frileux et désinformé que cette lutte passe du côté de Bamako et de Palmyre, tout autant que de Trappes et de Clichy-sous-Bois, et que cela nécessite une ferme volonté politique autant que d’importants moyens financiers et humains. Dans un monde qui ne veut plus la guerre, le terrorisme est une incongruité contre laquelle on se refuse bien souvent à faire usage de la force. Fleurit alors l’idée, certes belle mais erronée, que c’est la pauvreté et l’ignorance qui engendrent le terrorisme. Il suffirait donc d’ouvrir des écoles et de saupoudrer des aides humanitaires pour assécher le terreau terroriste. Idée fausse, tant l’histoire démontre que le terrorisme, quand il est accompagné d’un projet révolutionnaire, est le fait de la classe aisée et cultivée, même si celle-ci peut se servir des bras armés des petites frappes perdues. Les fils de bourgeois d’Action directe et de Fraction armée rouge n’étaient pas vraiment des damnés de la terre, et les « jeunes » de banlieue, gavés des produits de divers trafics, ne sont pas particulièrement misérables.

Moins de libertés et pas de sécurité. Face à l’équation terroriste, les populations, trop souvent, sont prêtes à renoncer à leurs libertés fondamentales avec l’espérance vaine que cela renforce leur sécurité. Bien utile terrorisme dont la lutte contre lui justifie des restrictions intolérables. Ainsi la liberté scolaire doit-elle passer à la trappe, la censure doit-elle être plus grande, les contrôles de plus en plus sophistiqués. Nos villes sont en train de devenir des prisons à ciel ouvert, avec force caméras de vidéosurveillance, contrôle facial, police municipale armée. Au lieu de s’attaquer aux origines du mal, le choix politique s’oriente trop souvent vers les suppressions des libertés. Qu’avons-nous à gagner si, pour lutter contre « le terrorisme », les politiques restreignent les libertés, sans pour autant améliorer la sécurité ?

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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