La Nouvelle Capitale égyptienne : un projet à la hauteur de l’ambition d’Al Sissi

7 décembre 2021

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Photo : La Nouvelle Capitale égyptienne : un projet à la hauteur de l’ambition d’Al Sissi. Crédits : domaine public
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La Nouvelle Capitale égyptienne : un projet à la hauteur de l’ambition d’Al Sissi

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En mars 2015, le président Al Sissi annonçait le lancement de la construction de la nouvelle capitale d’Égypte, un projet pharaonique au milieu du désert, à mi-chemin entre Le Caire et le canal de Suez. Il s’agit de l’un des plus gros projets immobiliers du Moyen-Orient.

 

La population égyptienne n’a cessé de croître au cours des dernières décennies : 57 millions d’habitants en 1990, 102 millions en 2020 et 153 millions prévus en 2050. Le taux de fertilité est de 3,3 enfants par femme, ce qui en fait le 56e pays le plus fertile, selon la banque mondiale[1].  Le président al Sissi a lui-même estimé que l’un des deux grands dangers de l’Égypte, en plus du terrorisme islamique, était la surpopulation[2]. D’autant plus que la majorité de cette population se concentre dans la vallée et le delta du Nil, le reste étant un immense désert : 8,6% du territoire national concentre la population résidente[3].

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La surconcentration de la population au Caire

À une surpopulation chronique s’ajoute donc une surconcentration de la population, Le Caire étant l’épicentre de celle-ci. Le Grand Caire compte ainsi 20 millions d’habitants et devrait dépasser 30 millions d’habitants d’ici à 2050[4].  La densité de population en Égypte était de 102 habitants par km² en 2020 selon la Banque mondiale, au Caire, elle est de 11 030 habitants par km². Cela engendre un engorgement croissant de la capitale égyptienne. Habitant au Caire, je peux témoigner des problèmes évidents que cela implique : embouteillages constants, pollution intenable (le taux de particules fines est 8 fois supérieur à la valeur guide fixée par l’OMS, selon 18 stations de mesures cairotes), prolifération des quartiers informels et des bidonvilles et donc de la misère. Ce fort engorgement ne se ressent pas qu’à la périphérie de la ville, mais dans toute la ville, même dans les quartiers les plus aisés du centre, comme l’ile de Zamalek, qui est constamment embouteillée et manque également d’infrastructures essentielles.

L’essor des villes nouvelles

Pour faire face à cette surpopulation, Le Caire ne cesse de s’étendre (voir fig. 1). Ainsi, la périphérie de la ville est envahie de logements en chantiers. Il suffit de se promener dans ces quartiers pour comprendre l’ampleur du phénomène. Pour faire face à ce problème d’engorgement, les différents gouvernements égyptiens depuis les années 1970 ont lancé la construction de « villes nouvelles ». Ainsi, une dizaine de nouvelles villes ont surgi de nulle part à la périphérie du Caire. Chaque président égyptien depuis Sadate cherche à laisser sa marque dans l’Histoire. La postérité est un concept très important dans la civilisation égyptienne. Chaque grand chantier est la manifestation du pouvoir et de la grandeur de celui qui l’impulse. Chaque président a donc voulu laisser sa marque, sa signature dans le paysage cairote. Sadate a commencé avec la ville du 6 octobre, en 1979. Les présidents suivants l’ont imité, avec toujours plus d’ambition. Le projet de nouvelle capitale est l’aboutissement de ce processus. Cependant, la plupart de ces projets sont des échecs relatifs. Ces villes sont occidentalisées, donc avec des loyers que ceux qui ont du mal à se loger au Caire ne peuvent espérer payer. De plus, les classes moyennes, premières visées par ces villes ne s’y intéressent pas, à cause du manque de liens avec Le Caire (pas de transports en commun …). Ainsi, les 2/3 des logements construits sont inhabités. Le rôle de ces villes dans le désengorgement du Caire est donc assez faible.

 

Aire urbaine du Caire

Les objectifs nationaux et internationaux de la NAC

La NAC (New Administrative Capital, c’est pour l’instant le nom de cette nouvelle capitale qui n’a pas encore de nom officiel) a pour but premier de désengorger Le Caire et la vallée du Nil. Elle devrait faire 700 km² et accueillir 5 millions d’habitants[5]. C’est donc un projet colossal. Cependant, comme on l’a vu, les autres villes nouvelles n’ont pas été des succès flamboyants. Et les mêmes erreurs sont en passe d’être répétées (loyers trop chers, manque de transports en commun viables …). Ainsi, la construction de la NAC relève également d’enjeux plus globaux, au niveau régional, comme au niveau mondial. L’Égypte cherche à exercer un soft power dans la région en assurant la paix, grâce à un système d’alliances développé. La NAC est un vaste projet dont le budget officiel s’élève à 45 milliards de dollars. Régionalement, quel est l’intérêt d’un tel projet ? L’Égypte s’offre un visage occidental. Elle dévoile à ses voisins l’importance de ses moyens et la puissance qui est la sienne. Elle veut montrer qu’elle peut mener à bien le projet le plus colossal de tout le Moyen-Orient, éclipsant ainsi le barrage de la renaissance éthiopien. En effet, la NAC est créé ex nihilo à 50 km de la première source d’eau (le Nil). Les défis posés par un tel projet sont immenses, l’Égypte veut montrer qu’elle peut les relever, qu’elle en a les capacités. Elle prouverait ainsi à l’Éthiopie qu’elle a autant qu’elle les capacités de réaliser des immenses chantiers. C’est un avertissement lancé à tous ceux qui veulent doutent de la puissance égyptienne. En plus d’être une démonstration évidente de puissance, l’Égypte veut créer un pôle régional d’attractivité. La géographie du site n’a pas été choisie au hasard (voir fig. 2) : la capitale se situe entre le canal de Suez (qui a également fait l’objet de grands travaux pour le moderniser, à 8 milliards de dollars) et Le Caire. L’objectif recherché par Al Sissi est de ne pas trop s’éloigner du Caire, tout en s’approchant considérablement du Sinaï, pour faire de cette zone une région dynamique, alors qu’elle est pour l’instant le théâtre d’un conflit entre les forces égyptiennes aidées par Israël et des groupes djihadistes. C’est également l’occasion pour Al Sissi de se rapprocher de la véritable artère économique du pays : le canal de Suez. Par le choix de cet endroit stratégique, Al Sissi veut développer un pôle d’attractivité égyptien pour les Égyptiens, mais aussi pour les puissances environnantes. En devenant un pôle d’attractivité oriental, il veut augmenter le soft power et donc la puissance égyptienne. Cette nouvelle capitale est également l’occasion de démontrer sa puissance et de lancer un message à l’ensemble des États qui pourraient estimer que la révolution de 2011 a affaibli l’Égypte.

Par ce projet l’Égypte prouve également à l’ensemble du monde occidental qu’elle est devenue une place stable d’investissement. La NAC est appelée le « nouveau Dubaï », ce qu’Al Sissi ne dément absolument pas. En effet, selon The Global Financial Centres Index, Dubaï est la 17e place financière mondiale, alors que Le Caire ne figure pas dans ce classement des 30 premières places mondiales… Al Sissi veut créer une place financière mondiale attractive. Selon l’OCDE, entre 1998 et 2019, l’Égypte a continuellement diminué son indice de restrictivité de l’IDE[6], prouvant ainsi son besoin de financement. Pour atteindre ce but, Al Sissi a besoin de donner l’image d’un pays stable, sans remous politiques et qui est puissant économiquement. La construction d’une ville à 45 milliards de dollars entre parfaitement dans cette optique. Quel régime politique instable avec une économie faible peut se lancer dans ce genre de chantier ? C’est donc encore ici un signal envoyé aux puissances émettrices d’IDE. Pour développer cette image de stabilité, Al Sissi a fait le choix de construire sa ville sur un mode occidental. On y verra donc les bâtiments typiques d’une ville occidentale moderne : des gratte-ciels démesurément grands (la tour la plus haute d’Afrique à plus de 380 mètres y est en construction), un parc d’attractions 4 fois plus grand que Disneyland, un espace vert deux fois plus grand que Central Park[7]

Le président égyptien a besoin de rassurer la communauté internationale, tant au niveau régional, qu’au niveau mondial, 10 ans après la révolution de 2011. Il veut montrer que le pays peut se moderniser et peut être considéré comme une puissance économique.

Cependant, les enjeux ne s’arrêtent pas là : des enjeux nationaux très importants entrent également en compte : 10 ans après la révolution et 8 ans après son arrivée au pouvoir, Al Sissi craint un nouveau soulèvement. La présence constante de l’armée dans les rues du Caire, notamment autour de la place Tahrir, lieu emblématique de la contestation de 2011, témoigne de cela. La NAC revêt donc un intérêt politique évident : elle devient pour Al Sissi l’occasion de s’écarter de ces lieux de contestation, alors qu’une partie de la population égyptienne rêve d’un régime différent. Avant 2011, le PND au pouvoir était un parti État. Il dominait la vie politique du pays et même si quelques autres partis existaient, le PND restait le parti de référence. Son maillage local, fort de dizaines d’années d’expérience permettait de conserver une unité dans la vie politique du pays. Après la révolution de 2011, ce parti a été démantelé, ce qui a eu pour effet de désunir politiquement le pays. Aujourd’hui, une centaine de partis luttent pour les sièges au parlement. Cela accentue encore le potentiel contestataire égyptien. Ce potentiel est la principale crainte d’Al Sissi. Enfin, la majorité des soutiens du président égyptien sont les classes moyennes et le patronat. La NAC est conçue pour accueillir exactement ces classes. En effet, le prix moyen d’un appartement étant de 100 000 dollars, la majorité des Égyptiens ne pourront se l’offrir. Al Sissi veut donc offrir une ville calme et stable à ses soutiens. Cependant, au vu de l’échec des nouvelles villes, la question de l’efficacité de la nouvelle capitale pour atteindre ces objectifs se pose.

Crédits : Atlas de l’Égypte contemporaine, édition CNRS, par Hala Bayoumi et Karine Bennafla

 

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[1] https://donnees.banquemondiale.org/

[2] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/02/11/la-population-de-l-egypte-atteint-les-100-millions-d-habitants_6029209_3212.html

[3] Atlas de l’Égypte contemporaine, CNRS éditions. Chiffres du CAPMAS (agence égyptienne de statistiques)

[4] Ibid

[5] https://legrandcontinent.eu/fr/2019/08/15/une-capitale-chinoise-pour-legypte-au-caire-le-profil-de-la-nouvelle-capitale/

[6] https://data.oecd.org/fr/fdi/restrictivite-de-l-ide.htm

[7] https://legrandcontinent.eu/fr/2019/08/15/une-capitale-chinoise-pour-legypte-au-caire-le-profil-de-la-nouvelle-capitale/

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Benoit Bertran de Balanda

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