<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le dilemme italien : comment renforcer le pouvoir exécutif ?

29 juillet 2023

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Photo : Gouvernement Meloni du 22 octobre 2022. Wiki Commons
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Le dilemme italien : comment renforcer le pouvoir exécutif ?

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Présidentialisme ou Premier ministre plus fort ? L’Italie est en quête d’une meilleure gouvernabilité. Sortir de l’impuissance du régime des partis et renforcer la légitimité et l’autorité du pouvoir exécutif : Meloni approuve.

Avec une durée moyenne des gouvernements qui, depuis 1994, sous la IIe République, est de six cent onze jours, aucun exécutif n’a réussi à boucler toute la durée d’une législature. Le plus long gouvernement est le Berlusconi II, avec trois ans, dix mois et douze jours. Face à ce constat factuel, le gouvernement Meloni et ses alliés ont inscrit au programme une réforme visant à amender la Constitution en introduisant le présidentialisme (avec l’élection au suffrage universel du chef de l’État, jusqu’alors élu par de grands électeurs) ou l’élection au suffrage universel direct du président du Conseil, système dit du premierato ; ou une troisième voie. Tout est encore en cours de finalisation.

Renforcer oui, mais comment ?

Ce gouvernement souhaite durer cinq ans. Mais l’idée est de garantir à celui qui remporte l’élection une plus grande « gouvernabilité » et une plus forte capacité à prendre des décisions rapidement : pour pallier l’impuissance du système de partis et renforcer la légitimité et l’autorité de l’exécutif. En Italie, il existe une expression hautement symbolique : celle de gouvernements « construits en laboratoire », qui indique précisément l’incapacité du système actuel à garantir aux Italiens un exécutif qui soit véritablement l’expression de la volonté populaire. Mais surtout, depuis des années, il y a un problème évident de continuité et de durée des gouvernements. Le problème est de savoir si les forces politiques, dans leur ensemble, sont disposées à atteindre cet objectif d’une plus grande stabilité gouvernementale.

Lors de la campagne électorale de l’été dernier, le centre-droit – devenu aujourd’hui destra-centro – a de nouveau présenté le thème du présidentialisme aux électeurs. Selon un sondage réalisé entre le 10 et le 12 mai 2023 par SWG pour le compte de La7 (sur un échantillon de 800 personnes), les opinions sur le présidentialisme ont beaucoup évolué ces dernières années : en 2013, 59 % étaient d’accord ; en 2023, le pourcentage est tombé à 42 %. Alors que, selon le même sondage, 61 % seraient d’accord avec une réforme introduisant le système dit du premierato.

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La ministre des Réformes, Elisabetta Alberti Casellati (Forza Italia), a lancé une série de consultations avec toutes les parties pour recueillir des propositions et discuter du sujet : « Le présidentialisme est l’une des nécessités incontournables, explique la ministre. Nous en parlons maintenant depuis trop longtemps. Le programme du gouvernement de Berlusconi en 1994 comprenait une réforme présidentielle. Nous devons changer notre structure gouvernementale, car les chiffres le montrent : en soixante-quinze ans d’histoire républicaine, nous avons eu 69 gouvernements qui durent en moyenne quatorze mois. Et c’est franchement inacceptable. » Casellati explique que « cela signifie qu’en Italie, il n’y a pas de capacité de réflexion politique à long terme, cela entraîne des conséquences négatives pour les citoyens, les familles et les entreprises. Nous avons besoin d’une stabilité qui renforce notre démocratie et notre crédibilité en Italie et à l’étranger. »

Au fond, les hypothèses mises en place mûrissent autour de deux possibles réformes constitutionnelles. Celui qui donne plus d’efficacité au gouvernement, et peut-être même plus de force et de pouvoirs au président du Conseil des ministres, mais qui en même temps laisse intacts l’autorité et le prestige du président de la République (la plus haute fonction de l’État). Une autre voie possible est celle qui tenterait plutôt d’atteindre les objectifs de renforcement du pouvoir exécutif en réduisant légèrement l’autorité du chef de l’État. Cependant, ce qui reste à considérer est – ou devrait être à l’avenir – le rapport de force entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

Un Parlement soumis aux partis

En Italie, aujourd’hui, le Parlement est composé de députés et de sénateurs qui sont essentiellement désignés par les partis, qui arrivent à la Chambre ou au Sénat sur la base du résultat électoral. Ils ressemblent plus à des politiciens nommés qu’à des politiciens élus, par exemple sur la base de la préférence sur le nom des individus comme c’était le cas par le passé. Le Parlement, aujourd’hui, voit donc les députés et les sénateurs apparaître très souvent presque comme des politiciens soumis aux chefs des partis.

Si le pouvoir de l’exécutif devait être fortement renforcé, au détriment de la présidence de la République, et avec un Parlement qui ne contrebalancerait pas suffisamment le pouvoir exécutif, ce choix conduirait l’Italie vers un modèle extrêmement descendant, qui risque de déséquilibrer le pouvoir exécutif plutôt que législatif. Et sur ce point aussi, la majorité comme l’opposition s’interrogent, entre doutes (à gauche) et volonté concrète de changer le statu quo.

Casellati a impliqué les oppositions – PD, Mouvement 5 étoiles (M5S) et surtout les centristes (plus ouverts au dialogue) d’Action/Italia Viva – essayant de garder une porte ouverte sur d’éventuelles « trois formes » : présidentialisme américain, semi-présidentialisme français et premierato. Après avoir écouté les oppositions, Casellati dit s’être donnée un temps de réflexion pour pouvoir rassembler toutes les positions et voir s’il y a la possibilité d’un point de départ pour faire cette réforme, éventuellement avec tout le monde, de manière partagée. « Notre idée, a précisé la ministre, n’est pas de faire une réforme à coups de majorité, mais nous ne voulons pas non plus qu’elle ne se fasse à coups de minorité, car ce serait un déficit démocratique. »

Lors du Summit for Democracy en mai 2022, le Premier ministre Meloni a évoqué la nécessité de veiller à ce que les institutions soient stables, rapides et efficaces. « C’est pouvoir avoir une plus grande fiabilité au niveau international et travailler à focaliser les énergies sur des objectifs stratégiques et à long terme. C’est dans cette direction que mon gouvernement veut aller : en effet, nous sommes fermement convaincus que la démocratie peut devenir encore plus forte et solide à travers une réforme présidentielle de l’État, une réforme que je considère fondamentale et qui représente aussi une mesure puissante pour la croissance économique. »

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Meloni, en mai, a convoqué les dirigeants de l’opposition pour une discussion sur les voies possibles. À en juger par les réactions, les oppositions semblent très divisées, privilégiant un parcours éventuellement solitaire de la majorité. Pour la secrétaire du PD Elly Schlein, « la forme parlementaire doit être améliorée, pas dépassée », et le rôle du président de la République ne doit pas être touché ; le leader du M5S Giuseppe Conte résume ainsi le face-à-face avec Meloni : « Nous n’avons pas entendu de propositions partageables, mais une commission ad hoc était bien. » Carlo Calenda (le centriste d’Action-Italia Viva) dit : « Oui au maire d’Italie », une voie possible, mais dont la traduction au niveau national n’est pas si immédiate. Alors que l’Alliance Vert-Gauche se dit « indisponible sur le présidentialisme » et dit aussi « non » à une commission bicamérale composée de députés et de sénateurs pour discuter des propositions de la majorité.

Meloni soutient que son gouvernement n’a pas « de solution toute faite ». Et il résume ainsi le bilan de la première confrontation avec les leaders de l’opposition : « J’ai trouvé des fermetures sur le présidentialisme, moins sur le système dit du premierato. » Le Premier ministre s’ouvre donc à l’opposition, sans préjudice de l’engagement pris avec les citoyens de remettre la souveraineté entre leurs mains et de garantir une démocratie plus mature. « Nous avons des problèmes d’instabilité qui n’ont pas d’égal dans les autres grandes démocraties occidentales », affirme le Premier ministre.

Un maire d’Italie ?

Si le modèle qui sera poursuivi sera celui du soi-disant « maire d’Italie » (avec un second tour de scrutin si aucun des candidats ne dépasse les 50 % au premier tour, prime majoritaire au vainqueur, pour s’assurer qu’il a les chiffres pour gouverner), qui n’existe nulle part dans le monde, à l’exception d’une expérimentation partielle en Israël, aux résultats discutables, le gouvernement pourrait recueillir l’appui des centristes et poursuivre malgré tout le processus de réforme. Sinon, il va falloir s’occuper longtemps ou passer en force. La phase d’écoute est toujours en cours. Ce qui est certain, c’est qu’en Italie, il y a un besoin de renforcer le pouvoir exécutif. Parce que, tel qu’il est configuré aujourd’hui, il est faible ; au détriment de toute la nation. Il n’y a pas de solution unique possible. Et c’est le problème dans le problème.

Dans un passage du discours prononcé à la Chambre pour demander la confiance au gouvernement, le 25 octobre 2022, Meloni a expliqué que « contrairement à ce qui a été affirmé, je n’ai jamais ressenti de sympathie ou de proximité envers des régimes antidémocratiques, et pour aucun régime, y compris le fascisme ». Un message très clair à ceux qui voient le risque d’une dérive autoritaire en Italie dans la volonté de sa coalition de réformer les institutions en renforçant le pouvoir exécutif.

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Francesco De Remigis

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