<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les dividendes de la paix

10 janvier 2024

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Les dividendes de la paix

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Depuis la fin de la guerre froide, le monde occidental ne se considère plus en guerre. « Lutte » et « maintien de la paix » sont les termes choisis pour désigner ce qui est nié.

Article paru dans le numéro 49 de janvier 2024 – Israël. La guerre sans fin.

Nous sommes en train de payer les dividendes de la paix. Il y a trente ans, l’URSS défaite, la paix apparaissait comme l’horizon des nations. Il y avait certes des guerres, dans les Balkans, en Somalie, en Algérie, mais elles étaient intellectuellement éloignées de nos préoccupations et de nos craintes. Ces guerres étaient ailleurs, dans un lointain géographique et intellectuel qui nous donnait l’illusion qu’elles ne nous concernaient pas. La France allait pouvoir toucher les dividendes de la paix : économiser sur le budget militaire pour dépenser plus sur le budget social. Et en effet, le budget militaire chuta. Fermetures de bases et de casernes, dissolutions de régiments, réduction des effectifs, non-renouvellement des matériels. Derrière les porte-étendards que sont le Charles-de-Gaulle et le Rafale, la forêt militaire rapetissait année après année. On déclarait la guerre contre à peu près tout : le chômage, la pauvreté, la grippe, mais la guerre des soldats, elle, s’effaçait. Le retour fut brutal. Il y eut d’abord le 11 septembre 2001, un choc et une apocalypse qui ouvraient sur un nouveau monde. Puis l’armée française envoyée en Afghanistan, en Libye, dans les Afriques ; avec des moyens réduits. La France engagea plus d’opérations extérieures entre 1991 et 2020 que durant la guerre froide, tout en se refusant à reconnaître la permanence de la guerre. De « l’opération de maintien de la paix » à la « lutte contre le terrorisme », toutes les périphrases étaient bonnes pour nier la présence de la guerre.

Dividendes de l’aveuglement

La guerre en Ukraine a eu au moins ce mérite de faire ouvrir les yeux sur la réalité de la guerre. Mais il était presque trop tard. Le matériel est ancien et vétuste, les bâtiments des casernes sont délabrés, l’armée française, de plus en plus réduite, serait bien en peine de soutenir un choc militaire de haute intensité, les effectifs de la marine ne permettent pas de tenir à la fois l’espace polynésien et le canal du Mozambique, l’armée de terre est sur l’os. Pourtant, fiscalité et endettement n’ont cessé de croître mais ce n’est pas pour le service des armées, contrairement à la vocation initiale de l’impôt. Les « dividendes de la paix » se sont révélés des dividendes de l’aveuglement, sur les menaces stratégiques, sur la présence d’ennemis, sur les possibilités d’engagement des armées. À quoi s’ajoutent des lacunes graves dans la pensée stratégique et l’analyse géopolitique. Une fois dites les figures imposées à la mode, il ne reste plus grand-chose, les administrations françaises étant victimes d’un glaucome géopolitique qui rétrécit de plus en plus leur champ de vision. Il n’y a plus de politique arabe, comme il n’y a pas de politique africaine ou asiatique, comme il n’y a plus de pilote au sein de la diplomatie française. L’attaque du 7 octobre en Israël a stupéfié par un nouveau retour de la guerre et par une crainte d’un embrasement français quelques mois après les émeutes de fin juin. Dans ce conflit, il y a une part rationnelle et une part émotive et sensible forte qui tranche les opinions et sépare les camps. Mais de tous les pays occidentaux, Israël est celui qui a la plus grande expérience de la guerre sur son territoire, disposant d’une société civile pleinement engagée dans la protection de sa nation et d’une armée aguerrie par une guerre quotidienne.

Dividendes de l’histoire

Si les yeux français se sont de nouveau ouverts sur la guerre, il lui faudra aussi s’ouvrir sur son histoire pour y puiser des inspirations et des réflexions sur la guerre actuelle. Le parallèle entre la guerre en Israël et la guerre en Algérie, entre la tactique du Hamas et celle du FLN est éclairant. Relire l’histoire, en l’actualisant, permet de répondre aux défis contemporains. La guerre révolutionnaire et d’insurrection qu’a longtemps affrontée la France de l’Indochine à l’Algérie ressurgit, pour d’autres causes, en Israël et sur le territoire national. Les auteurs classiques ont beaucoup à nous apprendre, non pour les copier, mais pour s’en nourrir. La fin de l’aveuglement passe par la lecture des événements du passé et des auteurs d’antan. Plutôt que de payer les intérêts de nos aveuglements, capitalisons sur les dividendes de notre histoire.

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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