Les duels à travers les âges

28 avril 2024

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : Assaut d'armes entre les chevaliers de Saint-George et d'Eon (Alexandre-Auguste Robineau, 1787)
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Les duels à travers les âges

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La nouvelle exposition qui vient d’ouvrir ses portes au musée de l’Armée (Invalides) sur les duels permet de revenir sur l’histoire et l’évolution du duel, de l’Antiquité jusqu’à nos jours.

Les duels : l’art du combat, une exposition temporaire au musée de l’Armée

Qui se bat en duel ?

Si les duels sont principalement associés, de nos jours, à des usages strictement aristocratiques, ces derniers connaissent en réalité des formes très diverses. Hommes ou femmes, nobles ou roturiers, bourgeois ou ouvriers, les duels ne se limitent pas à un outil de la noblesse pour régler des comptes, même si cette « violence ritualisée » est surtout portée et théorisée par les classes sociales supérieures. Mais, à travers les siècles, on retrouve des duels dans toutes les couches de la société, du duel roturier du XVIIIe siècle aux combats d’« apaches » parisiens du XIXe siècle. Cette multiplicité de la facette du duel est bien représentée à travers l’exposition, contrastant avec la pratique plus commune de rencontres duellistes entre aristocrates, hommes de lettres ou politiciens.

De la même manière, si le duel porte en lui un caractère à dominance masculine, on peut noter aussi la présence de grandes duellistes féminines à travers l’histoire. Intimement lié à la notion de genre, le combat était surtout prisé des jeunes hommes qui y voyaient un rite de passage à l’âge adulte au cours duquel le jeune combattant prouve sa valeur en démontrant son courage. La femme, quant à elle, est souvent l’objet même du combat. Pourtant, certaines duellistes féminines sont mises à l’honneur par le musée de l’armée, comme l’actrice Julie d’Aubigny, plus connue sous le nom de « la Maupin ».

Enfin, le duel connait une place spéciale dans la mentalité des militaires, car ils témoignent de l’idéal chevaleresque qui anime les officiers et les troupes qui se préparent au combat. C’est pour ça que, bien qu’aboli, le duel reste toléré au sein de l’armée et l’enseignement de l’escrime est même obligatoire pour les officiers jusqu’à l’aube de la Première Guerre mondiale.

Brevet de prévôt délivré au Caporal Guémard, du 67ème régiment d’infanterie, 1857.

Les formes du duel

À travers les siècles, la coutume du duel a évolué et a connu de multiples mutations. Sa pratique s’est non seulement étendue à différents milieux sociaux, mais a aussi connu différents modèles permettant de « classer » les duels.

Le duel antique est une représentation héroïque que l’on retrouve déjà dès l’Antiquité dans des œuvres comme l’Iliade ou la Bible. À travers ces « duels de champions », deux héros représentant chacun une ville et son armée s’affrontent pour la victoire et la gloire. Cette représentation héroïque sera surtout popularisée au Moyen-Âge, où l’on retrouve le même système lors des joutes.

Achille vainqueur d’Hector (Pierre-Paul Rubens, 1630)

Le duel ordalique est une seconde forme de duel qui apparaît dès la fin de l’Antiquité. Celui-ci permet de résoudre des différends en ayant recours à la puissance de Dieu, qui accordera la force nécessaire pour triompher au juste, à celui qui dit la vérité. Cette forme de duel permet notamment de trancher sur des affaires judiciaires qui manquent de visibilité ou dont les preuves ne sont pas assez nombreuses pour déceler la vérité. Mais ces duels ordaliques seront vite condamnés par l’Église, qui y voit un recours direct à la volonté divine par l’intercession de la puissance de Dieu, constituant une entorse aux prescriptions bibliques (car mettre son Dieu à l’épreuve est un péché grave).
Le duel sportif, et plus particulièrement l’escrime, se développe aussi à partir du Moyen-Ậge en Europe. Cette pratique, qui devient vite un art savant, arrive dans les milieux aristocratiques français à partir du XVIIe siècle, où elle devient un élément de l’éducation des nobles, permettant de développer la force physique et morale des jeunes individus. Si sa pratique se limite encore à un combat entre duellistes, l’escrime devient un sport à part entière avec le développement des JO dès la fin du XIXe siècle.
Le duel d’Honneur est peut-être la forme la plus connue du combat ritualisé. Surtout prisé au XVIe siècle, ce duel ne se justifie pas par une nécessité martiale ou judiciaire, mais plutôt pour assurer sa réputation, son honneur. Or l’honneur étant une notion subjective, les duels pouvaient être lancés dans toute sorte de situations où une personne se sentait offensée.

Code de l’Honneur et du Duel. (c) Musée de l’Armée

Aujourd’hui, la tradition du duel est reprise notamment par les gangs qui instaurent des combats à mains nues, permettant ainsi de régler des comptes en limitant les « bains de sang ».

Le duel : un véritable rituel

Si le duel a connu de nombreuses formes à travers les siècles, son caractère précis et ritualisé doit répondre à de nombreuses règles permettant d’assurer l’équité du combat. Les deux duellistes doivent être égaux devant la mort pour que la vérité puisse s’exprimer. De même, la présence de témoins se veut aussi être une règle indispensable du duel. Ces derniers sont les garants de la bonne tenue du combat ainsi que de l’équité entre les combattants et leurs armes, et à ce titre jouent un rôle aussi important que les duellistes. Le dernier élément présent est le médecin, qui permet en cas de blessure grave d’arrêter le duel et ainsi éviter toute violence inutile.

Malgré l’attention portée à l’égalité des chances à travers l’utilisation de mêmes armes, chaque duelliste possède sa botte secrète, qui peut lui permettre de prendre le dessus et vaincre son adversaire. Mais cette égalité ne sera pas réellement atteinte lors des duels à l’épée, car celles-ci peuvent différer en poids et en taille. Il faut attendre l’apparition des duels au pistolet pour que le duel atteigne une véritable équité des chances. Au cours de ces derniers, l’on tire au jugé, sans véritablement viser, abandonnant le résultat au destin.

Assaut d’armes entre les chevaliers de Saint-George et d’Eon (Alexandre-Auguste Robineau, 1787)

Le duelliste ou la figure héroïque

Très rapidement, le duelliste est associé à la figure du héros qui, au-delà des diverses motivations, y voit surtout un élément de courage et d’honneur. C’est ainsi qu’il est perçu dans les nombreuses œuvres d’art à l’effigie des duels. La littérature en particulier a longtemps fait l’éloge de héros qui triomphent par l’épée, tels que Achille, le roi Arthur ou encore d’Artagnan. Ainsi le combat permet de renforcer l’idéal du héros tout en restaurant une dignité que l’on considère bafouée.

À l’inverse, celui qui fuit le duel est un lâche, un bon à rien, mis au ban de la société.

Ayant refusé un duel, le nom de Jean de Nivelle est associé à la couardise.

Le duel et l’État

« Le duel n’est autorisé que dans les cas avérés d’homicides, trahisons et autres griefs, violences ou maléfices. » Ordonnance de Philippe Le Bel

Si le duel a parcouru des siècles d’Histoire, cela est dû à la position ambigüe qu’il a entretenue au fil des époques avec l’État. Dès l’Antiquité, le duel jouit d’un statut spécial, car sa pratique est condamnée en principe, mais tolérée dans les faits. En France, le pouvoir royal tente de limiter le recours au duel dès le Moyen Âge, et tous les rois de France ont successivement tenté de légiférer sur la pratique des duels.

Édit du Roy, portant règlement général sur les duels, 1679.

Dès 1602, avec la création d’un tribunal chargé de régler les litiges par le compromis, Louis XIII affirme sa volonté de réduire les duels dans la société française. Il emploie alors des lieutenants qui représentent ce tribunal dans les provinces françaises. De même, l’édit contre les duels et les rencontres, promulgué par Louis XIV en 1679, tente de lutter contre la pratique des duels. Mais si ces derniers semblent baisser, ils sont en réalité organisés en secret, loin des yeux du grand public.Il faudra attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour que les duels connaissent un véritable changement. En effet, la mort en masse des populations européennes lors de la Grande Guerre fait changer l’opinion publique, qui n’accepte plus que l’on meure pour des prétextes futiles. Le duel se fait alors le plus souvent jusqu’à la première blessure, et perd petit à petit de son sens. Il devient alors un simple spectacle, mis en œuvre par des intellectuels ou des politiciens à la recherche d’une couverture médiatique.

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Côme du Cluzel

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