Les Guerres de Religion : la monarchie aux prises avec la Réforme. Entretien avec Nicolas Le Roux

25 septembre 2023

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Le Massacre de la Saint-Barthélémy (1572). (c) wikipedia
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Les Guerres de Religion : la monarchie aux prises avec la Réforme. Entretien avec Nicolas Le Roux

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Les Guerres de Religion sont parfois considérées comme le début de la dégradation de l’image de la monarchie française. L’explosion de l’information, la portée des discours des chefs, l’internationalisation de la cause ont fait de ce conflit plus qu’une guerre civile. Nicolas Le Roux nous livre son analyse.

Spécialiste de l’époque moderne, Nicolas Le Roux est professeur à Sorbonne-Université. Il vient de publier Les guerres de Religion. Une histoire de l’Europe au XVIe siècle, Passés Composés, 2023.

Propos recueillis par Pétronille de Lestrade.

Quel évènement peut être considéré comme le déclencheur des Guerres de Religion ?

En France, l’évènement déclencheur est, paradoxalement, la mort d’Henri II en 1559. Cet évènement politique fait passer la crise religieuse dans une dimension qui jusque là restait dans le domaine de la justice. Auparavant, les hérétiques étaient pourchassés, mais il n’y avait pas de guerre. Le royaume était en paix. À la mort du roi survient un vide politique, des tensions qui entraînent un renforcement du côté protestant. Une partie de la noblesse est séduite par la Réforme.

Puis, le développement du protestantisme est très rapide dans les années qui suivent. La crise politique se conjugue à cette expansion religieuse, et la combinaison des deux aboutit à une multiplication des violences, et, en 1562, à l’entrée dans une logique de guerre civile. Il y a désormais dans le royaume un affrontement d’ordre militaire, dans laquelle une partie nobiliaire joue un grand rôle. La nature du conflit est changée.

L’Angleterre ne connaît pas la guerre civile, mais comment participe-t-elle aux guerres de Religion ?

En Angleterre, la Réforme vient d’en haut. C’est le roi qui décide. La transformation de la société est imposée depuis la tête de la hiérarchie, ce qui entraîne certaines révoltes assez brèves, notamment dans le nord du pays. Mais elles ne s’étendent pas, et ne conduisent pas à une guerre civile.

L’Angleterre participe effectivement aux guerres sur le continent : en France à partir de 1562 puis aux Pays-Bas à partir de 1585. Elle intervient en France lors de la première Guerre de Religion, en 1562-1563. Mais perdante, elle opte alors pour la prudence. Puis, elle se tourne de nouveau vers la France lorsque Henri de Bourbon entre en scène. Elle intervient également aux Pays-Bas à partir des années 1580. Là, elle se bat contre les Espagnols.

L’Angleterre opère ainsi une guerre à distance, via des opérations extérieures, l’envoi de contingents, des prêts financiers. Au moment de « l’Invincible Armada », en 1588, elle mène une guerre défensive contre l’Espagne, et repousse la flotte espagnole durant l’été.

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On suppose que l’Angleterre n’a pas pour seule motivation l’idéal religieux.

En effet, cela serait trop simple. Le but ultime des Anglais dans ce conflit est de récupérer la ville de Calais, perdue lors d’une cuisante défaite en 1587. Les protestants ont donné aux Anglais Le Havre, et ceux-ci espèrent obtenir l’échange avec Calais.

Comment expliquer que le message de Luther puis de Calvin emporte l’engouement de tant de Français, dans un royaume pourtant très catholique ?

Le message de Martin Luther n’a pas eu un impact si considérable en France. Il faut attendre le milieu du XVIe siècle pour que la Réforme se développe véritablement. À partir des années 1530 et des messages des réformateurs suisses, puis des années 1550 et des écrits de Jean Calvin, la diffusion du protestantisme explose.

L’immense historien Denis Crouzet montre qu’il existe dans le message protestant calviniste une dimension « désangoissante ». En effet, la religion protestante repose sur le principe de la justification par la foi seule, et non par la foi et les œuvres. Ce qui compte pour les protestants est la foi, il ne faut pas chercher à percer les mystères divins. Dieu est inconnaissable directement. Il faut lire les Écritures pour le connaître, et s’interdire les spéculations. Le Dieu des protestants donne le salut, alors que le Dieu des catholiques juge, en fonction de la foi et des œuvres, des actions terrestres. Dans la foi catholique, on ne saura jamais si les œuvres ont été suffisantes. Il règne toujours une dimension d’inquiétude. Tandis qu’avec la foi seule, l’interrogation de l’au-delà disparaît, la foi elle-même étant un indice : par la vie de foi que l’on mène, on sait si l’on appartient au petit « troupeau », comme ils disent, choisi par Dieu pour la vie éternelle. C’est bien sûr le phénomène de la prédestination : le salut ne dépend pas des actions terrestres.

Par conséquent, la foi protestante libère. On se débarrasse de toute inquiétude relative à la question du salut. Elle séduit les notables, la population éduquée, alphabétisée, capable de lire la Bible. Elle insiste sur le fait qu’il faut accéder directement aux Écritures, car la foi protestante est sans intermédiaire.

Quelle est la stratégie de la monarchie française dans la signature de l’Edit de Nantes ?

L’Édit de Nantes est celui que l’on connaît le plus. Il met fin aux Guerres de Religion, et c’est le seul édit réellement appliqué. Mais il n’innove pas, il reprend des textes plus anciens. Huit édits ont été signés depuis 1563, l’Édit de Nantes en est le dernier. Il met fin à la huitième Guerre de Religion. Il est extrêmement précis, et survient alors que le royaume est déjà à peu près en paix, contexte différent des anciens édits, qui étaient signés en temps de guerre.

L’édit territorialise le culte, accepté dans certains endroits du royaume. Il reconnaît que les protestants sont de loyaux sujets, ils peuvent accéder au service du roi. Il leur concède des places de sûreté, ce qui leur permet de maintenir des garnisons, ce qui montre d’ailleurs que la méfiance règne toujours.

Henri IV le signe, poussé par ses anciens coreligionnaires. Le roi aurait aimé confirmer simplement les édits pris sous le règne précédent. Mais les protestants le poussent à aller plus loin. Ils réclament davantage de places de sûreté, que les pasteurs soient entretenus par le roi. Plusieurs petits avantages se greffent alors.

Mais il est important de souligner que la première disposition de ces édits est toujours le rétablissement du catholicisme. Certes, ils sont favorables aux protestants, mais le but ultime reste la restauration de la foi catholique dans le royaume, ce qui sera l’un des grands enjeux du début du XVIIIe siècle.

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Pourquoi considérer que les guerres de Religion ont également été une révolution de l’information ? Cette révolution a-t-elle dégradé l’image des monarchies européennes ?

Les Guerres de Religion et le XVIe siècle plus généralement sont un moment d’explosion des formes modernes de l’information : l’image, l’imprimé, dans le cadre de la grande réforme de l’imprimerie. Très tôt, les protestants utilisent les médias modernes pour diffuser la parole de Luther de façon très coordonnée, stratégique, territoriale. C’est assez impressionnant d’ailleurs. Il y a une véritable explosion des publications et des textes religieux, la plupart en langue vernaculaire, ce qui change totalement le rapport des individus à l’écrit. Cela permet également aux messages des réformes de se développer considérablement.

En France, à partir de 1560, des textes de combats sont diffusés, ainsi que des polémiques politico-religieuses, dans le contexte de la mort d’Henri II. Certains textes s’en prennent directement aux gouvernants, à l’Église, aux conseillers du roi, accusations parfois très brutales.

Et à partir de 1562, des textes de justification sont véhiculés : lorsqu’un parti prend les armes, il se justifie, ce qui est très nouveau. Il s’adresse au public pour expliquer le motif de son combat. Cela a pour conséquence d’écorner fortement la figure du roi. Des images très spectaculaires circulent, représentant le roi transformé en démon à supprimer. Cette époque voit également la naissance de la désinformation, des fausses informations circulent pour mobiliser la population.

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