<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les guerres médiques : le choc civilisation / barbarie ?

17 septembre 2023

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Les guerres médiques : le choc civilisation / barbarie ?

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Les guerres médiques portent en elles une force symbolique très puissante qui traverse les âges. Elles sont l’opposition entre l’homme civilisé et le barbare, l’ordre contre la masse, la liberté contre l’esclavage. Avec un courage extraordinaire, les Grecs s’opposèrent à l’envahisseur pour sauver leur monde. On comprend toute la teneur de la victoire au lendemain de Salamine lorsque Eschyle cite le péan des Grecs, ce fameux chant de guerre entonné ce jour-là : « Allez enfants des Grecs, délivrez la patrie, libérez vos enfants et vos femmes, les sanctuaires des dieux de vos pères et les tombeaux de vos aïeux. »

Article paru dans le numéro 47 de septembre 2023 – Occident. La puissance et le doute.

Les guerres médiques sont rapportées par Hérodote, Plutarque, par une Vie consacrée à Thémistocle, mais aussi par Pausanias, voyageur du IIe siècle qui décrivit les stigmates de la guerre que portait encore Athènes en son temps.

La révolte de l’Ionie

Les événements commencèrent en Ionie et en Lydie, lorsque les cités fondées par les Grecs mais conquises par les Perses se révoltèrent contre leur nouveau maître. Dirigées par des tyrans pour payer de lourdes contributions financières à la dynastie perse achéménide, ces cités couvaient le feu de l’insurrection. L’ambitieux tyran de Milet, Aristagoras, encouragea le Grand Roi Darius à s’emparer de Naxos, île de grande influence culturelle au cœur des Cyclades. L’entreprise échoua. Craignant la colère du roi, Aristagoras se retourna contre le dominateur. Lassées de leur soumission, les cités d’Ionie et de Lydie le suivirent. Connaissant le rapport de force défavorable, le tyran de Milet implora l’aide de Sparte. Elle lui fut refusée. S’adressant à Athènes, il vit sa demande acceptée pour deux raisons. La première, en raison de l’origine attique des fondateurs de Milet, la seconde, pour l’hostilité envers Hippias, ancien tyran d’Athènes réfugié à Sardes, qui complotait son retour.

Au printemps 498, 20 vaisseaux athéniens et cinq navires érétriens s’ajoutèrent aux forces insurgées, attaquèrent la Lydie, et s’aventurèrent jusqu’à Sardes qu’ils brûlèrent avec le sanctuaire de Cybèle. Erreur terrible que de profaner le dieu de l’ennemi : c’est donner à la guerre une dimension spirituelle. Les Grecs, maîtrisant mal l’art du siège, ne parvinrent pas à prendre la citadelle. Cet échec militaire mit un terme à l’expédition, mais encouragea l’insurrection de l’Hellespont, de la Carie et de Chypre.

Darius mit un certain temps à répondre, mais frappa durement. L’armée du Grand Roi reprit rapidement les ports d’Ionie, provoquant la fuite d’Aristagoras, et réprima Milet pour la profanation du sanctuaire de Cybèle. La cité fut rasée, ses habitants massacrés ou réduits en esclavage. Le monde grec s’en émut, mais l’appréciation politique était différente. Ainsi le poète Phrynichos fut condamné à payer une amende pour avoir provoqué les pleurs des spectateurs avec sa tragédie La prise de Milet : certains Athéniens ne voulaient pas froisser le Grand Roi.

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Les ambitions achéménides et l’échec des Balkans

Hérodote vit dans la révolte d’Ionie la cause principale de l’attaque perse contre la Grèce. Darius aurait franchi la mer Égée pour châtier les Grecs d’avoir soutenu l’insurrection d’Ionie et de Lydie et profané le sanctuaire de Cybèle. Mais le refus de Sparte de soutenir Aristagoras et la condamnation de Phrynichos laissent paraître un souci d’entretenir des relations correctes avec le voisin perse. Dans cette analyse vengeresse, la réponse paraît bien trop disproportionnée. Les deux tentatives d’invasion s’expliquent surtout par la dynamique expansionniste de l’Empire achéménide, gagnée par une dimension universelle. Comme tous les empires, les Perses s’étendent dans le sang. Pour confirmer l’expansionnisme, s’ajoute l’intérêt stratégique de réduire la puissance des Grecs, voisins bien encombrants capables de se projeter pour nuire. Le soutien à l’insurrection ionienne l’a démontré.

Darius voulut faire des Balkans une nouvelle satrapie, mais l’expédition se conclut par un désastre. Humilié sans doute, Darius voulut se consoler en soumettant la Grèce. Il y envoya des hérauts réclamer « la terre et l’eau ». Pour toute réponse, les émissaires furent massacrés à Athènes et jetés au fond d’un puits à Sparte. Cet épisode a notamment inspiré Zack Snyder dans son film 300.

Le Grand Roi organisa alors une expédition placée sous le commandement de l’amiral Datis contre les Cyclades. Naxos tomba, ainsi que les cités de l’Eubée. Les cités grecques se divisaient malgré l’approche du danger. Athènes se confrontait à Égine sa voisine, et Sparte se déchirait dans une crise politique provoquée par la rivalité entre ses deux rois. À la fin de l’été, les Athéniens demandèrent de l’aide aux Spartiates qui refusèrent de se battre avant la pleine lune. Très religieux, ils étaient pris dans les fêtes sacrées des Karneia et leurs rituels de fécondité. Athènes ne put compter que sur l’aide de 1 000 Platéens, alliés fidèles de la cité.

Marathon, l’échec de la première invasion

À la fin de l’été 490, Datis cuirassé de certitudes par ses succès dans les Cyclades débarqua en Attique, guidé par Hippias. 25 000 fantassins et 1 000 cavaliers perses débarquèrent à Marathon. Les Athéniens s’y précipitèrent pour aligner 9 000 hoplites et les renforts platéens. Les dix stratèges athéniens élus hésitèrent quant à la stratégie. Militiade proposa l’offensive et fit pencher l’avis du polémarque Callimaque, le chef de guerre, en sa faveur. L’armée fut répartie sur 1,5 km de long, réduisant la phalange à trois ou quatre rangées d’hoplites au centre, contre six à huit habituellement. Il faut s’imaginer l’énergie cinétique d’une armée de 10 000 hommes lourdement armés, collés les uns aux autres pour former un seul corps, marchant à vive allure. Piétinant d’abord les archers puis les fantassins dans un corps-à-corps sanglant, les Grecs parvinrent rageusement à la plage, prirent sept vaisseaux, en incendièrent d’autres. Plus de 6 000 Perses auraient perdu la vie selon Hérodote, alors que les Grecs déplorèrent seulement 192 tués, dont le polémarque Callimaque. Martyrs magnifiques, ils furent incinérés puis enterrés sur place comme les héros de l’Iliade. Déshonoré, Datis qui prévoyait d’attaquer Athènes avec la cavalerie ne débarqua pas.

Hérodote exagéra l’importance de cette victoire pour célébrer la destinée grandiose des Athéniens, « premiers des Grecs à charger l’ennemi à la course, premiers aussi à soutenir la vue du costume mède ».

Cette victoire audacieuse renforça le nouveau régime d’Athènes issu des réformes de Clisthène. Les stratèges élus se révélèrent justes et efficaces, et les citoyens soldats présentèrent une vaillance admirable. L’Attique seule repoussa la première agression des Mèdes, elle sut utiliser cet avantageux argument par la suite.

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Deuxième guerre médique

Une maladie emporta Darius en 486. Son fils Xerxès eut beaucoup de peine à établir son pouvoir, ralentissant l’extension de l’empire. Il fallait une belle prise qui put asseoir solidement son autorité, la Grèce l’appelait. Investissant de grands moyens, Xerxès envoya des centaines de milliers d’hommes par le nord grâce à une passerelle de bateaux de plus d’un kilomètre de long sur l’Hellespont. Eschyle eut cette belle formule : « L’impérieux monarque de l’Asie populeuse pousse à la conquête du monde son monstrueux troupeau humain. » Les préparatifs durèrent quatre années, laissant à la Grèce le temps de se préparer.

Une flotte dépassant les 1 000 navires accompagna le long des côtes des troupes terrestres innombrables. Comme du temps de Darius, des hérauts furent envoyés réclamer « la terre et l’eau ». Cette exigence de soumission fit transparaître les dissensions nombreuses et profondes de la Grèce. À la veille des combats, elle n’était pas encore unie. Diodore de Sicile rapporta que les Locriens ne rallièrent le camp des Grecs qu’au passage de Léonidas, alors que Thèbes décida ouvertement de se ranger auprès de l’envahisseur. L’oracle de Delphes lui-même fut sans doute acheté par le Grand Roi et déconseilla les Argiens de rejoindre l’alliance hellénistique qui se formait.

Athènes et Sparte structurèrent une symmachie, alliance militaire, autour elles. Les deux cités menèrent conjointement les campagnes de ralliement contre l’envahisseur. Si les Spartiates étaient indéniablement les plus terribles lors des combats terrestres, les Athéniens venaient de se doter d’une flotte moderne, financée par l’exploitation des mines d’argent du Laurion. Thémistocle avait obtenu le renoncement des revenus personnels pour les diriger vers la construction de trières. En trois années, entre le vote de la loi navale en 483 et l’attaque des Perses, 200 navires athéniens furent mis à flot. La Pythie avait prophétisé jadis qu’une « muraille de bois sauverait la cité ».

Sparte fut désignée comme hegemon, commandant des opérations. Sur mer, les cités se rangèrent derrière l’adresse de Thémistocle même si les formalités le plaçaient sous les ordres d’un Spartiate.

Avant l’automne 480, les Grecs bien que partagés s’accordèrent finalement sur la stratégie à adopter. Une première armée fut disposée au nord de la Béotie, appuyée par des vaisseaux mouillant au cap de l’Artémision ; une seconde, plus au sud, gardait l’entrée du Péloponnèse.

Les Thermopyles et l’Artémision

Essuyant l’insoumission des Grecs, Xerxès mit son armée en marche depuis la Macédoine et la Thrace où elle attendait. La symmachie décida de l’arrêter aux Thermopyles, passage obligatoire pour accéder à la Grèce. Ce défilé très étroit laissait à peine deux chariots circuler côte à côte. Les Spartiates étaient alors occupés aux mêmes célébrations qu’à Marathon ; ils envoyèrent Léonidas avec 300 hommes d’élite. Des Corinthiens et des combattants de Grèce centrale le rejoignirent pour former un corps de 4 000 soldats à opposer à l’innombrable armée perse. Xerxès lança sur eux des milliers d’hommes qui se brisèrent sur la phalange.

L’histoire est faite par les hommes, comme l’illustre une fois de plus cet épisode. Un traître, un certain Éphialtès, guida un détachement perse par un sentier de chèvres pour prendre les Grecs à revers. Alerté, Léonidas décida de renvoyer le gros de ses troupes pour leur éviter une mort inutile et demeura sur place avec 1 000 autres soldats. Selon Hérodote, il mourut parmi les premiers. Des milliers de flèches ensevelirent finalement les derniers survivants. Xerxès fit décapiter puis crucifier le corps de Léonidas, comme Achille traîna Hector sur son char devant les Achéens ivres d’une victoire qui se refusait.

Avec beaucoup de force, Hérodote nous raconte comment les Spartiates acceptèrent la mort. Xerxès avait envoyé un éclaireur qui put approcher de près du camp lacédémonien. Le cavalier perse rapporta à son roi le grand calme qui régnait chez ces soldats. « Xerxès ne put comprendre ce qui était la réalité : que ces hommes se préparaient à mourir et à donner la mort selon leurs moyens. »

Le mythe du Spartiate mort ou victorieux n’est jamais aussi fort qu’aux Thermopyles. Hérodote rapporte que la loi commande aux Lacédémoniens de « ne fuir du champ de bataille devant aucune masse ennemie, mais rester fermes à leur poste et y vaincre ou mourir ». La société aristocratique de Sparte comptait à cette époque 10 000 hoplites en mesure de se battre. Le Spartiate accepte la mort, mais il ne la recherche pas. Un seul Spartiate est trop précieux pour la cité. Lors de la guerre du Péloponnèse, les soldats isolés sur l’île de Sphactérie se rendirent pour éviter de verser un sang inutile. La triomphante épitaphe du poète Simonide gravé aux Thermopyles ne camoufle pas cette réalité : « Passant, va dire à Lacédémone que nous gisons ici par obéissance à ses lois. » Le terme grec employé pour « loi » peut aussi signifier « ordre », et c’est sans doute dans ce sens qu’il fut entendu par Sparte. La cité qui avait la responsabilité de la symmachie envoya au sacrifice son roi pour retarder l’avancée des Perses.

Pendant que Léonidas tenait les Thermopyles, les deux mondes s’opposèrent aussi dans un combat naval à l’Artémision. Cette fois, les Grecs l’emportèrent. Mais le verrou des Thermopyles était détruit et les Mèdes déferlèrent sur l’Attique. Athènes fut pillée et incendiée, ses habitants dans leur fuite jurèrent de ne reconstruire la cité qu’après avoir définitivement vaincu Xerxès.

Salamine et Platées

Repliés sur leur deuxième ligne au Péloponnèse, les Spartiates préconisèrent une stratégie défensive. Excédé par la destruction d’Athènes, Thémistocle menaça de rompre l’alliance et convainquit finalement ses alliés de passer à l’attaque. La flotte de l’Artémision venait de se replier à Salamine et la disposition géographique du lieu était favorable aux Grecs. Thémistocle envoya son serviteur Sikinnos auprès du Grand Roi pour l’avertir du départ de l’alliance militaire. Trompé, Xerxès approcha ses navires de Salamine. Une telle assurance le condamna. Au matin, les Grecs acculèrent les Perses dans un goulet d’étranglement. Incapables de manœuvrer, les imposants navires finirent empalés par les trières légères. Thémistocle avait conçu son plan grâce à une vertu typiquement athénienne, la mètis, l’intelligence rusée et pratique. À Salamine, les Grecs perdirent 40 navires alors que la flotte perse, pourtant bien supérieure en nombre, fut quasiment anéantie. Symbole fort, Xerxès abandonna aux Hellènes son trône d’or depuis lequel il assista consterné à sa défaite. Les Athéniens l’emportèrent comme trophée sur l’acropole.

Le Grand Roi abandonna finalement son armée qu’il confia à Mardonios pour rentrer à Sardes. Après l’hivernage en Macédoine, ce dernier voulut reprendre Athènes une deuxième fois, mais il recula devant une armée de 50 000 hoplites. Bien inférieur dans les combats terrestres tant la phalange était invincible, il n’avait à opposer que le double de soldats. Les deux armées s’affrontèrent à Platées, en Béotie, où le Spartiate Pausanias écrasa le dernier vestige de l’armée perse. Au même moment, les survivants achéménides de Salamine disparaissaient dans les flots du cap Mycale.

La naissance du panhellénisme

Avant que les Perses n’attaquassent, la Grèce était une constellation de cités en guerres quasi permanentes les unes contre les autres. Mais les cités partageaient les mêmes dieux et les mêmes lois de la guerre, ils se comprenaient entre eux, et tous les Grecs préféraient la mort à la servilité. Hérodote opposa ainsi le Mède servile contre l’Hellène libre. La postérité transmit l’idée que la cohésion culturelle des cités ajoutée à leur supériorité politique avait su repousser un ennemi dont les flèches étaient si nombreuses qu’elles purent cacher le soleil des Thermopyles.

Les guerres médiques ont fait la Grèce. De nombreux trophées furent exposés dans les temples pour dire au monde la supériorité des Hellènes. La cuirasse en or prise à Masistios, commandant de la cavalerie perse à Platée, ainsi que le sabre de Mardonios furent consacrés dans le temple d’Athéna Polias à Athènes. À Delphes, le portique des Athéniens accueillit les cordages du pont de Xerxès, tandis que les Éginètes, si valeureux à Salamine, firent construire un mât en bronze surmonté de trois étoiles d’or.

La participation au combat contre l’envahisseur devint le sceau sacré qui attesta l’appartenance d’une cité à la Grèce. Chacune érigea une sépulture à Platées. Les Athéniens, les Spartiates et les Mégariens y ensevelirent leurs morts. Les Éginètes, « honteux d’avoir été absents de la bataille » selon les mots de Plutarque, creusèrent tout de même une fosse et dressèrent aussi une sépulture. Le sang versé à Platées déterminait l’identité hellénistique des cités.

Les cités grecques voyaient sans doute aussi une dimension mythologique à la guerre. L’invasion de la civilisation par la multitude des barbares rappelle la guerre des dieux contre les géants. Gaïa, furieuse que les Titans fussent enfermés dans le Tartare, déclara la guerre à Zeus et lui envoya les géants. Les dieux rassemblés les vainquirent au prix d’une lutte terrible. Cet épisode mythologique évoquait déjà pour le monde grec la lutte de la civilisation contre la multitude barbare.

Deux cités se révélèrent par leur autorité à mener le monde grec, Sparte et Athènes. Durant le conflit, les Péloponnésiens confirmèrent leur supériorité continentale quand les Athéniens découvrirent leur valeur maritime. Cinquante années plus tard, les deux cités s’affrontèrent dans une guerre totale dont Thucydide raconte l’histoire.

À propos de l’auteur
Guy-Alexandre Le Roux

Guy-Alexandre Le Roux

Journaliste
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