Officier supérieur de l’Armée française, fils et petit-fils de saint-cyrien, chef de corps du 2e régiment étranger de parachutistes (2e REP), le colonel Philippe Erulin commandait en 1978 l’opération Bonite, immortalisée en 1980 par le film de Raoul Coutard « La Légion saute sur Kolwezi ». Injustement accusé par le Parti communiste d’avoir été tortionnaire en Algérie, son troisième enfant, Arnaud Erulin, publie un ouvrage défendant sa mémoire. Un hommage vibrant d’un fils à son père.
Mai 1978, Zaïre, actuelle République démocratique du Congo. Des milliers de rebelles katangais prennent en otage la ville minière de Kolwezi. Plus de 700 Africains et 170 Européens sont froidement massacrés. Sur ordre présidentiel de Valérie Giscard d‘Estaing, le 2e REP exécute sans préavis et parfaitement une opération aéroportée sur la ville, libérant ainsi des centaines d’otages. C’est la grande bataille de Kolwezi, menée par le chef du REP, le colonel Erulin. Tandis que la France l’honore, le Parti communiste français l’accable d’accusations infondées : celles d’avoir pratiqué la torture pendant la guerre d’Algérie, vingt ans plus tôt. Le héros de Kolwezi mourra soudainement en 1979, sans n’avoir jamais pu défendre son honneur. Le fils du colonel mène à travers cette œuvre, un véritable combat posthume pour réhabiliter l’honneur d’un officier français, son père. Retour sur l’histoire d’un homme, qui n’aura jamais failli à son devoir de servir, tant en Algérie qu’à Kolwezi. Le général de division (2s) Rémy Gausserès, dira de lui en 2018 : « Mon colonel, vous restez, et vous resterez toujours dans nos cœurs, le plus bel exemple d’officier de la Légion étrangère ».
Entretien avec Arnaud Erulin. Propos recueillis par Gabriel de Solages
L’honneur d’un colonel, de l’Algérie à Kolwezi. Editions Pierre de Taillac, 22,90€.
Pourquoi écrire ce livre aujourd’hui, plus de 40 ans après les faits ?
Depuis plus de 40 ans, nous nous sommes battus avec ma mère, mon frère et ma sœur pour défendre la mémoire de mon père. Continuer de défendre son honneur me tenait particulièrement à cœur. Mais il y a eu un événement déclencheur : la mort de ma mère il y a deux ans. C’est elle qui était le porte étendard de la défense de mon père donc j’ai immédiatement ressenti ce besoin de prendre le relais. Je savais que cela viendrait un jour et c’était le bon moment pour me plonger dans un sujet aussi personnel. Et pour moi, c’était une occasion aussi de revisiter et de redécouvrir mon père, que j’avais perdu à neuf ans.
L’Opération Bonite, considérée comme l’une des opérations emblématiques de l’armée française est enseignée dans le monde entier. En quoi est-elle aussi exceptionnelle ?
C’est un ensemble d’éléments qui permettent de classer cette bataille parmi les plus remarquables. Premièrement, elle se fait sur des bases de renseignement extrêmement parcellaires. Les autorités politiques et militaires n’avaient aucune idée du nombre de rebelles katangais qui avaient pris en otage les milliers d’Européens présents à Kolwezi. Le deuxième élément concerne les délais très courts des décisions. En 48 heures, Paris est alertée de la situation, Valérie Giscard d’Estaing décide de l’opération et le REP saute sur la ville. Le troisième élément est le saut dans l’inconnu. Les légionnaires n’ont aucun moyen d’être récupérés si cela tourne mal. Il n’y a pas de soutien d’artillerie, ni aérien ni médical. Malgré tous ces éléments, la mission est parfaitement exécutée, permettant la libération des otages. Et ça, c’est exceptionnel.
Quels sont les impacts politiques à l’international ?
En pleine guerre froide où deux blocs s’affrontent sur des terrains délocalisés, l’URSS est présente en Afrique, notamment en Angola et en Ethiopie, où ils avaient des souhaits d’expansion. Au regard de la taille immense du Zaïre, qui va de l’Atlantique au Soudan, les Soviétiques veulent s’emparer du territoire pour couper l’Afrique en deux et relier l’Angola à l’Ethiopie. Le Zaïre est un espace stratégique pour la France pour deux raisons : c’est premièrement le plus grand pays francophone à l’époque et c’est également un pays aux ressources minières abondantes. L’opération permet donc de contrer les aspirations expansionnistes de l’URSS en Afrique.
Votre père est encore sur place, quand le parti communiste (PC) français chercher à déstabiliser le succès politique et militaire de la France à partir de deux axes : : le premier critiquant l’opération, considérée comme « néo-colonialiste », le deuxième mettant directement en cause votre père. Il l’accuse d’avoir été un tortionnaire en Algérie. Pourquoi votre père a-t-il été visé ainsi ?
Nous sommes en 1978, six mois après des élections législatives où la gauche a formé une alliance. Elles sont finalement remportées par la droite, dans un contexte d’opposition très vif. Ainsi, le PC, soutenu par l’URSS, s’oppose à l’opération sur Kolwezi par principe, alors même que les avions devant transporter le 2e REP n’ont pas encore décollé. Mais très rapidement, tombent les premières photos des massacres abominables commis par les rebelles katangais. Ces preuves vont fragiliser le premier axe du PC : l’opération est une mission de sauvetage d’otages, et il est complexe d’en démontrer le contraire. Le premier argument s’éteint donc.
Besoin est d’en trouver un deuxième. Et c’est sur mon père qu’il va se figer. Au moment de l’opération, les yeux du monde sont rivés sur Kolwezi. Journaux télévisés, images de presse, articles… Et celui qui personnifie l’opération à ce moment-là, c’est le chef du REP, c’est-à-dire mon père. Les communistes, bien organisés sur les opérations de désinformation, voient en lui la cible parfaite : il est officier de Légion et il a servi en tant que jeune lieutenant en Algérie. Ainsi, le rédacteur en chef de l’Humanité, en direct sur une émission autour d’un thème qui n’a rien à voir, en profite pour lancer cette accusation. L’opération de diffamation et d’atteinte à l’honneur de mon père est lancée. Et elle perdurera pendant des années. .
Un seul homme accuse votre père de l’avoir torturé en Algérie. Quel est le principal élément permettant d’instaurer le doute sur cette allégation ?
Mon père a reçu l’ordre de ne pas s’exprimer sur ce sujet. Publiquement, il ne le fera donc jamais mais à travers des correspondances privées, il clame son innocence. C’est donc la parole d’un homme contre un autre homme. En effet, mon père n’a qu’un accusateur direct. Il s’appelle Henri Alleg, journaliste et membre du Parti Communiste Algérien (PCA). Torturé en Algérie, il cite parmi les officiers présents mon père. C’est le seul à le citer. Aucune autre accusation ne confirmera ce témoignage. Au début des années 2000, le général Aussaresses va publier ses mémoires. Commandant au moment de la guerre, c’est lui qui sera en charge des actions occultes de la division parachutiste lors de la bataille d’Alger. De manière très transparente , il raconte tout le mécanisme de collecte de renseignements et il va citer l’ensemble des officiers et sous-officiers qui étaient avec lui. Il va reconnaître avoir torturé Henri Alleg, et va citer le nom de ceux présents lors de ses interrogatoires. Mon père n’est jamais cité parmi eux. Un doute naît donc : quelqu’un ne dit pas la vérité.
Comment démontrez-vous que c’est Henri Alleg qui ne dit pas la vérité ?
Je me suis fondé sur des éléments factuels, qui me permettent de vous livrer cette intime conviction : mon père est innocent. Il ne s’est jamais caché avoir été à l’origine de l’arrestation de Maurice Audin, membre du PCA. C’est d’ailleurs une souricière mise en place dans son domicile qui a permis d’arrêter Henri Alleg. Les deux, remis à l’équipe du général Aussaresses, ont malheureusement été torturés. L’un a été exécuté, Maurice Audin. Et à l’occasion de l’arrestation de ce dernier, mon père a décliné son identité, contrairement aux équipes d’Aussaresses qui ne se présentaient jamais lors des interrogatoires. Ainsi, le seul nom que tient le PCA est celui de mon père.
De plus, tout juste sorti de Saint-Cyr (il a à peine 25 ans) il ne correspond pas au profil des officiers qui participaient aux opérations occultes de recherche de renseignements par la torture.
D’autre part, les officiers impliqués dans la recherche de renseignements vont être régulièrement attaqués par le PC pendant leur carrière. Mon père, lui, poursuit sa carrière librement, prenant le commandement sur décision du ministre de la Défense d’une des unités les plus prestigieuses de l’armée française, le 2e REP. Son nom se fait pourtant connaitre avant Kolwezi, car il devra régler en tant que chef de corps une plainte liée à la présence d’une maison close au sein du régiment , et se retrouve par conséquence cité dans la presse. Ainsi, dès 1977, le PC ne peut ignorer qu’il en est chef de corps. Pourtant, rien ne se passe.
Votre père a reçu l’interdiction formelle des autorités politiques et militaires de se défendre. Pourquoi ?
Il y a une volonté de ne pas rouvrir la question sur la torture en Algérie, alors que tout débat sur ce sujet a été occulté par les politiques via des lois d’amnistie dès 1962. Rouvrir le dossier Alleg, c’est rouvrir celui d’Audin qui, selon la posture officielle de l’Etat à ce moment-là, est mort lors de son évasion. Mon père, fils et petit-fils de saint-cyrien, était un homme droit et discipliné. Il refusera toujours de livrer au grand public sa version des faits, au nom de l’obéissance et au détriment de son honneur.
En septembre 1979, votre père meurt soudainement d’une rupture d’anévrisme. Lors de sa messe d’enterrement, votre famille est entourée des chefs de l’armée française, de la Légion étrangère, et de proches par centaines. Votre père était-il devenu un symbole ?
En effet, il l’était devenu. A sa messe d’enterrement, c’est une quarantaine de généraux qui sont présents aux Invalides. Sa mort est si soudaine, et elle est si injuste lorsqu’on sait ce qu’il a traversé. Surtout, tout le monde sait son innocence.
Vous savez, nul ne peut imaginer à quel point être attaqué dans son honneur, sans pouvoir se défendre, peut meurtrir le plus profond de l’esprit d’un homme. Alors, comme fils, c’était un devoir de faire ce que mon père n’a jamais pu faire : défendre et rétablir son honneur, l’honneur d’un colonel.