Livre – Géopolitique de l’Arctique

17 mai 2021

Temps de lecture : 3 minutes
Photo : Géopolitique de l’Arctique, Thierry Garcin. Crédit photo : Unsplash
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Livre – Géopolitique de l’Arctique

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Au moment où le porte-conteneurs Ever Green entravait le canal de Suez, bloquant le commerce international, Rosatom, le géant russe du nucléaire, qui gère la flotte de brise-glaces nucléaires basée à Mourmansk, invitait le monde à considérer la route maritime du Nord comme alternative viable au canal de Suez, dans son tweet du 25 mars. C’est l’occasion de se plonger sur cette édition mise à jour de l’ouvrage fort clair et documenté de Thierry Garcin, un des rares Français à s’être intéressé aux mondes arctiques, depuis des décennies.

 

À le lire on est encore loin du compte, car si le trafic empruntant la Voie maritime du Nord-Est progresse (18 millions de tonnes en 2018, 23 millions de tonnes de janvier à septembre 2020), il ne peut guère se comparer au milliard de tonnes transitant par Suez. Il y a trois ans, Moscou espérait un trafic de 80 millions de tonnes pour 2025, objectif repoussé désormais à 2030. De fait, les obstacles sont considérables : détroits exigus, hauts fonds redoutés dans la mer de Laptev et en mer de Sibérie oriental. On semble loin des formules magiques comme celle de la règle des trois fois 30% : 30% d’économie de distance, 30% d’économie de temps, 30% d’économie de coût. Cependant, la réduction de moitié de la surface de la banquise estivale, passée d’une moyenne de 7 millions de km2 dans les années 1980, à 3,74 millions de km2 au 15 septembre 2020, devrait accroître les possibilités de navigation. De même, le dégel estival pourrait profiter au trafic fluvial qui s’écoule du Sud au Nord.

On trouvera beaucoup de données intéressantes dans ce volume, sur les perspectives de l’exploitation des ressources d’hydrocarbures, du gaz principalement, dans la presqu’île de Yamal, où Total est associé à la seconde compagnie (privée) de gaz russe, Novatek, la fonte du pergélisol avec toutes ses conséquences sur les émanations de méthane et les dommages causés sur les infrastructures. Perspectives minières, terres rares, etc. Sans aller jusqu’à évoquer les perspectives d’une guerre chaude dans ces contrées glacées plongées une partie de l’année dans la nuit polaire, force est de constater qu’on assiste à une militarisation de l’Arctique, surtout côté russe, qui possède les plus longues côtes. Si la plupart des puissances comme la Chine s’intéressent à l’Arctique (Japon, Inde, Corée du Sud, Singapour), l’UE n’a pour le moment déployé aucune politique significative en dehors des thèmes qui lui sont chers (protection de l’environnement, droits de peuples premiers). Dans les années à venir, l’Arctique déploiera ses spécificités.

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Elle restera éloignée, glaciale, nocturne, une partie de l’année, hostile à l’homme, dangereuse, largement inconnue encore. Ses cinq riverains n’ont aucun intérêt à exposer ou exacerber leurs rivalités ou contradictions internes. Pour les États-Unis qui privilégient une vision mondiale de leurs intérêts, l’Arctique peut devenir une Méditerranée froide et l’Alaska ne sera qu’un point d’appui, certes stratégique, mais dont l’intérêt sera de moins en moins relié à la métropole par des hydrocarbures déclinants. Il en est autrement de la Russie, qui pour Thierry Garcin a une vue régionale de ses intérêts, ce qui veut dire que contrairement aux États-Unis et même au Canada, l’Arctique n’est pas une région périphérique, mais le cœur de son développement futur. La région fournit déjà 20% de son PIB et cette proportion ira croissante. Le Canada, lui, faute de moyens et faute de mieux, privilégie une vision nationale de ses intérêts. À la fois Finistère, promontoire, et balcon, la Norvège, intéressée à maintenir la stabilité régionale, privilégie une vision transfrontalière de ses intérêts. Quant au Danemark, sur le point de donner l’indépendance au Groenland, son approche n’est que vicinale. Finalement, Thierry Garcin considère que l’Arctique n’est pas un enjeu global, mais une succession d’enjeux différenciés, qui ne s’emboîtent pas forcément les uns dans les autres.

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.
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