Manifestations à Brasilia : sauvetage démocratique pour Lula

13 janvier 2023

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Manifestations à Brasilia : sauvetage démocratique pour Lula

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  • Les actes violents commis par les partisans de Bolsonaro sont une occasion pour tester la solidité du bolsonarisme

  • La criminalisation des évènements permet à Lula de sauver sa légitimité démocratique jusque-là contestée

Le dimanche 8 janvier, près de 4 000 manifestants ont investi les trois principaux lieux de pouvoir à Brasilia : le palais présidentiel du Planalto, le Tribunal Suprême Fédéral et le Congrès. Ces évènements de violence jusque là inconnus au Brésil révèlent la profonde désunion qui règne dans le pays.

Dimanche 8 janvier au Brésil, près de quatre mille manifestants ont passé les barrages d’une police militaire quasiment inactive pour arriver sur l’esplanade où se trouvent les trois principaux lieux du pouvoir brésilien, ont forcé les portes des bâtiments vides, et les ont saccagés. Arrivés la veille par dizaines de bus, ils réclamaient l’intervention de l’Armée pour réinstaurer la démocratie qu’ils estiment volée par Lula. Si les autorités brésiliennes n’avaient peut-être pas prévu le coup dimanche, elles avaient au moins anticipé ce genre d’évènement bien en avance, compte tenu de la rapidité et la précision de leur réaction.

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Une question de légitimité

Au fond du problème se trouve la colère exprimée par une grande partie du peuple brésilien après l’élection contestée de Lula. L’ancien président socialiste avait exercé le pouvoir de 2003 à 2011 puis, ne pouvant se représenter, avait fait élire sa cheffe de cabinet, Dilma Rousseff. Accusé de corruption pour vente à prix réduit ou mise à sa disposition de biens immobiliers, condamné en appel à douze années de prison (2018), ses droits électoraux lui furent retirés. Il est finalement relaxé en 2019 après une pirouette juridique du Tribunal Suprême Fédéral (TSF), dont le rôle est de juger les élus, les membres du gouvernement et les militaires. Rétrospectivement, il apparaît que Lula a surtout couvert un large trafic de corruption d’élus pour obtenir leur soutien. Malgré ses six autres poursuites, le TSF rétablit ses droits de candidater à la présidence de la République, puis annule ses condamnations en 2021 (il reste encore quatre affaires mineures à juger).

En octobre dernier, les élections se déroulent dans un climat tendu. Attaqué par toute la presse de gauche, qualifié d’extrémiste voire de fasciste, Bolsonaro réplique tout aussi violemment dans ses discours, entraînant une hystérisation de la campagne. Affaibli par son étiquette de corrompu, mais fort d’un réel soutien populaire, Lula remporte l’élection d’une bien courte et contestée différence le 30 octobre (50,9%). En effet, les scrutins le placent 1 point devant son adversaire, Jair Bolsonaro (49,1%), soit la plus faible différence depuis la fin de la dictature militaire (1985). Au soir des résultats, le pays est déjà en ébullition. Nombreux sont les Brésiliens qui ont encore le sentiment d’une élection volée.

Très mal élu, Lula n’a d’autre choix que de mener une politique de fraternisation pour tenter d’apaiser les tensions. Sa légitimité électorale étant contestée, en minorité au Congrès comme au niveau des gouverneurs, le nouveau président se trouve alors dans la pire position politique possible au lendemain de l’élection. Mais Lula est renforcé par le Tribunal Suprême Fédéral (TSF), instance constitutionnelle et judiciaire cruciale du système brésilien, dont 8 juges sur 11 lui sont acquis (dont 3 juges nommés par lui et 4 par Dilma Roussef).

Judiciariser le débat politique : une technique de la gauche sud-américaine

Lula ne peut que profiter de la situation. Sa légitimité démocratique jusque-là contestée se gagne en quelques heures. Dénonçant l’extrémisme des forces pro-Bolsonaro, il accuse le candidat du Parti Libéral d’être un « fasciste », dénonce un « putsch » organisé par les forces de droite, qualifie les évènements « d’actes terroristes », avec l’appui du TSF. En clair, il se présente comme le protecteur de la Constitution, garant de la démocratie, et reçoit le soutien de nombreux pays, et surtout d’Amérique latine, au nom de la démocratie.

Il est intéressant de mettre en relation la gestion de la crise avec ce qu’on a déjà vu en Amérique latine, notamment en Bolivie. En 2008, les gouverneurs de plusieurs départements de l’Est bolivien ont engagé un bras de fer avec le président Evo Morales concernant le cours du pétrole. Des manifestations ont éclaté durant l’une desquelles un gazoduc a explosé. La réaction gouvernementale a été immédiate : les actes ont été qualifiés de terroristes, et par extension les manifestants considérés comme de potentiels terroristes. Les gouverneurs ont été accusés de fascisme dans la foulée. Evo Morales a d’ailleurs déclaré qu’ils « conspiraient contre nous par un coup d’État fasciste et raciste[1] ». Tous les gouvernements et mouvements de la gauche latine se sont alors portés à son soutien, au nom de la démocratie. Au Venezuela, Hugo Chavez a largement dramatisé la situation en évoquant une probable intervention militaire en cas d’assassinat du président bolivien.

La même année, un groupe de cinq mercenaires étrangers a été constitué pour tuer Morales et son vice-président. Les ayant découverts, la police spéciale bolivienne a attaqué l’hôtel « Las Americas » dans lequel ils logeaient en avril 2009, neutralisant trois d’entre eux. Aussitôt, Morales a fait le lien entre les tueurs et ses principaux adversaires politiques, accusés de terrorisme. Mais, les sources ne concordent pas, l’autopsie bolivienne a été contestée à la suite d’une expertise européenne, etc[2]. L’affaire est floue, il est tout à fait possible que les tueurs fussent trompés et pilotés directement par des services gouvernementaux. Il fallait surtout éliminer les adversaires d’Evo Morales par la criminalisation, en vue des élections qui se tenaient quelques mois plus tard.

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L’influence du Forum de São Paulo 

Le soutien infaillible que s’apporte la gauche latine est organisé par le Forum de São Paulo, organisation hétéroclite fondée en 1990 qui regroupe les mouvements travaillistes, socialistes, communistes, chrétiens de gauche d’Amérique latine. On y a même vu les FARC jusqu’en 2002. Ce Forum n’a rien de secret, son programme est publiquement revendiqué : promouvoir la gauche en Amérique latine, rassembler les efforts, et combattre la droite. Judiciariser le débat politique est l’un des modes d’action maîtrisés par les membres du Forum. Cette technique permet d’éliminer un adversaire de façon légale tout en se sculptant une posture démocratique vertueuse pour ceux qui en douteraient.

Le scénario bolivien semble se dessiner au Brésil. On se retrouve en tout cas dans une situation similaire, et les discours se ressemblent. Avec l’appui de l’instance juridique suprême, Lula judiciarise les évènements en criminalisant les fautifs et en les rattachant à leur chef, naturellement impliqué, et tout de suite accusé de fascisme. Il s’agit en réalité de créer une pression morale sur les sympathisants de Bolsonaro et susciter la peur.

Alexandre de Moraes, membre du TSF acquis à Lula et très emballé par la situation, a ainsi déclaré : « La démocratie brésilienne ne soutiendra plus l’ignoble politique d’apaisement, dont l’échec a été amplement démontré par la tentative d’accord du Premier ministre britannique de l’époque, Neville Chamberlain, avec Adolf Hitler. Les agents publics (actuels et anciens) qui continuent à se comporter de cette manière malveillante, pactisant lâchement avec l’effondrement de la démocratie et l’instauration d’un état d’exception, devront rendre des comptes[3]. »

Une aubaine pour tester la solidité du bolsonarisme

Kennedy disait que « la victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline ». Si Jair Bolsonaro dispose encore d’un poids politique très important, son électorat est théoriquement fragile par sa diversité. Sa base, constituée des membres de l’Armée et de la police, a été flattée durant son mandat en se voyant offrir de nombreux postes gouvernementaux et des crédits. Mais au fond, les officiers supérieurs ont toujours été frileux. Cette base est renforcée par un électorat très populaire et par la classe moyenne. Le leader de droite compte également sur le soutien des « évangéliques » (protestants pentecôtistes) qui s’imposent de plus en plus dans les instances politiques depuis vingt ans, pour défendre leurs positions sociales traditionnelles. Cet électorat fera-t-il longtemps corps avec l’ancien président après la défaite ? C’est la grande question que se sont posée les politiques de la gauche brésilienne.

Bolsonaro pouvait difficilement plus mal réagir et semble dépassé par les évènements. En condamnant bien tard et sur le bout des lèvres les évènements, il a oublié sa base électorale militaire qui, malgré sa sympathie politique avec les manifestants, apprécie avant tout l’ordre et le respect des lois. Certains membres de la police et de l’Armée semblent mal digérer l’inaction de Bolsonaro, surtout les plus frileux. « Ce qui s’est passé aujourd’hui est très grave ! Pour moi, ce n’est pas une surprise. L’extrémisme et le fanatisme politique se terminent toujours par la violence. Maintenant, c’est l’application de la loi, avec une procédure régulière, très rapidement[4] » confie le général Carlos Alberto dos Santos Cruz, ancien ministre de Bolsonaro, au grand quotidien local l’O Estado de S. Paulo.

La masse du centre au Congrès se vend toujours au plus offrant. Puisqu’il s’agit de rétablir la démocratie au risque d’être accusé de complaisances fascistes, ces élus se rangent à côté du Parti des Travailleurs (Lula). Au sein même du Parti Libéral qui a accueilli Bolsonaro pour l’élection de 2022, les membres prennent du recul. Le président du parti a d’ailleurs plus ou moins appelé l’ancien candidat à retourner dans l’ordre démocratique. Les gouverneurs favorables à Bolsonaro (9 sur 27) sont invités à revenir sur leurs positions. Le gouverneur de Brasilia, favorable à Bolsonaro, a été mis en retrait pour 90 jours dans le cadre de l’intervention fédérale décrétée par Lula et approuvé par le Congrès.

Il n’est donc pas certain que la politique d’union sacrée voulue par Lula au lendemain de son élection dure bien longtemps. Si le socle électoral de Bolsonaro continue de se fracturer, le président socialiste n’aura plus besoin de faire tant de compromis. Ayant sauvé sa légitimité démocratique, divisé les soutiens de son adversaire, Lula sortira de cette crise à priori bien renforcé, par un coup à la Morales. Mais, la judiciarisation du débat, la criminalisation de l’adversaire, conduit nécessairement au gouvernement des juges. Le Brésil bascule dans cette situation.

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[1] « Bolivia’s Morales defiant after unrest », Reuters,‎ 14 septembre 200

[2] Friedman-Rudovsky Jean, Padgett Tim (16 de abril de 2009). «A Plot to Kill Bolivia’s Leftist President?», Revista Time

[3] GODOY Marcello, “Fracasso bolsonarista na tomada dos palácios em Brasília beneficia Lula e Alexandre Moraes”, Estadao, 09/01/2023

[4] Ibid.

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Guy-Alexandre Le Roux

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