Éditorial – Sept ans de regard sur le monde

4 mars 2021

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Éditorial – Sept ans de regard sur le monde

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Sept ans déjà depuis le lancement du premier numéro de Conflits en mars 2014. Sept ans d’existence qui ont été permis grâce à la fidélité des lecteurs et des abonnés. Vous êtes de plus en plus nombreux à nous suivre sur les différents supports : magazine, site, podcasts, émissions YouTube. Voir, comprendre et agir pourrait être la devise de l’école française de géopolitique, née au début du xxe siècle dans les facultés de géographie et qui a su tisser des échanges fructueux avec le monde militaire et les autres disciplines universitaires. Une école attachée à la lecture des paysages et aux rapports de force dans l’espace, à l’histoire, à la diplomatie et à la compréhension des autres cultures. Une école qui a toujours eu le souci de relier le monde des chercheurs et des universitaires au monde des amateurs éclairés ; sinon, à quoi servent la recherche et la science ? Une école qui a aussi le souci de comprendre et d’expliquer, et donc de chasser les peurs.

La peur ambivalente

Elle est à la fois nécessaire et stérilisante. Nécessaire, car il faut avoir peur des dangers pour les identifier, prendre les mesures pour les combattre et in fine les repousser. C’est parce que l’on a peur d’un ennemi que l’on prépare son armée et que l’on échafaude des plans d’attaque et de défense. La peur doit donc être surmontée et transcendée et cela n’est possible que par l’usage de la raison froide qui permet de connaître le danger et d’identifier ses points d’achoppement. Un peuple qui n’a peur de rien et de personne court le risque de se croire sans ennemi, et donc de succomber à celui-ci. La peur est une des origines de la cité, elle assure la cohésion du peuple qui se regroupe afin de résister à un ennemi commun. La peur définit l’identité, car l’autre dont on a peur est le miroir inversé de nous-mêmes, il représente tout ce que l’on rejette et tout ce que l’on combat. Nos peurs disent donc beaucoup sur ce que nous sommes. Mais la peur, quand elle est irrationnelle, quand elle est privée de la raison, quand elle est agitée pour détruire les facultés de réflexion, devient un instrument diabolique pour asservir.

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Peurs et rumeurs

Les dirigeants peuvent instrumentaliser les peurs pour mieux contrôler les populations. La peur sidère, anesthésie et supprime toute faculté de réflexion. Elle laisse comme en suspens les peuples qui ne savent plus ni comment penser ni comment agir. En influant sur les esprits et les consciences, elle détruit les capacités de réflexion, comme ces danses tribales, dont le haka, qui tentent de vaincre l’ennemi sans combattre, par l’instillation de la peur. Mais il arrive aussi que ce soit les dirigeants eux-mêmes qui aient peur du peuple. Populisme, émotions collectives, révoltes, voilà que le peuple, source du politique en démocratie, peut se lever contre les dirigeants et choisir d’autres voix. On pourra se rassurer en tentant de se persuader qu’il a été trompé et manipulé, ou bien jouer à se faire peur en imaginant des complots qui ne sont même pas pensés par les protagonistes eux-mêmes. Combien de peurs subites sont nées de rumeurs folles et irrationnelles, de ragots, d’inventions crues comme vraies ? Chaque génération a ses peurs, liées au climat, à une minorité, à un ennemi, à des maladies. Les technologies ne les ont pas effacées, la peur a souvent partie liée avec le sacrifice du bouc émissaire et en cela renvoie à l’archaïque de l’homme, à ce qu’il y a d’invariant en dépit des siècles.

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Lieux de la peur

Le monde est parcouru de ces lieux hantés où les peurs rodent, où l’on conserve tantôt une ruine, tantôt un souvenir, afin de perpétuer la mémoire de la peur, voire la peur elle-même. C’est un jeu non dit, mais un jeu essentiel au bon ordre de la cité. La peur comme idée s’incarne dans des hommes et des lieux, elle structure et organise les espaces, elle trace les frontières de l’interdit et de l’autorisé. Il y a les lieux où l’on ne va pas, car là-bas rôdent la légende et les malédictions, dont le nom même n’est pas prononcé. La peur n’est supportable que s’il y a l’oubli, qui referme les angoisses du passé et permet d’avancer. Oubliés les peurs enfantines et les monstres qui surgissaient dans le noir de la chambre. Vaincre la peur c’est devenir adulte, et ainsi pouvoir se confronter à des peurs plus terribles encore.

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À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d'économie politique à l'Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.
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