La bataille politique pour la présidence de l’Union africaine tourne à la lutte et aux ambitions personnelles au lieu de viser les grands projets de l’Afrique.
À l’approche de l’élection du prochain président de la Commission de l’Union africaine (UA), la campagne semble à nouveau être l’objet d’une instrumentalisation des candidats au service de leurs ambitions politiques personnelles dans leurs pays respectifs. Alors que l’UA doit relever des défis aussi importants que la mise en place de l’Agenda 2063 ou l’opérationnalisation de la zone de libre-échange continentale (ZLECAf), elle peine à se doter d’une gouvernance indépendante et impartiale, qui soit libre des confrontations politiciennes nationales.
Une campagne sous influence du calendrier politique interne des États
Le 13 décembre dernier, le débat télévisé, Mjadala Afrika, entre les trois candidats à la présidence – Raila Odinga, ancien Premier ministre du Kenya, Mahamoud Ali Youssouf, ministre des Affaires étrangères de Djibouti, et Richard Randriamandrato, ex-ministre des Affaires étrangères de Madagascar – était censé être consacré à l’exposition de leurs programmes pour la gouvernance de l’UA. Or la focale a vite dérivé vers les combats politiques internes au Kenya dans la campagne.
En effet, alors que les opposants kenyans à la candidature de Raila Odinga s’étaient cantonnés jusqu’alors à une forte campagne digitale, est apparu à l’issue du débat un prétendu sondage du think tank Amani Africa (et publié par le magazine Jeune Afrique) indiquant que sa prestation n’avait convaincu que 26 % des sondés, contre plus du double pour Ali Youssouf. Ce sondage s’est avéré être une fake news, comme l’a démenti le think tank lui-même sur les réseaux sociaux. Mais le mal était fait : cette manipulation a renforcé le sentiment général chez les Africains que cette élection est immanquablement polluée par des enjeux politiques nationaux. Du reste, le profil des candidats constitue le plus souvent une preuve à l’appui de ce phénomène chronique.
Celui de Raila Odinga tout d’abord. Ce dernier n’a jamais caché ses ambitions présidentielles, lui qui a été candidat malheureux cinq fois à cette élection. En 2023, il avait même dû quitter ses fonctions de Haut Représentant au Développement des Infrastructures de l’UA pour n’avoir pu s’empêcher de continuer à s’immiscer dans la vie politique intérieure du Kenya. Il avait notamment refusé publiquement de reconnaître William Ruto comme président élu. Quant à Ali Youssouf, s’il venait à perdre l’élection au siège de l’UA, les observateurs s’accordent à dire qu’il aurait les coudées franches dans la bataille présidentielle à Djibouti qui aura lieu… en 2025. À ce stade, seul le candidat malgache semble donc ne pas avoir d’agenda politique parallèle.
Un rendez-vous politique détourné de son essence
Ce phénomène n’est pas nouveau mais semble atteindre un nouveau sommet dans la campagne actuelle, au détriment des enjeux fondamentaux de paix, de sécurité, de développement et d’intégration régionale. Il s’inscrit cependant dans une logique historique et structurelle où la présidence de la Commission de l’UA est davantage considérée comme un tremplin politique plutôt qu’un levier de transformation pour le continent.
Ce fut le cas notamment pour Jean Ping, président de la Commission de l’UA de 2008 à 2012. Après son mandat, il a tenté de briguer la présidence du Gabon face à Ali Bongo, une ambition qui a ouvert la voie à des tensions politiques au sein du pays. De même, Nkosazana Dlamini Zuma, à la tête de l’UA de 2012 à 2017, a utilisé cette expérience pour renforcer sa candidature à la présidence de l’ANC, le parti au pouvoir en Afrique du Sud.
Mais cette politisation de la présidence de l’UA n’est pas qu’une question de personnalités. Elle reflète une faiblesse structurelle dans le fonctionnement de l’institution. En conséquence, les dirigeants de l’UA se retrouvent souvent dans une posture symbolique, forcés de naviguer entre les agendas contradictoires des États membres. Dans un tel contexte, il devient tentant pour eux de se concentrer sur des objectifs personnels ou nationaux, au lieu de se consacrer pleinement à leur mandat continental.