Ricardo Lagos, Mémoires d’un ancien président chilien

8 octobre 2022

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Photo : 11-03-06 Valparaiso - El presidente Kirchner asistio al cambio de mando presidencial de Chile.
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Ricardo Lagos, Mémoires d’un ancien président chilien

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Président socialiste du Chili de 2000 à 2006, Ricardo Lagos continue de jouer un rôle moral important dans le pays, notamment auprès de la gauche de gouvernement. Ses Mémoires sont un document nécessaire pour comprendre la transition chilienne vers la démocratie et la façon dont le Chili est devenu un pays moderne en Amérique latine.

Opposant au général Pinochet, Ricardo Lagos a été l’un des architectes de la campagne du NON au plébiscite de 1988 qui a mis fin au régime militaire. Son discours était éloigné de la violence, voie privilégiée de certains groupes d’extrême gauche dont les attentats (contre Pinochet en 1986 et contre le sénateur Guzmán en 1991) ont ébranlé la fragile transition démocratique.

Dans ses Mémoires en deux volumes, Lagos opte pour une réflexion personnelle sur sa vie et sa vocation politiques. Ce livre n’est pas sans intérêt pour comprendre la trajectoire de vie d’un haut personnage public lié à l’élite républicaine et laïque du pays : Lagos a été le premier président agnostique et divorcé, et il le dit à plusieurs reprises dans son ouvrage. L’auteur met en avant son honnêteté intellectuelle, ses positions et son admiration pour l’Église chilienne pour son engagement en faveur des droits de l’homme pendant l’ère militaire et surtout pour le saint Chilien Alberto Hurtado (prêtre jésuite mort dans les années 1950 et ayant réalisé une œuvre sociale impressionnante), canonisé en 2005. Lagos l’a qualifié de nouveau « Père de la nation ».

Un poids moral important

D’un point de vue moral et personnel, l’ancien président explique très bien ses positions et ses stratégies, en se référant à de nombreuses reprises à l’importance du « temps en politique ». Lagos parle beaucoup de sa femme, Luisa Duran. Le Président y explique sa position sur le divorce et une certaine vision de la famille. Lagos et Duran sont mariés depuis de nombreuses années et semblent former une famille unie et heureuse, attachée au Chili. Ricardo Lagos raconte également dans ses Mémoires une certaine position pro-vie dans le cas d’une politique publique qui consistait à expulser les adolescentes enceintes des écoles afin de ne pas donner le mauvais exemple. Lagos a aboli cette règle, permettant à de nombreuses filles de rester dans le système scolaire et d’éviter ainsi les avortements. Lagos l’explique avec une fierté évidente en racontant l’anecdote d’une famille venue lui rendre visite avec une petit bébé né grâce à l’abolition de cette règle.

En ce qui concerne la France, Lagos raconte dans le premier volume un voyage à Paris où il est très élogieux à l’égard de notre pays. Dans le second volume, il raconte avec humour une rencontre, alors qu’il était déjà ministre chilien, avec Lionel Jospin, dans la mythique ambassade du Chili à Paris, avenue de la Motte-Piquet, où le célèbre socialiste français lui raconta comment il a passé de nombreuses heures à manifester devant l’élégant bâtiment à l’époque où Pinochet était au pouvoir. Dans de nombreux autres passages de ses Mémoires, il fait référence à la France, à sa culture et à ses hommes politiques. Les liens de la gauche chilienne avec le PS français sont visibles et importants.

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La maîtrise de la communication

Du point de vue de la communication, Lagos montre sa vision stratégique et l’importance qu’il accordait à la communication dans son gouvernement. C’est un point vraiment intéressant pour les spécialistes de la communication politique que de comprendre comment ce Président a su combiner idées, action et communication. Bien que cela n’apparaisse pas dans le livre, on sait que Lagos savait bien choisir ses conseillers sur les questions de communication, car ce n’était peut-être pas son principal talent. Il était davantage reconnu pour son expérience technique et intellectuelle, puisqu’il est avocat, docteur en économie et professeur d’université. Ainsi, il a pu combiner son caractère peut-être un peu froid avec celui d’un communiquant efficace et proche de groupes de personnes (surtout les hommes d’affaires chiliens) avec lesquels il n’avait pas de liens étroits a priori. En matière de communication, Lagos a fait preuve d’un certain génie, en se concentrant toujours sur le pays dont il rêvait, sur son développement, sur la vision à long terme, sur l’ensemble de la société, sur la cohésion sociale et sur le sens de l’appartenance à la nation chilienne.

Ricardo Lagos écrit ses Mémoires en sachant qu’une partie de son héritage est menacée par les événements d’octobre 2019 et les critiques acerbes et souvent injustes de la nouvelle gauche politique à l’égard de son gouvernement. Nombre de ses idées révèlent une certaine « humilité » de l’authentique homme politique qui se rend compte des limites de son action. Lagos ne se considère comme un messie, mais comme un grand Président démocrate. Dans cet ordre d’idées, l’ancien Président aurait pu être plus critique à l’égard des échecs de la gauche de l’Unidad Popular (coalition qu’a mené Salvador Allende au pouvoir) au Chili ou d’autres régimes similaires sur le continent. Il gagnerait également en objectivité historique s’il avait fait une analyse de ce qui pourrait être considéré comme les réalisations du régime militaire ou de la droite.

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Lecture de l’histoire

Il serait intéressant, par exemple, d’analyser son opinion sur le système institutionnel ou économique hérité de la Constitution de 1980 : l’ancien Président Lagos considère-t-il que ce système lui a permis de gouverner ?  Il semble ici tomber dans un certain manichéisme, car il semblerait qu’à l’exception de quelques exemples (il cite Pablo Longueira), il n’y ait rien de bon à droite ou que celle-ci ne se soit consacrée qu’à ralentir le progrès. C’est peut-être trop demander à quelqu’un qui s’est battu toute sa vie contre Pinochet. Il serait également éclairant de savoir ce qu’il pense en profondeur du processus de modernisation de la société chilienne. L’ancien Président montre également une vision du Chili dans le monde et dans les relations internationales qui est très intéressante si l’on considère le rôle que peut jouer un « petit pays » dans le monde globalisé. Les anecdotes sur l’invasion de l’Irak et son opposition à George Bush au sein du Conseil de sécurité des Nations unies sont particulièrement intéressantes puisqu’on peut avoir justement tendance à oublier le rôle joué par le Chili à ce moment-là. Paradoxalement, Lagos parle peu du rôle des Chiliens de l’étranger alors qu’il a prononcé un discours sur sa vision des Chiliens de l’étranger qui est comparable à la vision de De Gaulle sur les « Français de l’étranger » qui l’ont tant aidé dans la Résistance.

En résumé, les Mémoires d’une personnalité publique sont un exercice délicat : elles exposent le point de vue à la première personne de celui qui a gouverné le pays pendant six ans. C’est l’occasion pour lui d’expliquer, de raisonner, de prendre position, de demander pardon, de donner sa version des faits. Ricardo Lagos sera-t-il le Président le plus mémorable de la transition démocratique chilienne ? Probablement. Ce qui est certain, c’est que les Français ne connaissent encore souvent qu’Allende et Pinochet et très peu les Présidents qui leur ont succédé. Peut-être est-ce un signe que le Chili à l’étranger est encore constamment prisonnier de son passé. À qui la faute ?

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À propos de l’auteur
Bernard Larrain

Bernard Larrain

Bernard Garcia Larrain, juriste franco-chilien, docteur en droit.
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