<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Un projet pour la Méditerranée : plus de gaz, moins d’immigrants illégaux

31 août 2023

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Photo : La salle du Conseil italien des ministres au palais Chigi. Wiki commons
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Un projet pour la Méditerranée : plus de gaz, moins d’immigrants illégaux

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Le nouveau gouvernement a ressuscité la figure du grand Italien en promouvant un plan de coopération pluriannuel avec les pays africains. Explications.

« Le revoilà ! » « Content de te revoir ! » « Bienvenue à Enrico Mattei[1] ! » Le nouveau gouvernement a ressuscité la figure du grand Italien en promouvant un plan de coopération pluriannuel avec les pays africains. En fait, le gouvernement Meloni veut devenir la plaque tournante gazière de l’Europe. Mais il n’y a pas que de l’énergie dans les plans du gouvernement en Afrique : l’autre enjeu de fond est la gestion des migrants et l’amélioration des processus de rapatriement des migrants irréguliers (selon Eurostat, l’Italie a rapatrié 18 % sur le total des permis refusés, tandis que la France est à 21 %).

L’Italie regarde vers le sud

Le premier voyage institutionnel du Premier ministre Meloni en 2023 était donc en Algérie, le pays qui a remplacé la Russie comme premier fournisseur de gaz en Italie. Quelques jours plus tard, une autre visite officielle, en Libye. En avril, c’était le tour de l’Éthiopie. De ces pays devrait commencer le soi-disant « plan » qui embrassera progressivement toute la Méditerranée, avec l’aide d’Eni, la société multinationale créée par l’État italien en tant qu’organisme public en 1953, sous la direction d’Enrico Mattei, qui a servi comme président jusqu’à sa mort en 1962.

Les paroles prononcées par le PDG de l’entreprise, Claudio Descalzi, devant le public de la convention Forza Italia à Milan le 6 mai, étaient très similaires à celles de son illustre prédécesseur Mattei qui dans les années 1950 a promu une nouvelle vision du développement fondée sur la collaboration avec les nations africaines et la croissance mutuelle. Le dirigeant a tout d’abord salué le partenariat privilégié avec l’Égypte, qui « nous a aidés, abandonnant ses cargaisons cet été pour les envoyer en Italie et remplir les stocks. Ce sont des pays qui, si vous donnez, vous recevez. » Mais surtout, Descalzi a expliqué que la rapidité avec laquelle l’Italie a réussi à compenser la coupure de l’approvisionnement en gaz russe est liée aux « racines profondes » que notre pays et Eni ont également construites dans des pays comme l’Angola, l’Algérie, le Congo, le Mozambique. Voilà donc les partenaires privilégiés du gouvernement pour le plan Mattei pour l’Afrique.

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Selon le PDG d’Eni, il est en effet « juste de parler d’énergies renouvelables et d’hydrogène, et nous y investissons beaucoup, mais nous devons également faire face à une demande de gaz qui s’est avérée inélastique en Europe et qui, contre des prévisions de réduction de moitié, est restée stable à 400 milliards de mètres cubes par an depuis 2000. » Annoncé pour octobre 2023 par le Premier ministre Meloni, le plan Mattei prévoit d’investir dans le temps, donc de devenir crédible auprès de ces pays. Et derrière l’idée de la nouvelle stratégie italienne, il y a aussi le concept de liberté, un concept embrassé à 100 % par le PDG d’Eni : « Si tu respectes, tu te libères, mais tu libères aussi ton interlocuteur. » L’Asie s’ajoute donc à l’Afrique : l’Azerbaïdjan aussi sera en effet un partenaire énergétique de plus en plus important grâce à la modernisation du gazoduc TAP.

Mise en musique du plan

Mais, concrètement, que prévoit ce plan ? En un mot, le développement économique et social des nations concernées et une plus grande coopération avec les gouvernements, tant sur le front énergétique que sur celui des flux migratoires. Lors du Summit for Democracy[2] en mars 2023, le Premier ministre est également revenu pour parler du plan Mattei. Et sans surprise dans ce siège international : « Le gouvernement italien fait pression pour un modèle de coopération non prédateur pour créer des chaînes de valeur et aider les nations africaines à mieux vivre avec les ressources dont elles disposent, a souligné Meloni. Plus la croissance est intense, plus elle sera réalisée de manière adéquate sur le plan social et le développement économique, plus les gens choisiront la démocratie. » Un concept réitéré et explicité également lors de la rencontre avec le président français Emmanuel Macron, en marge du G7 à Hiroshima, au Japon : « Avec le président Macron, nous avons parlé des questions liées à l’immigration. Le but est d’arriver à la défense des frontières extérieures de l’UE. Pour trouver une solution structurelle, la relation avec l’Afrique ne peut être ignorée, ce n’est pas un continent pauvre, mais riche, nous devons coopérer de manière non prédatrice et je pense à la question énergétique. »

Si l’on pense que, selon les chiffres fournis par le préfet des Alpes-Maritimes Bernard Gonzalez, en 2022, les entrées irrégulières de migrants, de l’Italie vers la France, se chiffrent à 40 000 interpellés sur le territoire français, dont 33 000 renvoyés en Italie par les Français, l’intérêt commun franco-italien à coopérer pour limiter les flux en provenance d’Afrique est bien compris ; des flux qui, au cours des premiers mois 2023, ont déjà triplé par rapport à 2022.

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La Libye est le principal point de départ pour ceux qui veulent arriver en Italie, et donc en Europe. Jusqu’à présent, le ministre italien des Affaires étrangères, Antonio Tajani (Forza Italia), a fait don de cinq patrouilleurs aux garde-côtes libyens pour renforcer les contrôles aux départs, poursuivant la politique entamée en 2017 par le ministre de l’Intérieur de l’époque du gouvernement Renzi, Marco Minniti, également soutenu et financé par la Commission européenne. Mais ce n’est clairement pas suffisant.

Il y a la question tunisienne encore ouverte. Et qui sait jusqu’à quand. Le chef de la diplomatie italienne Tajani s’est rendu à Tunis et s’est entretenu de la situation avec le secrétaire d’État américain, Antony Blinken. Et le ministre de l’Intérieur Matteo Piantedosi a également effectué deux voyages dans le pays au cours des six premiers mois du gouvernement Meloni pour maintenir le dialogue avec les autorités locales. Le G7 représentait donc une opportunité pour Meloni de porter la question à la table des dirigeants des économies les plus industrialisées de la planète ; essayant également d’impliquer la directrice du FMI, Kristalina Georgieva – qui termine son mandat cette année – et avec la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen.

Le Premier ministre a été catégorique : « Nous avons besoin de pragmatisme, pas de rigidité. » L’Italie considère une éventuelle faillite de la Tunisie très risquée. À plusieurs reprises, Meloni et Tajani ont réitéré leur inquiétude : voir le territoire tunisien sombrer dans un chaos incontrôlable, c’est assister au rapprochement de la Tunisie avec la Chine et la Russie.

Depuis le 1er janvier 2023, l’augmentation des départs de bateaux des côtes tunisiennes est de l’ordre de 800 %. Un chiffre qui contribue à rendre problématique la gestion du phénomène migratoire en Italie (et donc en Europe). Il y a un risque que « 900 000 personnes arrivent que l’Italie ne soit pas en mesure d’accueillir », a également averti Meloni lors de son discours au Conseil européen du 23 mars. Le Premier ministre est « très inquiet » et, seule, l’Italie peut faire de son mieux, mais sans obtenir de grands résultats. C’est pourquoi, Meloni a poussé à l’approbation du prêt du Fonds monétaire international pour Tunis, bien consciente des risques encourus si la situation devait se précipiter en Tunisie également, en plus de la Libye qui depuis 2011 est devenu un véritable problème pour l’Italie. Outre les accords entre Eni et Noc, la compagnie nationale libyenne[3], le gouvernement italien a signé un nouveau protocole d’accord avec Tripoli concernant les migrants. Mais cela seul ne semble pas suffisant pour arrêter les départs illégaux.

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[1] Enrico Mattei (1906-1962), homme politique et industriel italien, fondateur d’Eni. Il est décédé dans l’explosion de son avion personnel. Si la cause de l’explosion est bien criminelle, les auteurs de l’attentat n’ont jamais été identifiés.

[2] Format créé par l’administration Biden pour renforcer la démocratie en réunissant des dirigeants du monde institutionnel, du secteur privé et de la société civile. Il s’agissait de la seconde réunion.

[3] Un accord historique de 8 milliards de dollars pour l’extraction de gaz dans deux zones à 140 km au nord-ouest de Tripoli et une mise à niveau du gazoduc Green Stream, qui arrive à Gela, en Sicile.

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Francesco De Remigis

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