<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’Inde renonce à sa réforme agraire

11 mai 2022

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L’Inde renonce à sa réforme agraire

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Narendra Modi a décidé en novembre 2021 d’abroger trois lois controversées adoptées en 2020, qui visaient à réformer le secteur agricole indien sclérosé. L’homme fort de l’Inde a battu en retraite après une campagne menée par les petits exploitants agricoles. À première vue, les agriculteurs ont remporté une victoire. En réalité, les perdants probables de la retraite de Modi seront les pauvres, car les perspectives de croissance structurelle de l’Inde viennent de prendre un grand coup. Or le secteur agricole représente 50 % de l’emploi en Inde.

À l’exception de la fin des années 1960, lorsque les interventions de l’État ont permis de déclencher une « révolution verte », l’action du gouvernement a étouffé la croissance de la productivité dans l’agriculture indienne. Afin d’équilibrer le bien-être des agriculteurs et des consommateurs, le secteur a fait l’objet d’interventions répétées sous forme de plafonnement des prix, de subventions aux intrants, d’interdictions d’exportation et de quotas d’importation. Ces mesures ont eu pour effet d’ancrer les distorsions du signal des prix, de sorte que les agriculteurs et les entreprises n’étaient guère incités à réaliser des investissements agricoles destinés à améliorer la productivité.

Cette situation allait changer après l’adoption, en 2020, de trois lois qui promettaient de réformer l’agriculture et d’inciter le secteur privé à investir. Modi a qualifié cet événement de « moment décisif dans l’histoire de l’agriculture indienne ». Les lois ont fourni un cadre national pour 1) mettre fin aux monopoles sanctionnés par le gouvernement et accordés aux grossistes (à la recherche de rentes), 2) autoriser l’agriculture contractuelle, où les entreprises concluent directement des accords avec les agriculteurs pour faire pousser une culture particulière à un prix convenu, et 3) permettre aux intermédiaires de détenir des stocks de produits agricoles sans encourir de pénalités destinées à mettre fin à la spéculation en période de pénurie.

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Le problème est que la Constitution indienne place l’agriculture sous le contrôle des gouvernements des États. Le rôle du gouvernement fédéral est plutôt celui d’un facilitateur, car il réglemente le commerce sur une base interétatique et internationale. L’approche de M. Modi consistait à adopter des lois générales et à espérer que les États les suivraient. En fait, certains États avaient déjà pris des mesures pour libéraliser leurs propres marchés agricoles dans ce sens. Le problème, c’est qu’ils n’ont pas été assez nombreux à s’engager et que New Delhi a donné l’impression d’utiliser des raccourcis législatifs pour faire passer les changements. Cela a fait craindre que les agriculteurs soient vendus aux intérêts des entreprises.

La crainte que les agriculteurs ne perdent leur pouvoir de fixation des prix s’est intensifiée pendant la pandémie, car la migration inverse des villes fermées vers la campagne a poussé les anciens travailleurs urbains à retourner dans les exploitations agricoles pour tenter de joindre les deux bouts.

Le calcul politique de Modi pour abandonner ces réformes repose sur les élections de cinq États qui auront lieu au début de 2022. Parmi ceux-ci figure l’Uttar Pradesh, l’État le plus peuplé, où le Bharatiya Janata Party (BJP) au pouvoir est aux prises avec un sentiment de désaffection. Le parti d’opposition, le Congrès, étant confronté à ses propres problèmes, le plan de Modi consiste à gagner les électeurs indépendants en faisant l’éloge des agriculteurs. Il fait le pari que cette volte-face n’affaiblira pas son image d’homme fort et ne lui aliénera pas les électeurs urbains. Mais même si cette volte-face rapporte au BJP des dividendes électoraux immédiats, le contrecoup risque de se faire sentir pendant des années, tant sur le plan du bien-être rural que sur celui du programme de réforme économique de l’Inde.

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