Rodolphe II et les arts de Prague. Exposition au Louvre

30 mars 2025

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Joris Hoefnagel, Amor. Allegorie du Printemps © Musee du Louvre, dist. RMN - Grand Palais, Martine Beck-Coppola

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Rodolphe II et les arts de Prague. Exposition au Louvre

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Roi de Hongrie et de Bohème, empereur, Rodolphe II a marqué la cour de Prague par ses soutiens aux arts et aux sciences. Sous son impulsion, la cité de Bohème fut un foyer culturel de l’Europe. Une exposition au Louvre retrace cette histoire méconnue en France.

L’Expérience de la nature. Les arts à Prague à la cour de Rodolphe II. 19 mars, 30 juin 2025

Fils de l’empereur Maximilen II, Rodolphe II (1552-1612) est couronné roi de Hongrie en 1572, roi de Bohême en 1575, avant d’être élu empereur à la mort de son père en 1576. Adolescent, il a été envoyé à la cour de son oncle, le roi d’Espagne Philippe II, pour y être éduqué dans la tradition espagnole.

Sur le trône de Prague, il doit affronter les dissensions avec les protestants, dans une région traversée par des antagonismes religieux et politiques forts. Les sciences et les arts furent pour lui un moyen de dépasser ces divisions et ainsi de tenter de maintenir l’unité de l’Empire.

Il est célébré dès son vivant comme « le plus grand mécène du monde », pour reprendre les termes du biographe Karel van Mander en 1604.

Prague, une capitale de l’Empire

Hérité de la partie orientale de l’empire de Charlemagne, le Saint-Empire romain germanique est une fédération d’États (royaumes, principautés laïques et ecclésiastiques, villes libres) réunis sous l’autorité d’un empereur élu. Depuis le milieu du XVe siècle, ce dernier est choisi au sein de la dynastie des Habsbourg. En 1583, Rodolphe II transfère la résidence impériale de Vienne à Prague. Sous son règne, le Saint-Empire couvre un vaste territoire qui s’étend au-delà des frontières actuelles de l’Allemagne, de la Suisse, de l’Autriche, de la Slovénie, de la République Tchèque, mais aussi une partie de l’est de la France et du nord de l’Italie.

Comprendre le vivant

Rodolphe Il est l’un des souverains européens dont l’intérêt pour l’histoire naturelle était le plus vif. Cette nouvelle discipline a pris son essor vers 1550, portée par l’arrivée de spécimens des Amériques, encore inconnus en Europe.

Miseroni Ottavio (1567-1624) (attribué à). Paris, musée du Louvre. MR175.

Les naturalistes entreprennent alors de dresser l’inventaire du monde vivant, en décrivant avec précision la totalité des espèces. L’empereur fait aménager au sein du château de Prague un jardin botanique, des volières, des bassins et des enclos, où les plantes et les animaux peuvent être étudiés sur le vif par les naturalistes et les artistes. En complément, les collections impériales comportent un vaste ensemble de naturalia (fossiles, squelettes, coquillages…) ainsi que l’une des plus belles collections d’aquarelles botaniques et zoologiques jamais rassemblées.

Mesurer le temps, mesurer le monde

À Prague, Rodolphe Il s’entoure de nombreux scientifiques, tels les astronomes Tycho Brahe et Johannes Kepler et le minéralogiste Anselm de Boodt.

Erasmus Habermel, Cadran solaire©Ondřej Kocourek, The Museum of Decorative Arts in Prague

En astronomie comme en histoire naturelle, il s’agit de compiler les données les plus précises possibles, l’exactitude étant l’un des principaux leviers du développement des connaissances. L’observation directe et individuelle du monde environnant permet de dépasser le savoir antique transmis par les livres et de le corriger le cas échéant. L’exposition permet de voir les instruments de mesure d’Erasmus Habermel et les aquarelles de plantes et d’animaux de Hans Hoffmann et Joris Hoefnagel. Une entrée par les objets dans les découvertes scientifiques de cette époque.

Mesurer la terre est un enjeu important. L’essor de la cartographie est possible grâce à des relevés topographiques de plus en plus précis, grâce à la trigonométrie.

Les instruments de mesure sont constamment perfectionnés par la qualité de leur fabrication et la précision de leurs graduations. Ils comportent souvent des accessoires (boussole, cadran solaire) qui permettent de situer dans l’espace et dans le temps les mesures faites, ce qui restait délicat, avant les progrès de l’horlogerie au XVIIe siècle.

Peindre les paysages

Le goût de l’empereur Rodolphe Il pour l’art du paysage est une autre manifestation de son intérêt pour l’étude de la nature. Il invite à sa cour les paysagistes Pieter Stevens et Roelandt Savery, qui s’inscrivent dans la tradition du paysage flamand forgée par Pieter Bruegel l’Ancien au milieu du XVIe siècle. Leur style se renouvelle au contact de l’orfèvre Paulus van Vianen, qui les entraîne dans ses promenades autour de Prague pour dessiner en plein air. Les trois amis étudient avec attention tout ce qu’ils rencontrent en chemin, même ce qui n’avait jamais été jugé digne d’être représenté. Leurs œuvres privilégient des points de vue rapprochés sur un coin de nature sauvage et désordonnée, dominé par des falaises rocheuses, des torrents ou des arbres aux troncs tordus ou arrachés.

Roelandt Savery est l’un des pionniers de la peinture de tableaux de fleurs et d’animaux. Il peint en 1603, juste avant son départ pour Prague, le tout premier bouquet de fleurs daté de l’art des anciens Pays-Bas. Son séjour pragois joue ensuite le rôle de catalyseur pour le développement de ces deux nouvelles spécialités, promises à une grande popularité dans l’art flamand et hollandais au XVIIe siècle. Il étudie sur le vif, à la pierre noire, les animaux observés dans les enclos, volières et ménageries impériales, et dessine d’après les gravures et miniatures de la collection de Rodolphe II. De retour aux Pays-Bas, en 1613, il continue de peindre des fleurs et ainsi d’alimenter les savoirs picturaux entre les grandes villes européennes.

Joris Hoefnagel, Amor. Allegorie du Printemps © Musee du Louvre, dist. RMN – Grand Palais, Martine Beck-Coppola

Si l’exposition comporte peu de pièces, elles sont toutes de grande qualité. Tableaux, instruments de mesure, dessins d’animaux et de paysages, c’est une facette de la cour de Prague qui est présentée ainsi qu’un voile sur le foisonnement intellectuel et scientifique de l’Europe qui est levé. L’exposition permet de prendre en compte la pluralité des cours et des influences en Europe, et de percevoir les échanges intellectuels et scientifiques qui se sont déroulés à cette époque, en découvrant une Europe centrale qui demeure assez mal connue en France.

Adrien De Vries, Cheval © National Gallery Prague

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À propos de l’auteur
Mathilde Legris

Mathilde Legris

Journaliste. Terroirs, histoires, voyages.

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