Électrification à tous les étages : la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) trouble les milieux industriels

30 avril 2025

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Il y a en France 56 centrales nuclÃ'aires toutes exploitees par l EDF.Par le nombre de ses rÃ'acteurs la France est la 2 2 eme puissance mondiale derriere les USA. Ici centrale nucleaire EDF de Saint Laurent des eaux.//SICCOLIPATRICK_1011068/2208121019/Credit:SICCOLI PATRICK/SIPA/2208121036

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Électrification à tous les étages : la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) trouble les milieux industriels

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Alors que les responsables politiques français ne cessent d’appeler de leurs vœux la réindustrialisation du pays, la feuille de route énergétique présentée par le premier ministre semble faire l’impasse sur les contraintes et besoins réels de pans entiers de notre économie – considérant, à tort, l’électrification des usages comme un acquis. Un vœu pieux, et potentiellement délétère, alors que gaz représente 34 % de la consommation industrielle du pays.

L’unanimité contre lui. Élaboré dans la douleur par les gouvernements successifs, le projet de nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3), qui fixe la feuille de route énergétique de la France sur dix ans (2025-2035), devrait être adopté, faute d’accord entre partisans du nucléaire et défenseurs des énergies renouvelables (EnR), par décret. Une manière, pour le gouvernement de François Bayrou, de trancher un débat semble-t-il inextricable ; et ce en donnant, enfin, un minimum de visibilité aux acteurs concernés par le déploiement de cette – trop ? – ambitieuse trajectoire énergétique.

L’Académie des sciences étrille la PPE3

Problème : alors que le gouvernement s’apprête à entériner la PPE en gestation depuis de nombreux mois, les critiques pleuvent sur le projet de texte. Et pas des moindres, les reproches provenant du Haut conseil pour le climat, de l’Autorité environnementale ou encore du Haut-commissaire à l’énergie atomique. Dernière en date, l’Académie des sciences a publié, début avril, un avis au vitriol sur le projet d’orientation stratégique présenté par le gouvernement.

Déplorant en préambule « le peu de considération (accordée) aux nombreux avis formulés lors de la consultation publique », l’Académie charge surtout les « incohérences de chiffres » qui truffent, selon elle, l’actuelle version de la PPE3. Et l’institution d’estimer « nécessaire de procéder à une vérification et une correction exhaustives (…) des chiffres fournis (…), suivies d’une réécriture garantissant sa cohérence ». « Le texte actuel n’est pas à la hauteur des enjeux de l’énergie », conclut l’avis de l’Académie, « il n’a pas non plus le niveau de rigueur attendu d’une production des services de l’État ». Les intéressés apprécieront.

Le serpent de mer de l’électrification

D’une rare virulence pour une production émanant d’une institution telle que l’Académie, l’avis publié le 8 avril s’interroge notamment sur l’importance accordée par les rédacteurs de la PPE3 aux EnR – et, partant, à l’idée selon laquelle l’électrification des usages serait en quelque sorte acquise. Or « l’électrification n’est pas qu’une question de volonté politique, mais aussi scientifique et technologique », relève Marc Fontecave, professeur au Collège de France et principal signataire de l’avis en question, selon qui les scénarios de la PPE3 « sont construits sur l’idée qu’il sera facile d’électrifier la production d’acier, l’habitat, les voitures ».

Or « en réalité », rappelle le scientifique, « les progrès (en matière d’électrification) sont lents ». En dépit des années de travail et des nombreuses consultations ayant accouché de la PPE3, ses auteurs semblent ainsi méconnaître la situation, les contraintes et les perspectives de pans entiers de l’économie française. A commencer par celles de l’industrie, dont certains secteurs continuent de recourir, par exemple, massivement au gaz naturel. Qu’il s’agisse d’un intrant intervenant dans les processus de production, ou d’une source d’énergie, le gaz représente toujours, aujourd’hui, 34% de la consommation d’énergie totale du secteur secondaire.

Un constat particulièrement valable dans les domaines de l’industrie chimique et pétrochimique. Si depuis 2022 la consommation de gaz par le secteur a sensiblement baissé en raison du conflit russo-ukrainien, « l’industrie chimique demeure fortement dépendante de cette source d’énergie », observent dans une récente note les services du ministère de l’Économie, et ce « malgré des investissements engagés pour améliorer son efficacité énergétique ». En d’autres termes, une « accélération rapide et forte de l’électrification (est) peu probable » dans l’industrie à court terme, estime pour sa part l’Académie des sciences.

Un texte anti-industriel ?

Tout à leur « obsession d’atteindre la neutralité carbone en 2050 », comme le juge sévèrement Marc Fontecave, les rédacteurs de la PPE3 auraient-ils donc pêché par excès d’optimisme, voire par irréalisme ? Alors que les responsables politiques ne jurent que par la réindustrialisation et la souveraineté industrielle de la France, il est pour le moins surprenant qu’ils semblent assumer d’ignorer, dans un document aussi stratégique que la PPE, les usages énergétiques réels de l’industrie tricolore.

Encourager l’électrification des usages (par le développement des EnR, celui du nucléaire, par un plan de sobriété ou de plus amples efforts en termes d’efficacité énergétique) n’est pourtant pas incompatible avec la prise en considération d’impératifs économiques tout aussi cruciaux pour l’avenir du pays. François Bayrou, qui a récemment proposé que soit organisé « dans les prochaines semaines » un débat parlementaire sur la PPE, acceptera-t-il d’amender encore ce texte ô combien polémique ?

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À propos de l’auteur
Etienne de Floirac

Etienne de Floirac

Étienne de Floirac est journaliste

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