Soldat du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine, Mayeul était de ceux qui ont combattu les talibans lors de la tristement célèbre embuscade d’Uzbin. En plus de dévoiler dans son ouvrage la réalité des combats, et son long cheminement vers là reconstruction, il livre là un véritable travail de réflexion sur l’engagement, le courage et le sacrifice.
Le 18 août 2008, dans la vallée d’Uzbin en Afghanistan, une trentaine de soldats en mission de reconnaissance tombe dans une embuscade tendue par 140 talibans. Le bilan est lourd : dix morts, et une vingtaine de blessés. Mayeul était dans la section envoyée en renforts après le début de l’embuscade. Il a été au cœur des combats jusqu’à l’aube, avant d’être chargé de ramener les corps de ses camarades. De cette bataille, il en est ressorti avec le syndrome post-traumatique, qu’il appelle « un trou dans l’âme ». Les combats d’Uzbin, ainsi que son combat pour sa reconstruction, il les relate avec une rare authenticité dans son ouvrage, La Voie du soldat.
Entretien avec Mayeul. Propos recueillis par Gabriel de Solages
Mayeul, La voie du soldat, Mareuil Editions, 2025
À 19 ans, vous rejoignez le 8e RPIMA. Et à 22 ans, avant de rejoindre la terre afghane, il vous est conseillé d’écrire votre testament. À 22 ans, qu’est ce que cela fait ?
Nous nous sommes tous regardés dans le blanc des yeux. Écrire son testament, ça n’est pas à un jeune de le faire. J’avais 22 ans, et on me demandait de prévoir à qui je donnais ma voiture, mes meubles, mon fusil de chasse… c’était profondément marquant. Au même moment, avant notre départ, notre chef de corps nous a dit ces mots : « Je ferai tout mon possible pour vous ramener mais je ne peux pas vous garantir que je ramènerai tout le monde vivant ». Mourir pour le drapeau, c’est une chose à laquelle j’avais déjà pensée. Mais entendre mon chef me dire cela, ce n’est qu’alors que j’ai réellement pris conscience que je ne rentrerai peut-être jamais.
Jour de l’embuscade, 18 août. Qu’est-il arrivé à Carmin 2, la section directement prise dans l’embuscade et quelle était votre mission principale en tant que section de renforts ?
Carmin 2 avait commencé à gravir le col. Le chemin, trop étroit pour les véhicules, imposait une progression à pied. Nos camarades avaient entendu des cris de femmes venant du col. Dès que ces cris se sont tus, nos gars ont été pris sous un feu nourri. Les talibans descendaient des montagnes pour tenter de tuer nos camarades au corps à corps. Leur objectif était clair : nous anéantir.
La mission de notre section était de monter sur la ligne de crête pour enserrer l’ennemi dans une tenaille, mais la violence des tirs nous bloquait toujours sur place, en bas. Sur notre gauche, une section alliée de l’armée afghane tenait une position. Après plusieurs heures de combat, ils se sont levés et ont quitté les lieux en courant. Nous étions abasourdis. « Mais qu’est ce qu’ils font ? Ils partent ? » a hurlé un soldat. C’était bien ça : ils nous abandonnaient. Nous étions abasourdis.
Quelle a été la stratégie des talibans, pour ainsi rendre votre progression quasi-impossible ?
Au début, les talibans étaient face à nous, ce qui rendait le combat possible dans la mesure où nous savions où ils étaient. Ils étaient très bien organisés. Certains étaient sur la ligne de crête en train de nous tirer dessus pendant que d’autres groupes à l’arrière descendaient vers les caches d’armes et remontaient des munitions. C’est ce qui a fait que les combats étaient toujours nourris et se sont rarement arrêtés. Mais ensuite, leurs tirs arrivaient aussi par derrière et sur les côtés. Nous étions encerclés. Ils approchaient. Ils sont arrivés à 60 mètres de notre position. Les talibans étaient tous drogués à l’opium, tous habillés en blanc, prêts à mourir en martyrs.
Étant le radio de votre section, vous êtes rapidement pris pour cible par un sniper taliban et vous vous dites : « C’est fini, je vais mourir » …
Nous n’avions plus de munitions ; j’étais convaincu de vivre mes derniers instants. Le sniper ajustait ses tirs pour se rapprocher de moi au point où une de ses balles a traversé mon sac. Je n’avais pas vraiment peur pendant les combats, tant l’adrénaline était élevée. Mais je comprenais que je ne rentrerai pas à la maison. Et en en prenant conscience, j’ai pris mon téléphone portable afin de joindre mon père. Je voulais juste lui dire que j’allais mourir ici et que je voulais être enterré dans le caveau de mon grand-père. Heureusement, je n’ai jamais réussi à le joindre.
C’est lorsque les combats ont baissé en intensité que j’ai pris conscience de ce qu’il venait de se passer. Je voyais notre véhicule blindé criblé de balles, des blessés gisant par terre, des soldats faisant des massages cardiaques, des garrots… Et malgré tout cela, nous devions rester lucides. Il restait des talibans et nous avions des soldats disparus à retrouver, des blessés à relever, des morts à enterrer.
Sans être blessé physiquement, vous êtes sorti de l’embuscade avec le trouble de stress post-traumatique (SPT), ce qui a valu votre rapatriement en France. Quand est-il apparu ?
Ce n’est pas la dureté des combats, ni même la mort de mes camarades qui ont fait naître ce trouble. Ça a été autre chose, de plus marquant, de plus violent. Une fois les combats terminés, j’ai été chargé de récupérer les morts. Et certains avaient été égorgés, déchiquetés par les talibans. Certains étaient des amis. Des chers amis.
Finalement, nous étions prêts à la guerre. Nous avions été formés pour la faire. Mais aucune formation ne prépare à retrouver le corps d’un ami criblé de balles. Le traumatisme, dont je ne prendrais conscience que plus tard, s’était ancré en moi dès ces instants.
Comment se révélait ce traumatisme au quotidien ?
Ma période de reconstruction a été d’une extrême complexité. Je me voyais sombrer et me couper du monde. Je ne voulais que parler à mes amis paras, qui avaient vécu Uzbin à mes côtés. Eux comprenaient. Mais en parler, c’était revivre la guerre. C’était revivre ces moments où je portais les corps morts de mes amis. C’était revivre ce qui expliquait ce que j’étais devenu : un légume qui ne pensait pas et qui n’agissait pas. Les cauchemars s’enchaînaient la nuit. Je ne pouvais plus dormir la lumière éteinte. Je me cachais dès lors que je voyais une personne un peu suspecte marcher. J’avais perdu ma foi. Finalement, j’étais présent physiquement, mais mort intérieurement.
La vie après l’armée. Les aventures aux quatre coins du monde. La sécurité privée.
Après avoir terminé mon contrat, et après diverses formations en sécurité privée au Kazakhstan et en Russie, j’ai été embauché pour faire de la contre piraterie au large de l’Afrique du Sud. J’ai ensuite travaillé en Côte d’Ivoire, effectué des missions au Yémen… Dans ces terres orientale et africaine, j’ai vécu des aventures humaines extraordinaires.
Après ce passé palpitant au service de la France, que vous réserve l’avenir ?
Il est temps désormais pour moi d’accomplir mon devoir de mémoire, afin d’aider à rééduquer les gens à l’amour de la France et du drapeau. S’ils retrouvent l’amour de notre pays, alors ils retrouveront l’amour de l’uniforme, du soldat. La consolidation du lien armée-Nation se fera par des témoignages et par la survivance de la mémoire de nos anciens. Je veux y participer de tout cœur, afin que mes dix frères d’armes tombés dans la vallée d’Uzbin ne tombent jamais dans la désuétude.
Quels messages voulez-faire passer, à travers votre témoignage ?
À travers ce livre, j’ai souhaité interroger le lecteur sur des valeurs qui pour moi, sont fondamentales : la loyauté, le courage et la fidélité.
La fidélité est le béton armé d’un engagement. Elle nécessite du courage car elle impose de rester debout et de résister quand tout pousse à capituler. La loyauté, elle, est une forme d’amour envers et contre tout, un puissant moteur pour ne pas abandonner et donc persévérer. Enfin, le courage. Le commandant Hélie de Saint Marc s’emploiera mieux que moi à expliquer son importance, à travers sa Lettre à un jeune homme de 20 ans : « Je lui dirais que de toutes les vertus, la plus importante car elle est la motrice de toutes les autres et qu’elle est nécessaire à l’exercice des autres, de toutes les vertus, la plus importante me parait être le courage, les courages, et surtout celui dont on ne parle pas, et qui consiste à être fidèle à ces rêves de jeunesse. Car pratiquer ce courage, ces courages, c’est peut-être cela, l’honneur de vivre ».
Tout cela, je le regroupe en un mot : la résilience. Je voulais en parler. Faire passer le message que jamais rien n’est une fatalité. La résilience, ce n’est pas le fait de ne jamais tomber. C’est justement le fait de tomber, parfois très bas, mais de trouver les ressources pour se relever. Je veux le démontrer par mon témoignage. Ni la guerre ni mon trauma n’ont pu m’abattre. Je suis encore debout, et je continue à servir.