Alors que la nouvelle administration américaine semble vouloir se désengager du continent africain, la Côte d’Ivoire apparaît comme une exception régionale, attirant tant les capitaux que les militaires étasuniens. Le président Alassane Ouattara semble avoir pris acte avant ses homologues africains des bouleversements entraînés par le retour de Donald Trump à Washington, jouant à plein – et avec succès – la carte du rapport de force si chère à l’hôte de la Maison Blanche.
Depuis son retour au pouvoir, le moins que l’on puisse dire est que Donald Trump n’a pas été tendre avec l’Afrique : coupes drastiques dans les budgets de l’USaid (avec des conséquences délétères sur la vie de millions de personnes, notamment africaines) ; traquenard dans le bureau ovale du président sud-africain, accusé par son homologue américain de « génocide » anti-Afrikaners ; mépris affiché pour les pays du continent, sur le sol desquels Donald Trump n’a jamais posé un pied au cours de son premier mandat ; imposition – avant de se rétracter – de droits de douane à 51 des 54 pays d’Afrique, allant de 11 % pour le Cameroun à 50% pour le Lesotho ; etc.
La Côte d’Ivoire : l’exception qui confirme la nouvelle politique africaine des États-Unis
Mais Donald Trump n’est plus à une contradiction près, comme l’ont appris, parfois à leurs dépens, les diplomates d’Afrique et d’ailleurs. Le 14 mai dernier était ainsi signée, à Abidjan, une série d’accords entre la Côte d’Ivoire et des entreprises américaines. Bénéficiant essentiellement au secteur de l’énergie, les investissements consentis pourraient atteindre 7 milliards de dollars, ce qui en ferait le partenariat public-privé (PPP) le plus important jamais conclu entre les deux pays. En ligne de mire, la construction d’une seconde raffinerie de pétrole, d’une capacité prévisionnelle de 170 000 barils par jour.
Historiques par leur montant, « ces accords témoignent de la position stratégique de la Côte d’Ivoire pour les entreprises américaines », s’est réjoui Stéphane Hie Nea, le représentant de la Chambre de commerce des États-Unis en Côte d’Ivoire. Un dynamisme qui n’allait pas de soi, Stéphane Hie Nea concédant fort diplomatiquement au Monde qu’il y a bien eu « une période de flottement » chez les élites ivoiriennes après le retour tonitruant de Donald Trump à la Maison Blanche. Évoquant pour sa part un « repositionnement stratégique » des États-Unis, le chercheur Florian Léon observe qu’il « s’agit moins d’un retrait (américain en Afrique) que d’un basculement de l’aide vers l’investissement ».
« Trade, not aid »
S’il devait se confirmer, ce changement de doctrine étasunien donnerait consistance au slogan « Trade, not aid » (« Le commerce, pas l’aide ») lancé lors de son passage en mai à Abidjan par Troy Fitrell, le responsable américain chargé des affaires africaines au Département d’État. « Nous ne considérons plus l’Afrique comme un continent qui a besoin d’aide, mais comme un partenaire commercial compétent », a résumé le haut fonctionnaire. Parfois décrite comme la locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire apparaît donc pour la nouvelle administration américaine comme une terre d’opportunités économiques avant tout ; de fait, avec 1,49 milliard de dollars d’échanges commerciaux en 2023, Washington est aujourd’hui le deuxième client et le cinquième fournisseur du « pays des éléphants ».
Opportuniste, la nouvelle stratégie américaine coïncide en quelque sorte avec les intérêts à long terme de la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara. Au pouvoir depuis 2011, le président ivoirien a en effet initié une série de réformes d’envergure, afin de libéraliser et de moderniser l’économie ivoirienne, d’attirer les capitaux étrangers et de diversifier un modèle économique qui reposait jusqu’alors essentiellement sur les richesses agricoles du pays, cacao en tête. La découverte récente de deux importants gisements d’hydrocarbures au large des côtes ivoiriennes (« Baleine » et « Calao ») ouvre ainsi de juteuses perspectives, tout en étant parfaitement alignée avec l’ambition trumpienne « Drill, baby drill ».
« Plus qu’à un désengagement (américain), on assiste à un recentrage sur des investissements qui doivent servir les États-Unis », analyse dans les pages du Monde William Assanvo, chercheur à l’Institut d’études de sécurité. Selon lui, « la Côte d’Ivoire n’est pas négligée par les États-Unis de Trump, et est mieux traitée que la moyenne des pays africains, notamment car cela leur permet d’y contrer la Chine qui est très présente à Abidjan ». Une déclinaison, remise à jour, de la realpolitik, où les intérêts – économiques bien sûr, mais aussi militaires ou géopolitiques – priment sur l’idéologie. A l’heure où dans la région l’influence française fond comme neige au Sahel, le vide stratégique laissé par Paris est vu, là encore, comme une promesse d’opportunités par Washington.
Face à Trump, Ouattara réaffirme la souveraineté stratégique ivoirienne
Chassés, avec les Français, du Niger voisin où un coup d’État a en juillet 2023 rebattu les cartes, les soldats américains se sont naturellement tournés vers la Côte d’Ivoire pour continuer d’assurer une présence dans une région sahélienne menacée par les groupes terroristes. Non que ce point fasse consensus au sein de l’administration Trump, au sein de laquelle s’opposent partisans de l’isolationnisme « America first » et tenants d’une ligne interventionniste plus traditionnelle. En tout état de cause, les négociateurs étasuniens ne sont pas arrivés en terrain conquis en Côte d’Ivoire, l’administration d’Alassane Ouattara refusant la proposition de construire une base américaine à Korhogo. Finalement, les GI’s devront se contenter d’une seule et unique piste de l’aéroport de Bouaké pour faire décoller leurs drones.
Si les Américains se félicitent d’une collaboration militaire « respectueuse et mutuellement bénéfique », l’intransigeance ivoirienne témoigne de la volonté de la Côte d’Ivoire de rester souveraine en matière de sécurité. En multipliant les partenaires et alliés stratégiques – États-Unis, Turquie (octobre 2024), Maroc (mai 2025) –, Alassane Ouattara démontre qu’il n’entend plus faire reposer la défense et la sécurité de son pays sur un seul et unique acteur. En cela, le président ivoirien fait plus qu’un coup stratégique, semblant avoir, presque avant tout le monde, flairé le grand bouleversement à l’œuvre sur la scène internationale. Désormais, seul le rapport de force compte, et la Côte d’Ivoire ne se laissera pas dicter sa conduite, même par les plus grands.