La vieille ville de Jérusalem attend de renouer avec le flux touristique d’avant le 7 octobre 2023. Cette désertion est mise à profit par les archéologues qui s’activent dans son monument-phare qui accueille d’habitude plus d’un million de visiteurs par an : la basilique du Saint-Sépulcre. Une fouille historique au cœur de la Ville sainte qui révèle les origines du site le plus sacré de la chrétienté.
Par Henri de Mégille, archéologue
Article paru dans le N°57 de Conflits.
D’une décharge au sanctuaire de la Résurrection
Appelée église de la Résurrection par les orthodoxes et Saint-Sépulcre par les Latins, la basilique commémore le lieu de la mort et de la Résurrection du Christ sur le Golgotha, à Jérusalem. L’actuelle fouille, sous la direction de Francesca Romana Stasolla, professeure d’archéologie chrétienne de l’université de La Sapienza à Rome, est l’occasion de comprendre l’architecture du lieu saint. Située au cœur du quartier chrétien de la vieille ville, cette ancienne colline a été à la fois une carrière de pierre, une nécropole juive, puis un temple romain dédié au culte impérial. Le sanctuaire païen est rasé sous l’empereur Constantin au début du ive siècle pour édifier une basilique digne du nouvel empire chrétien, à son tour détruit par le calife al-Hakim (1009). L’empereur byzantin Constantin Monomaque (1042-1055) entreprend ensuite une restauration monumentale, achevée en 1048. Reconstruit par les croisés au xiie siècle, le Saint-Sépulcre est de nouveau en chantier au xixe siècle après un incendie dévastateur.
Les fouilles anciennes et actuelles
Le 12 octobre 1808, un incendie provoqué par des cierges allumés de nuit ravage l’intérieur de la basilique. Le dôme est détruit. Les sépultures des rois croisés, alors extrêmement endommagées, disparaissent dans les travaux de réfection. Durant ces rénovations massives, l’Anastasis – « résurrection » en grec, terme utilisé pour désigner la zone circulaire entourant le tombeau vide du Christ – est laissé dans son état d’origine. Ce n’est qu’en 1960 que des travaux de restauration reprennent dans la partie latine sous la supervision d’un dominicain français, Charles Couasnon (1895-1976), chef du bureau technique de la basilique. Mais c’est un franciscain, professeur au Studium Biblicum Francescanum, qui se charge des premières fouilles de la basilique. Originaire du sud de l’Italie, Virgilio Canio Corbo (1918-1991) est une des grandes figures de l’archéologie biblique, connu notamment pour ses fouilles des forteresses de l’Hérodion en Palestine ou de Macheronte et du mont Nébo en Jordanie. Frère Virgilio fait enlever les dalles de pierre endommagées par l’incendie de 1808 et découvre la plupart des structures anciennes sous la forme d’un sol rapiécé de débris de marbre et de mosaïques byzantines de la première moitié du xie siècle. Les fouilles ouvrent une fenêtre sur les découvertes futures. Après un épisode de restauration du tombeau par une équipe grecque en 2016, le chantier actuel, débuté en mai 2022, est l’opération la plus ambitieuse menée depuis deux cent quinze ans. La fouille préventive est le préalable scientifique à la réfection de l’ensemble des pavements de la basilique. 1 000 m2 sont impactés. L’équipe scientifique a été choisie collégialement par les trois églises copropriétaires de la basilique : le patriarcat orthodoxe, le patriarcat arménien et le patriarcat latin (catholique) représenté par la Custodie de Terre sainte. Le cycle de fouille s’exerce de jour comme de nuit afin de libérer au plus vite les espaces contraints par le chantier. Ouverte en continu, la basilique vit au rythme des psalmodies et des marteaux-piqueurs.
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De nouvelles découvertes sur l’origine de la basilique
La fouille de l’édicule de la Résurrection au niveau de l’Anastasis révèle les vestiges de la première basilique édifiée par l’empereur Constantin (272-337). La découverte la plus saisissante n’a pourtant rien de spectaculaire à première vue : il s’agit de la roche du sol. La chapelle vénérée comme le sépulcre du Christ renferme bien une tombe. La fouille confirme la monumentalisation de la chambre funéraire creusée en flanc de colline et décaissée sur 5 mètres pour en faire le tour, selon le rite encore en usage. Elle enserre dans ses murs la roche de la tombe juive en partie arasée. Les archéologues ont identifié le sanctuaire originel du martyrium qui se composait de 12 colonnes entourant le sépulcre au ive siècle. Ils ont révélé un escalier taillé dans la roche et recouvert de marbre blanc. L’usage antique est de laisser une monnaie sur le chantier, ce qui permet de le dater très précisément à la vue de l’effigie de l’empereur Valens (364-378) frappée sur le bronze. La monumentalisation du site dès le début de l’ère chrétienne est un fait de tradition rapporté par les pèlerins de l’Antiquité. Il est désormais confirmé par l’archéologie. D’autres découvertes, comme les restes de pavement byzantins ou des graffitis datés du xviiie siècle, confirment une chaîne continue de pèlerins sur presque deux mille ans. Les fouilles du Saint-Sépulcre confirment les sources historiques documentant le récit mouvementé de la basilique.
Le Saint-Sépulcre exposé au Terra Sancta Museum
À quelques centaines de mètres de la basilique, une autre partie du Saint-Sépulcre est exposée dans le couvent franciscain dit de « la Flagellation » en référence à l’épisode de la Passion. Il est situé à l’emplacement de l’ancien palais du prétoire, résidence des gouverneurs de Judée, dont un certain Ponce Pilate au ier siècle. C’est le point de départ du chemin de croix qui aboutit au Saint-Sépulcre, à l’époque nécropole juive située en dehors des murs. Ancienne forteresse puis caravansérail, le couvent abrite aujourd’hui, outre une faculté, la section archéologique du Terra Sancta Museum. Le musée présente les fouilles des franciscains dans les lieux saints de la région, dont le plus notable, le Saint-Sépulcre. La nouvelle section, ouverte à l’hiver 2024, présente les artefacts soustraits lors d’anciens travaux de restauration. Deux puissantes colonnes et leurs chapiteaux d’époque constantinienne appartenant à l’ancienne rotonde de la basilique accueillent les visiteurs. Elles sont flanquées des pavements d’époque byzantine retrouvés dans la partie latine de la galerie supérieure de la basilique, qui est partagée avec la communauté arménienne. Restaurés dans une base de ciment, ils donnent à voir des motifs rythmés qui attendent d’être étudiés par les historiens de l’art. Certaines de ces mosaïques de marbre rappellent des traditions artistiques italiennes arrivées à Jérusalem avant la période croisée. L’incrustation de pierres et de pâtes de verre colorées sont un réemploi de matériaux d’époque romaine. On retrouve ainsi des motifs géométriques et d’animaux, dont le poisson. Sans doute le symbole chrétien des premiers siècles le plus connu, son nom grec ICHTUS est l’acronyme de Ἰησοῦς Χριστός Θεοῦ υἱός σωτήρ, « Jésus-Christ fils du Dieu sauveur ».
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Après le départ des croisées de Jérusalem en 1187, la gestion du Saint-Sépulcre a été confiée en 1217 à l’ordre des franciscains pour l’Église catholique. Une mission ininterrompue depuis huit cents ans et qui se poursuit par l’exposition des premières fouilles du lieu saint au musée archéologique du Terra Sancta Museum. Les recherches archéologiques de la basilique du Saint-Sépulcre se poursuivent dans une concorde œcuménique inédite. Elles révèlent les preuves matérielles d’un monument sacralisé depuis les origines de la chrétienté, but ultime du pèlerinage en Terre sainte.