<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Israël : une terre sainte devenue une destination touristique

5 octobre 2023

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Israël : une terre sainte devenue une destination touristique

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Possédant moult lieux saints et historiques, Israël attire de nombreux touristes qui viennent pour des motifs religieux et culturels. Un riche patrimoine dont la mise en valeur est contrariée par les conflits qui touchent le pays.

Article paru dans le numéro 47 de septembre 2023 – Occident. La puissance et le doute.

Israël regorge de lieux saints et historiques, aussi réputés que variés. Des multiples portes percées dans les remparts de la vieille ville de Jérusalem aux sanctuaires les plus sacrés, ces sites sont devenus des lieux de pèlerinage chrétiens, juifs et musulmans.

La géographie du salut

Le pape Paul VI le soutenait : « Il y a l’histoire du salut et la géographie du salut. » Et Israël peut se targuer d’occuper une large place dans cette géographie. Ce qui définit un lieu saint, c’est aussi bien sa nature populaire que scientifique ; la tradition y jouant un grand rôle. Israël comptant des centaines de lieux saints sur ses terres, c’est cette géographie qui attire les pèlerins-touristes qui y viennent chaque année.

Les motivations des visiteurs sont essentiellement religieuses, on s’en doute. Plusieurs sites israéliens sont directement mentionnés dans la Bible. Les chrétiens pèlerinent en Terre sainte. Ils y sont surreprésentés, dans un espace multiconfessionnel où se côtoient aussi le judaïsme et l’islam. Bien que Jérusalem soit aussi une ville importante pour les musulmans, leur présence est plus rare, car la plupart opte pour le pèlerinage de La Mecque. Jérusalem bien sûr mais aussi Nazareth, Emmaüs et les bords du lac de Tibériade, autant de lieux qui marquent cette « géographie du salut ». Ces touristes-pèlerins étant une source importante de revenus pour Israël, le pays soigne la maintenance et la sauvegarde des lieux saints et historiques. Les pèlerines représentent plus de la moitié de tout le tourisme entrant. Yoel Razvozov, ministre du Tourisme, en est conscient : « Le tourisme religieux jette des ponts entre les peuples et les pays, renforce nos liens internationaux et diplomatiques et constitue un point d’ancrage important pour le secteur[1]. » Ce qui nécessite de satisfaire les besoins en hôtels, en restauration, en accueil et en sécurité. Or, si cette activité économique est importante, elle est aussi fragile, car soumise aux aléas des tensions d’Israël avec ses voisins. Qu’une guerre se déclenche ou que des bombardements intenses aient lieu, ce qui arrive régulièrement mais, évidemment, de façon imprévisible, et les pèlerins ne peuvent plus venir. Ce qui met en tension l’équilibre financier des établissements vivant des pèlerinages.

Plus de 11 000 sites archéologiques sont répertoriés en Israël. Les juifs y comptent quatre villes saintes : Jérusalem, Hébron, Tibériade et Safed, ainsi que d’autres lieux historiques, comme Massada et Yad Vashem. Les chrétiens y trouvent également leur compte avec Jérusalem, Bethléem, Nazareth, Cana, et d’autres endroits plus isolés comme Capharnaüm, le site du baptême du Christ et de nombreux monastères et abbayes. Avec plus de 200 musées, Israël compte la plus grande densité muséale au monde. Le tourisme juif et musulman est très local, alors que les chrétiens bénéficient de lieux de pèlerinage d’envergure internationale.

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La Ville sainte

La plupart des lieux saints sont concentrés dans la vieille ville de Jérusalem, et notamment sa partie orientale. Elle est l’une des plus anciennes villes du monde, si souvent cités dans l’Ancien et le Nouveau Testament, et regorge de patrimoine culturel et cultuel. Sur moins d’un kilomètre carré, la cité est divisée en quatre quartiers bien délimités : chrétiens, musulmans, juifs et arméniens. Ces quartiers, bien que nommés ainsi au XIXe siècle, existent depuis bien plus longtemps. Ils incarnent quatre manières différentes de se vêtir et de s’exprimer, renvoyant des tonalités culturelles et gastronomiques différentes. Sur un kilomètre carré, ce sont quatre ambiances et modes de vie bien tranchés qui se partagent un espace restreint.

Le quartier juif occupe le sud-ouest de la vieille ville. C’est la zone la plus élégante et la plus résidentielle. Il y règne un calme reposant dans les ruelles qui longent les murs austères des nombreuses synagogues et yeshivas. Ce faubourg contient le plus riche héritage romain de Jérusalem : à l’entrée, une série de colonnes marque l’entrée du Cardon, ancienne rue commerçante romaine qui abrite aujourd’hui des galeries d’art, des magasins et des appartements.

Le quartier musulman est le plus vaste des quatre. Commençant derrière le mur des Lamentations, il s’achève à la porte d’Hérode. Étrangement, il abrite l’un des sites de pèlerinage chrétien, la Via Dolorosa, ainsi que le mont du Temple. Avec ses rues étroites et labyrinthiques, ses arômes épicés qui émanent des souks, il rappelle les médinas.

Le quartier chrétien se situe entre la porte de Damas, la Nouvelle Porte et la porte de Jaffa. C’est le deuxième plus ancien quartier de la ville, né dans le nord-ouest, comme extension du quartier musulman. Aujourd’hui, il est même ardu de distinguer nettement les deux zones. Beaucoup de pèlerins commencent leur périple par la Via Dolorosa, jusqu’au Saint-Sépulcre, l’un des monuments les plus visités de Jérusalem. Le quartier chrétien comptabilise plus de 40 lieux sacrés pour les fidèles.

Enfin, le quartier arménien abrite une petite communauté d’environ 500 personnes. Sans compter la cathédrale Saint-Jacques et le monastère Saint-Marc, les rues sont bordées de multiples boutiques de poterie artisanale, de petites chapelles, et de musées sur l’histoire des Arméniens à Jérusalem.

Les fortifications de la vieille cité sont percées de quelques dizaines de portes, toutes historiques et symboliques.

Les bastions des dévots

Les lieux saints de Jérusalem font partie des sanctuaires les plus éminents du judaïsme. Impossible d’éviter le mur des Lamentations. Situé dans le quartier juif de la vieille ville de Jérusalem, daté du Ier siècle, il renforce le flanc occidental du temple ; c’est pourquoi il est également appelé mur occidental. Il constitue l’un des principaux vestiges du temple, le lieu le plus proche du Saint des Saints, et est ainsi considéré par les juifs comme le lieu le plus emblématique pour la prière.

Le mur des Lamentations a une histoire bien singulière. Après l’érection de la cité romaine d’Aelia Capitolina, les juifs sont autorisés, contre paiement, à se rendre au pied du mur une fois par an, pour se lamenter sur le sort de leur ville. D’où le nom du mur donné par les pèlerins chrétiens. Les juifs continuent de s’y recueillir jusqu’à la guerre d’indépendance d’Israël, à l’issue de laquelle le pays est divisé et les juifs expulsés de leur quartier. La prise de la ville et de son lieu saint lors de la guerre des Six Jours (1967) confère au mur des Lamentations une importance nationale, et sa proximité avec les lieux de l’islam est l’un des facteurs de tension avec les Palestiniens. Le mur est respecté comme une synagogue car, selon le psaume rabbinique, « la présence divine ne quitte jamais le mur occidental ».

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Aujourd’hui, il est l’un des endroits les plus touristiques du pays. Les visiteurs y viennent du monde entier, de jour comme de nuit. Les juifs y déposent leurs vœux sur de petits papiers pliés glissés dans les fentes du mur. Plus d’un million de billets y sont déposés chaque année. Pour respecter la sacralité du lieu, les juifs quittent la zone de prière en s’éloignant sur l’esplanade en marche arrière.

Le mur des Lamentations est tout aussi important pour l’islam, car il sert de lieu de soutènement à l’esplanade où sont construits le Dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’islam. La tradition musulmane raconte que lors du voyage nocturne de Mahomet, de La Mecque à Jérusalem, au cours duquel il est monté sur le buraq, le prophète attacha sa monture au mur occidental avant de prier sur l’esplanade.

Depuis l’extérieur de la vieille ville, chacun peut accéder à l’esplanade par la porte des Maghrébins. Le Dôme du Rocher est un autre incontournable de la vieille ville. Érigé à la fin du VIIe siècle sur le mont du Temple, il fait partie du Haram-al-Sharif, « noble sanctuaire » de l’islam. Inspirés de l’architecture byzantine et perse sassanide, les carreaux qui le recouvrent, installés par Soliman le Magnifique, représentent des sourates qui rejettent la Trinité chrétienne. Sous le dôme se trouve le « rocher de la fondation », l’endroit où Mahomet se serait élevé au ciel lors de l’Isra et Miraj.

Et selon la tradition juive, le mont Moriah, massif montagneux sur lequel sont bâtis les temples de Jérusalem, représente le mont sur lequel Abraham serait monté avec son fils Isaac pour l’offrir à Dieu en holocauste. Les juifs le considèrent comme le centre du monde.

Sur la Via Dolorosa, une église, une mosquée et une synagogue se côtoient. (c) wikipedia

La terre natale du Christ

Située dans le quartier chrétien de la vieille ville de Jérusalem, l’église du Saint-Sépulcre accueille chaque année plus d’un million de pèlerins, sur les 1,9 million qui foulent le sol d’Israël. Sanctuaire englobant le lieu de la crucifixion et le tombeau du Christ, il accueille des pèlerins depuis le IVe siècle. Aujourd’hui, la foule de fidèles et de touristes peut se trouver déconcertée par son architecture mal définie, fruit d’une longue histoire, par l’atmosphère sombre et bruyante qui y règne, empêchant de prier et de se recueillir. Certains parlent même de frustration : comment imaginer que sur ces pierres sont tombées les gouttes du sang du Christ ? Le vague statu quo n’empêche pas de fréquents conflits entre les communautés. L’espace et les temps de prières sont répartis de manière équitable, mais la cohabitation est souvent tumultueuse. L’empiétement des voisins devient légal si l’on ne s’y oppose pas. Aucune partie du territoire commun ne peut être rénovée sans l’accord de toutes les communautés. Les chapelles et lieux saints sont meublés et décorés selon les affinités, ce qui a pour avantage de former un ensemble très chatoyant et coloré. Signe évocateur de cette difficile promiscuité : une échelle en bois posée contre le rebord de la fenêtre de l’entrée de l’église. L’entrée principale est à la merci de tous.

Depuis le Moyen Âge, l’image du Saint-Sépulcre s’étend dans le monde occidental, de nombreuses répliques y sont bâties, comme l’abbatiale de Saint-Sauveur de Charroux en France, témoignage exceptionnel du patrimoine extrêmement précieux que détient la Terre sainte. Si le Saint-Sépulcre est le point de repère des touristes chrétiens en Israël, la tour de David est celle de tous les visiteurs qui s’attardent dans la Ville sainte. Surplombant la cité au sommet d’une colline dont l’altitude est supérieure à celle du mont du Temple, ancienne citadelle datée du IIe siècle, sise au nord-ouest du quartier arménien, il s’agit d’un ensemble de constructions lié autrefois à la défense de Jérusalem. Les murs actuels furent fortifiés par Soliman le Magnifique. Aujourd’hui devenue un musée, la citadelle abrite d’importants vestiges archéologiques. Les chrétiens considèrent que la tour de David a vu la rencontre entre Jésus et Hérode, mentionnée dans l’Évangile selon saint Luc, car elle protège le palais familial d’Hérode le Grand. Depuis la guerre des Six Jours en 1967, la citadelle reste sous le contrôle d’Israël, et a été transformée en musée d’histoire de Jérusalem.

Autour de la capitale, Israël conserve de nombreuses traces des personnages historiques : le tombeau de Rachel près de Bethléem, le caveau des patriarches à Hébron, la basilique de l’Annonciation à Jérusalem. Israël, c’est un État à la richesse patrimoniale sans pareille, qui réunit sur son territoire le témoignage exceptionnel de plus de trente siècles d’aventure historique et religieuse.

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[1] Cécile Lemoine, « Le Moyen-Orient veut miser sur le tourisme religieux », Terre Sainte, 1er septembre 2021.

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