Allumer des feux de forêt pour semer la terreur. Incendier des cinémas et des magasins. L’action terroriste a souvent recours au feu. Mais cela s’effectue toujours de façon diffuse et multiple. Analyse des incendies de forêt terroriste avec Daniel Dory
Propos recueillis par Louis du Breil
Qui a théorisé l’usage des incendies comme action terroriste ?
Daniel Dory. Il y a deux aspects dans cette question. Le premier concerne les entités (individus ou groupes) qui recourent au terrorisme ; et le deuxième porte sur la prise en compte de ce mode opératoire par les chercheurs qui relèvent du champ disciplinaire des études du terrorisme (terrorism studies en anglais).
On remarque qu’à part quelques textes issus des mouvances environnementalistes radicales et jihadistes, l’utilisation du feu comme arme à part entière n’est pratiquement pas traitée dans la littérature (accessible) des acteurs terroristes. Ce qui peut surprendre, car, comme on le verra, ce mode opératoire présente une série d’avantages non négligeables.
Par ailleurs, cette question est aussi relativement peu abordée dans la littérature spécialisée, où elle commence à être prise en compte dans la deuxième moitié des années 2000[1], en centrant principalement la réflexion sur les feux intentionnels de forêts, en Israël et ailleurs. Mais de nombreuses difficultés surgissent pour caractériser les faits. Car il faut pouvoir être raisonnablement certain dans chaque cas que l’incendie est volontaire, et qu’il n’est pas simplement criminel ou provoqué par un pyromane. En outre, sachant que, lors d’incidents abondamment médiatisés, il n’est pas rare d’avoir affaire à de multiples revendications, l’identification des auteurs (et de leurs intentions) peut s’avérer problématique.
A-t-on des exemples plus ou moins récents de cet usage ?
Il faut distinguer deux cas possibles d’utilisation du feu comme arme terroriste.
Le premier, et aussi le plus répandu, consiste en une attaque exclusivement fondée sur l’incendie. Ainsi, à titre anecdotique, on peut rappeler qu’Andreas Baader est entré dans les annales du terrorisme gauchiste, avant de participer à la création de la bande qui porte son nom, en incendiant en 1968 deux grands magasins à Frankfort. Les autres exemples qui viennent immédiatement à l’esprit portent sur des actes commis (surtout entre 1990 et 2010) par des organisations défendant les animaux ou relevant de l’écologisme radical.
Ici les cibles sont des laboratoires pratiquant des expériences sur des animaux, des fermes d’élevage de certaines espèces pour leur fourrure, des projets immobiliers, des distributeurs de voitures de luxe, des chantiers d’extraction forestière, etc.
Pour ce qui est des incendies de forêt, les multiples foyers allumés en Israël en novembre 2016 et en avril-mai 2025 sont mémorables et ont généré un débat persistant sur leur caractère terroriste. De même, durant quelque temps, notamment au cours des années 2010, des cerfs-volants et ballons incendiaires ont été largués depuis Gaza en direction du territoire israélien proche.
Le deuxième cas consiste à associer l’incendie à d’autres modes opératoires, comme la fusillade, des bombes, des prises d’otages, etc. Ce type d’incidents complexes est rare, mais spectaculaire. L’exemple emblématique d’une telle attaque multisites est celle de Mumbai (Inde) en novembre 2008, où un incendie provoqué dans un hôtel accompagnait une fusillade et des prises d’otages. Inutile de dire que cette combinaison assurait une publicité maximale aux assaillants, tout en gênant (par le feu, et surtout la fumée) l’action des forces antiterroristes[2].
Quels ont été les modes d’action ?
L’incendie est, dans le répertoire de l’action des acteurs terroristes, l’un des modes opératoires les plus aisés et économiques à mettre en œuvre. Pas besoin d’entraînement particulier ni de recours à des armes ou substances contrôlées. À la limite, un briquet suffit, voire un allume-feu usuel pour barbecue.
Et même pour les moyens plus sophistiqués, comme le cocktail Molotov ou la bombe incendiaire artisanale, il ne faut pas chercher bien loin pour en trouver les composants. Il en découle que l’incendie peut facilement être intégré parmi les actes réalisables par des individus ou petits groupes autonomes (principe de la « résistance sans leaders »), reliés entre’eux par internet et disposant d’un site Web pour assurer la publicité.
Dans les cas recensés quels ont été les dégâts commis par ces incendies ?
Le propre du feu est que, sous certaines conditions environnementales (sécheresse et vents, surtout) il peut rapidement devenir incontrôlable. En outre, notamment en milieu forestier, la multiplication (aisée à réaliser) des départs de feu rend le travail des intervenants (pompiers, gendarmes, antennes sanitaires…) extrêmement compliqué. C’est d’ailleurs souvent cette simultanéité des départs de feu qui fait soupçonner que l’on ait affaire à une entreprise criminelle et/ou terroriste.
Jusqu’à présent les incendies provoqués par les mouvances écoterroriste et jihadiste n’ont pas provoqué de pertes de vies humaines, mais engendré des conséquences économiques plus ou moins importantes suivant les zones affectées. Sachant toutefois qu’il s’agit d’une menace en constante évolution, ce mode opératoire mérite de faire l’objet de recherches approfondies, tant pour en comprendre mieux la nature que pour prendre les mesures préventives adéquates.
[1] Voir, par exemple : Jonathan Fighel, « The ‘Forest Jihad’ », Studies in Conflict & Terrorism, Vol. 32, N° 9, 2009, 802-810 ; Janos Besenyö, « Inferno Terror : Forest Fires as the New Form of Terrorism », Terrorism and Political Violence, Vol. 31, N° 6, 2019, 1229-1241.
[2] Voir : Joseph W. Pfeifer, « Fire as a Weapon in Terrorist Attacks » ; CTC Sentinel, Vol. 6, N° 7, 2012, 5-8.