L’Arctique est une zone convoitée. Un nouveau numéro de la revue Hérodote permet d’en comprendre les enjeux actuels.
La revue Hérodote consacre son dernier numéro n° 197, 2e trimestre 2025, à la Géopolitique de l’Arctique. Si, depuis l’invasion de l’Ukraine, la coopération entre ses cinq États riverains est « gelée », ce n’est pas le cas pour les liens entre Russie et Chine, cette dernière est devenue une puissance arctique à part entière. Pékin s’est dotée d’une flotte de brise-glaces atomiques, ce qui n’a pas été l’affaire des États-Unis ou du Canada, et elle entend développer sa route polaire arctique. Quant à la Russie, première puissance arctique, elle étend sa présence dans la région, sa politique arctique étant intimement liée à son histoire, son ambition et à son économie.
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Bordé par le Canada, les États-Unis, la Russie, la Norvège et le Danemark, via le Groenland, l’Arctique s’est ouvert aux activités humaines -transport maritime, durant la saison estivale, pêche, tourisme et exploitation de ses ressources minérales et énergétiques. S’ agissant du Groenland, Frédéric Lasserre, un des grands experts de l’ Arctique, qui a coordonné ce numéro, explique les raisons pour lesquelles Donald Trump veut s’ en emparer et dont Anna Soer, passe en revue les ressources .Cette zone boréale, délimitée par le cercle polaire (66° de latitude nord), d’une superficie de 21 millions de km2, ne recèlerait-elle pas, selon une étude de l’UGSS (United States Geological Survey) datant de 2008 , de 13 % des réserves non encore découvertes de pétrole, et 30 % de celles du gaz, chiffres, qui à, l’époque, ne prenaient pas en compte le gaz et les huiles de schiste et qui sont aujourd’hui bien contestées. Cette mise en valeur des richesses est rendue possible par la diminution de la banquise, dont la superficie durant la période estivale est passée de 7,8 millions de km² en 1979 à 5,9 millions de km² en 2005 (25 % de moins) pour atteindre un niveau inférieur, à 4 millions de km², alors son extension maximum est de 14 millions de tonnes. Au point que maints experts prédisent sa totale disparition durant l’été aux environs de 2030.
Des enjeux majeurs
Ce numéro livre une synthèse à peu près complète, enrichie de cartes sur la gamme des questions relatives aux enjeux arctiques. Juridiques, qui portent sur les prétentions des riverains quant à l’extension de leur plateau continental dans la limite de 170 milles au-delà de leurs ZEE actuelles, s’ils venaient à prouver scientifiquement que le plateau continental n’est que la prolongation géologique de leur territoire terrestre. Le champ ouvert à la coopération scientifique internationale sur l’Arctique est large , de la création ou de la réévaluation des modèles climatiques, la dérive des glaces , l’étude des tempêtes, des fonds marins où se produisent divers phénomènes, tels que masses de gaz ou torrents de boues, les espèces végétales, les organismes vivants, les effets indirects, la fonte du pergélisol (permafrost), ,la circulation des océans ; l’ effet albédo ( capacité de réflexion ou d’absorption des rayonnements lumineux) ; la circulation thermohaline des océans… Saluons au passage, la création au sein du CNRS d’un observatoire sur l’Arctique. Cette coopération scientifique est d’ailleurs la seule qui a subsisté, bien que diminuée depuis 2022. Enjeux économiques enfin, qui ont suscité bien des espoirs au cours des années 2005 – 2014 avec les campagnes de prospection de Shell menées au large de l’Alaska ou de la politique ambitieuse menée par les russes Rosneft et Gazprom pour l’exploitation et l’exploration de ressources de gaz et d’huile dans les mers de Barents, et de Kara, comme d’Okhotsk, à l’ouest de la péninsule de Kamtchatka. Espoirs douchés non seulement en raison des tensions géopolitiques actuelles, mais en raison des conditions géographiques, du climat, du manque d’infrastructures, rendant les coûts de production élevés : celui du baril se situant dans la gamme des 75 à 85 dollars alors que le cours du brut vient de tomber à 65 dollars du fait de la surproduction actuelle, appelée à durer.
Une zone de fébrilité
Aujourd’hui l’Arctique, est devenue à une zone de fébrilité, comme le montre Pauline Pic avec la montée de la militarisation, on entre dans une période d’incertitude. Le Conseil arctique créé en 1996, simple organe de concertation et de dialogue dédié à la protection environnementale, a stoppé ses travaux. Or son action avait été méritoire : il a adopté des accords contraignants dans le domaine de la recherche et du secours en mer en 2011, et en matière de lutte contre la pollution maritime et des marées noires en 2013. Le fait que ce Forum se soit élargi à une dizaine d’observateurs permanents, comme la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Pologne, l’Italie ou la Chine, et que pas moins d’une quarantaine de pays aient montré leur utilité à suivre ses activités témoigne de son importance croissante et de l’intérêt suscité par la communauté internationale aux questions arctiques. Divers auteurs analysent la politique des grands acteurs arctiques (Russie, dont les côtes représentent près de 45 % de l’ensemble des côtes arctiques, États-Unis, Canada, Norvège, seul pays qui s’est vu autorisé à étendre son plateau continental, et Groenland, devenu et appelé à devenir un enjeu important dans cette quête des ressources et de servir de point de passage des lignes de communication maritimes. Hérodote dissèque les politiques des autres pays arctiques comme des, ONG, entreprises, milieux académiques et de la recherche). Divers articles décrivent les ambitions croissantes de la Chine, qui s’est affranchie des brise-glaces d’Atomflot qui exerçait un monopole dans l’accompagnement des navires marchands le long de la Voie maritime du Nord longue de 5700 km de la mer de Kara au détroit de Behring. L’Union européenne, qui s’en tenait longtemps à des visées trop hautes du type signature d’un traité sur l’Arctique, elle s’est dotée à son tour d’une politique arctique.
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La mondialisation de l’Océan glacial arctique est en marche. Cette zone retirée des affaires du monde s’y frotte, mais ce processus sera lent et non sans contradictions, L’Arctique n’est pas prêt de perdre sa spécificité, ce qui en rendra la banalisation malaisée et incomplète.