La Chine étend sa présence militaire en Indopacifique

15 juillet 2025

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Opération d'expulsion de 50 navires suspects par la marine chinoise, 2010. SIPA/1002261545

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La Chine étend sa présence militaire en Indopacifique

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Alerte rouge en Indopacifique. Cette zone tant terrestre que maritime est le terrain de chasse de la Chine et des États-Unis. La force militaire s’y déploie et les rivalités de puissance sont de plus en plus exacerbées

La militarisation croissante de cette région reflète les rivalités stratégiques entre grandes puissances, les préoccupations sécuritaires des États riverains, et la volonté de plusieurs acteurs de peser sur l’équilibre régional.

États-Unis : le lieu de la puissance

Les États-Unis ont depuis longtemps une présence militaire massive dans le Pacifique, héritée de la Seconde Guerre mondiale. Leur dispositif comprend des bases majeures à Hawaï, Guam, le Japon (Okinawa notamment) et la Corée du Sud ainsi que des accords de défense avec l’Australie, les Philippines, et plus récemment, un resserrement stratégique avec l’Inde via le QUAD (Quadrilateral Security Dialogue).

Chine : l’ascension du rival

La Chine, engagée dans une modernisation rapide de son armée, notamment de sa marine (PLAN), affiche clairement sa volonté de devenir une puissance maritime de premier plan. À cet égard, elle développe des ports militaires et civils à double usage dans l’océan Indien (Stratégie du « Collier de perles ») et elle assure sa présence militaire chez ses alliés, comme le Cambodge, le Laos, la Birmanie.

(c) Conflits

Pékin justifie cette expansion par la protection de ses intérêts économiques, mais ses voisins y voient une menace à leur souveraineté et à la liberté de navigation.

La Chine n’a de cesse d’accroître sa puissance militaire, notamment sa marine, qui est désormais en mesure de concurrencer, au moins sur le papier, celle des États-Unis.

France : un espace crucial

Mais l’Indopacifique ne se limite pas à ses espaces maritimes : ce sont aussi des espaces terrestres, comme le rappelle le général Pierre-Joseph Givre : « L’Indopacifique, ce sont à la fois des espaces fluides et des espaces physiques, des territoires et des populations. Or la référence toponymique à l’océan pour désigner toute une région tend à grossir la dimension navale des enjeux stratégiques au détriment des dimensions terrestres et aériennes qui sont également primordiales[1]. »

Une zone indopacifique qui est cruciale pour la sauvegarde des intérêts français : « Si le contrôle des espaces marins est le premier rideau de la défense de nos territoires d’outre-mer et de la préservation des routes maritimes essentielles à notre économie, la défense des territoires relève in fine de capacités de défense aéroterrestres empêchant une invasion terrestre[2]. »

Si la mer est prépondérante, la souveraineté s’exerce d’abord en zone terrestre : « La souveraineté s’affirme d’abord au sol et, pour éviter toute contestation, elle nécessite la présence de forces armées territoriales, incarnées par des unités de l’armée de terre et de la gendarmerie[3]. »

Or, la France est bien une riveraine de l’Indopacifique, comme le rappelle l’amiral Christophe Pipolo : « À ce jour, la France est le seul pays européen à disposer de départements et de territoires d’outre-mer en océan Indien et dans l’océan Pacifique. L’Indopacifique regroupe 1,6 million de citoyens des départements, collectivités et territoires d’outre-mer, auxquels s’ajoutent plus de 200 000 Français expatriés dans les différents pays de la région, ainsi que 9 des 11 millions de km² de sa ZEE. Cette région est cruciale pour son économie. Elle représente 60 % de la population mondiale et un tiers du commerce international. Avant la crise sanitaire, plus d’un tiers des exportations françaises, hors UE, sont à destination de la région tandis que l’Indopacifique représentait 40 % des importations hors UE[4]. »

Pour la Chine, la stratégie est claire : il s’agit de soumettre des pays faibles, grâce à ses investissements et à sa puissance économique, afin de les intégrer dans son cercle d’influence. Pékin se sert des conflits frontaliers pour se présenter sous le visage de la conciliation et jouer de la méfiance à l’égard des États-Unis afin de s’implanter dans la zone et d’y imposer sa puissance.

La Chine à la recherche de points d’appui

Pour développer son expansion, la Chine s’appuie sur des bases militaires qui lui permettent d’assurer son déploiement tout au long de l’océan Indien. Ce ne sont pas des bases militaires propres, comme peut le faire les États-Unis, mais des accords conclus avec des pays et, souvent, des ports qui servent à la fois pour le civil et pour le militaire. Son approche repose donc sur une combinaison de bases officielles, d’installations à double usage (civiles/militaires), et de partenariats portuaires dans le cadre de sa stratégie du Collier de perles.

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La première base militaire étrangère officielle de la Chine est inaugurée en 2017 à Djibouti. Située près du détroit de Bab el-Mandeb, point stratégique entre l’océan Indien et la mer Rouge, à proximité des bases occidentales, elle vise à déployer la puissance chinoise dans cette région cruciale. Elle développe ainsi des capacités logistiques pour les opérations anti-piraterie et des missions navales à long rayon d’action. Ses infrastructures sont capables d’accueillir des navires de guerre, y compris des destroyers et des sous-marins.

À la suite de quoi, la Chine développe toute une série d’îles artificielles, qui lui permettent d’étendre sa présence militaire et de revendiquer des possessions maritimes. C’est le cas notamment dans les récifs Spratleys et Paracels où Pékin a construit de nombreuses infrastructures militaires sur plusieurs récifs (Mischief Reef, Fiery Cross Reef, Subi Reef, etc.), transformés en bases avancées avec des pistes d’atterrissage, des radars et des systèmes de défense aérienne, des hangars pour avions de chasse et des ports pour navires militaires.

Ces bases ne sont pas reconnues internationalement, mais sont au cœur des tensions régionales, notamment avec les Philippines, le Vietnam et les États-Unis.

En plus de cela, la Chine crée des bases dans les ports des pays alliés : Cambodge, Pakistan, Birmanie, Sri Lanka.

C’est le cas du port de Gwadar (Pakistan), officiellement un port commercial construit et géré par la Chine (via la China Overseas Port Holding Company), ainsi que le port de Hambantota (Sri Lanka), construit par la Chine, puis cédé en bail de 99 ans à une entreprise publique chinoise en 2017. À quoi s’ajoute le port de Ream (Cambodge), au cœur d’une coopération controversée avec la Chine. Pékin y bâtit de nombreuses infrastructures qui peuvent être utilisées pour des usages militaires. À ces ports bien identifiés s’en ajoutent d’autres : Karachi (Pakistan), les îles Coco (Birmanie), les îles Salomon et Vanuatu (Pacifique sud). Pékin lorgne également sur la Nouvelle-Calédonie. Ses collusions avec les mouvements indépendantistes kanaks sont désormais bien étudiées. La Chine travaille à une indépendance de la Nouvelle-Calédonie pour en faire sa base militaire et civile au cœur de l’océan Pacifique.

[1] Jean-Baptiste Noé, entretien avec le général Pierre-Joseph Givre, Conflits, N°44, mars 2023.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Amiral Christophe Pipolo, « Enjeux pour la France en Indopacifique », Revue de défense nationale, 2021, p. 90-95.

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À propos de l’auteur
Louis du Breil

Louis du Breil

Louis du Breil est journaliste et grand reporter. Il travaille sur les enjeux géoéconomiques et de sécurité internationale.

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