La campagne américaine en Afghanistan, déclenchée à la suite des attentats perpétrés par al-Qaïda sur le sol américain le 11 septembre 2001, symbolise les débuts du néoconservatisme sur la scène internationale autant que le déclin de cette doctrine.
Destinée à entraîner le monde libre dans le sillage de la « guerre mondiale contre le terrorisme », la campagne s’est enlisée jusqu’à devenir la guerre la plus longue de l’histoire des États-Unis et perdre le soutien de la population américaine. Elle a constitué un terreau particulièrement fertile à l’émergence de la doctrine de l’America First prônée Donald Trump.
Des débuts encourageants minés par l’objectif du « regime change »
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, Georges W. Bush déclare la guerre au terrorisme avant de déclencher l’opération « Enduring Freedom » (littéralement, liberté immuable) le 7 octobre de la même année. Il ne faut que quelques semaines aux forces américaines pour faire chuter le régime taliban, ciblé en raison de ses liens avec le groupe terroriste al-Qaïda et son chef, Oussama Ben Laden. Alors que ce résultat obtenu très rapidement pouvait laisser présager une intervention couronnée de succès, la suite tendra plutôt à confirmer l’adage selon lequel l’Afghanistan est un pays facile à envahir, difficile à gouverner et dangereux à quitter[1].
Le régime taliban renversé, les Américains s’attelaient ensuite à la mise en place d’un gouvernement de transition chargé d’accompagner le pays vers la démocratie et ainsi de finaliser le processus de « regime change ». Le 13 juin 2002, l’élection de Hamid Karzaï à la tête de l’autorité de transition par la Loya Jirga, la Grande assemblée, marque les débuts de la phase de transition en même temps que la première erreur stratégique des États-Unis. Karzaï, qui n’est autre que l’homme lige des chefs de guerre[2] qui avaient été exclus du pays par les talibans, sera élu président de la République afghane le 9 octobre 2004, ce qui ravivera les griefs des talibans à leur encontre. L’adoption de la nouvelle Constitution consacrant l’égalité de droits entre hommes et femmes en janvier 2004 constituait un gage donné aux États-Unis en même temps que la manifestation concrète de l’hégémonie culturelle qu’implique le néoconservatisme.
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La situation connaîtra des complications en raison de deux facteurs. Les évènements en Irak vont distraire les forces américaines pendant que les talibans abandonnent les affrontements classiques pour avoir recours à une stratégie basée sur les attentats. Ce changement de mode opératoire va surprendre l’armée américaine et durement frapper la population civile. La relation entre cette dernière et les soldats américains s’en est trouvée irrémédiablement affectée au gré des bavures qui leur furent imputées. La situation s’enlise et les combats s’intensifient.
Une campagne éclair qui s’éternise
Alors que Barack Obama faisait du retrait des troupes américaines un argument central de sa campagne, son accession à la Maison-Blanche coïncidera avec un renforcement du contingent d’hommes sur place. L’année 2009 verra en effet le président démocrate adopter une nouvelle stratégie : celle du « surge » (montée en puissance) et annoncer en conséquence le déploiement de 17 000 soldats supplémentaires en février, puis de 30 000 en décembre. Obama anticipe toutefois un retrait « bien avant » la fin de son premier mandat[3].
Lorsque Ben Laden est tué au Pakistan par les forces spéciales américaines, le 2 mai 2011, les prévisions du président américain semblent en passe de se réaliser. L’annonce d’un calendrier de retrait progressif des troupes américaines et les discussions entamées avec les talibans viennent ensuite confirmer cette hypothèse. Le dialogue entre les États-Unis et les talibans va cependant se tendre sur fond de déficit de confiance et d’intensification des affrontements pendant que l’élection présidentielle afghane de 2014 va compliquer la mission des autorités locales. Après le départ du président Karzaï, le pays sera désormais gouverné par un exécutif à deux têtes, Ashraf Ghani devenant président pendant que Abdullah Abdullah occupait la fonction de chef de l’exécutif dans ce qui s’avérera être un exercice de cohabitation difficile.
Face à la faiblesse du gouvernement afghan et à la menace d’un retour des talibans, les États-Unis décident de repousser leur départ. Alors qu’il avait préalablement qualifié la présence américaine en Afghanistan d’erreur, Donald Trump décidera toutefois de déployer davantage de troupes sur place en août 2017 afin de lutter contre la menace terroriste incarnée par al-Qaïda et Daech, mais aussi dans le but de reprendre le contrôle des négociations avec les talibans, l’objectif étant de les contraindre à dialoguer avec le gouvernement afghan.
C’est dans ce contexte qu’interviendra la signature d’un accord entre les États-Unis et les talibans le 29 février 2020. Ce dernier prévoyait un retrait des troupes américaines avant le 1er mai 2021 conditionné à la tenue d’un dialogue de paix entre les talibans et le gouvernement afghan. Alors que les discussions s’enlisent et qu’un accord de paix s’éloigne, Joe Biden, désormais à la Maison-Blanche, annonce un retrait sans condition avant le 11 septembre 2021 dans une tentative de promotion d’un accord de paix entre les talibans et le gouvernement afghan[4].
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Pendant que les troupes américaines quittent la base de Bagram le 2 juillet 2021, site décisif dans la conduite des campagnes de frappes aériennes sur les talibans, ces derniers reprennent progressivement le contrôle du pays jusqu’à en contrôler 85%[5]. Mi-août, ce sera au tour de Kaboul de tomber aux mains des talibans. Le départ des derniers soldats américains le 30 août 2021 dans des conditions chaotiques sera perçu comme une victoire des talibans, mais aussi comme une humiliation pour les États-Unis, dont l’opération « Enduring Freedom » avait notamment pour objectif le renversement du régime taliban.
L’échec de la campagne afghane, la plus longue de l’histoire des États-Unis, sonnait ainsi le glas du « regime change » et amorçait en conséquence le déclin du néoconservatisme. Ce dernier ne représente aujourd’hui plus qu’une très faible minorité au sein d’un parti républicain dominé par le mouvement Make America Great Again qui ne s’écarte qu’en dernier recours de sa posture isolationniste.
[1] https://www.lefigaro.fr/international/vingt-ans-apres-les-americains-abandonnent-l-afghanistan-20210704
[2] https://www.lefigaro.fr/international/vingt-ans-apres-les-americains-abandonnent-l-afghanistan-20210704
[3] https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/01/guerre-en-afghanistan-retour-sur-vingt-ans-de-presence-americaine_6078741_3210.html
[4] https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20210415-afghanistan-un-départ-sans-gloire-pour-les-états-unis-et-des-taliban-plus-forts-que-jamais
[5] https://www.bfmtv.com/international/moyen-orient/afghanistan/de-2001-a-2021-vingt-annees-de-presence-americaine-en-afghanistan_AD-202108310138.html