Convaincre par son discours, parler sans note, sans support, capter l’attention du public. Si vous en rêver, la rhétorique est faite pour vous. Entretien avec Luc Desroche, fondateur de Retoria
Luc Desroche est co-fondateur de Retoria. Un organisme qui apprend l’art oratoire aux cadres et dirgeants.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé
Depuis quand et où enseignez-vous la rhétorique ?
Luc Desroche – Mon associé et moi travaillons ensemble depuis 2018. En sept années, nous avons formé plus de 1 000 personnes aux profils très différents : cadres dirigeants, chefs d’entreprises, personnel politique, étudiants, etc.
Nous avons longtemps aidé des entreprises ou des associations à préparer leurs discours de lever de fonds. Nous avons également créé une association pour aider les détenus et personnes de la rue à reprendre confiance en elles et réussir leur réinsertion par la rhétorique.
Pour ma part, je suis également professeur de rhétorique depuis 2019 dans une licence d’Humanités et de Sciences-politiques.
Cette année, mon associé et moi avons créé Retoria pour aider les hauts dirigeants à améliorer leur autorité par la rhétorique.
Comment définir la rhétorique ? Est-ce seulement l’art de bien parler en public ?
Luc Desroche – La rhétorique est l’art de persuader par le discours. Je trouve que la définition « l’art de bien parler en public » est incomplète. Elle ne semble prendre en compte que l’action de celui qui parle alors qu’un discours se fait toujours à deux, le locuteur et le récepteur. La rhétorique est avant tout l’art de savoir comment faire pour que tel public, dans telles circonstances, reçoive le mieux possible tel message. C’est une vraie prise en considération de l’autre, de ses attentes, de son niveau culturel et intellectuel, de sa sensibilité.
Vous accompagnez des dirigeants et des chefs d’entreprise. Quelles sont les principales erreurs qui reviennent régulièrement et qui nuisent à leur communication ?
D’une manière générale, il y a souvent un manque de densité de la pensée et de profondeur du message. Comme la prise de parole est souvent une échéance redoutée, les dirigeants se réfugient dans des banalités pour s’assurer qu’ils ne froisseront personne… mais qui ne motiveront personne non plus !
Ensuite, les erreurs dépendent beaucoup du profil du dirigeant. Certains pêchent par excès de confiance et ne se préparent pas (ou trop peu) avant l’échéance. Le résultat est une parole désorganisée, un message pauvre et souvent l’oubli de points essentiels dont les équipes ont besoin. D’autres tombent dans l’excès inverse. Craignant ce genre d’échéances, ils préparent le plus possible, en écrivant tout ce qu’ils vont dire sur un papier. Il en ressort souvent une prise de parole corsetée, trop apprise, qui ne laisse aucune place à la spontanéité et au lien entre le chef et ses équipes.
Peut-on travailler la rhétorique ou bien est-ce quelque chose d’inné ?
Certains ont, de manière innée ou acquise, plus de dispositions que d’autres. Votre caractère, votre tempérament, l’environnement dans lequel vous grandissez, la famille, l’école, les études, tout cela peut vous rendre la rhétorique plus ou moins difficile à aborder.
Cependant, toute personne (j’insiste, toute personne…) est capable de progresser dans ce domaine. C’est un art, et comme tous les arts, il s’agit avant tout d’une technique. Le talent sera toujours un avantage, mais j’ai vu beaucoup de mes étudiants peu talentueux parvenir, par le travail, à un bien meilleur résultat que ceux qui ne comptaient que sur leurs dispositions naturelles.
Qu’est-ce qu’un dirigeant ou un cadre d’entreprise doit travailler en priorité pour améliorer sa prise de parole en public ?
Victor Hugo disait « la forme, c’est le fond qui remonte à la surface ». Il faut donc toujours commencer par le fond. La forme se met facilement en place si le fond est à la fois dense, pertinent, concis et clair.
Ensuite, il doit travailler sa capacité à s’exprimer sans papier. Nous recommandons toujours d’exclure le papier, peu importe la durée de l’intervention.
Lorsque le fond est prêt, il s’agit de s’entraîner à voix haute, sans papier, autant de fois que nécessaire jusqu’à une parfaite maîtrise du fond. Il saura alors plus facilement gérer sa posture, ses regards, ses gestes, son rythme, ses intonations, etc.
Le power point est-il un allié de la prise de parole ou un faux ami qu’il faut abandonner ?
C’est souvent un outil dangereux. Je recommande de l’envisager seulement si l’on est capable de mener toute sa présentation sans y avoir recours. C’est une bonne façon de s’assurer qu’on ne s’y accrochera pas comme un naufragé à sa planche de bois. Par ailleurs, il est bon de limiter son contenu au strict nécessaire. N’excédez jamais 10 mots par diapositive… car rien n’est pire que l’orateur qui se contente de les lire !
Dans le cadre d’une prise de parole professionnelle, peut-on oser l’originalité afin de se démarquer et de retenir l’attention ou faut-il rester dans un cadre précis ?
Maîtriser parfaitement sa prise de parole, sans papier, avec un message clair, concis, crédible, un langage verbal et non verbal bien travaillés, c’est déjà faire preuve d’une immense originalité dans le monde professionnel.
Rajouter de l’originalité peut fonctionner en fonction du contexte, mais il est à noter que moins le niveau hiérarchique de l’orateur est élevé, plus le risque qu’il prend peut être important !
Comment aidez-vous les personnes que vous accompagnez à améliorer leurs talents oratoires ?
Nous commençons par leur transmettre notre théorie sur la prise de parole. Cela garantit que nous parlions le même langage pendant toute la durée du travail. Tout le reste est de l’entraînement commenté.
Nous avons expérimenté plus d’un fois la nécessité de bien connaître la personne. En général, cela se fait très naturellement : la prise de parole est une discipline qui fait instantanément rejaillir chez les gens leurs peurs, leurs complexes, les moments difficiles de leur histoire. Tout cela, nous le décelons lorsqu’ils s’entraînent, et il est fréquent qu’à l’occasion d’un simple conseil que nous leur donnons, ils en viennent à nous livrer des choses très personnelles. Cela nous permet de les aider davantage et peut créer de belles et durables relations !
Quelle est votre prochaine échéance ?
Vendredi 19 septembre, nous offrons une formation à 10 cadres dirigeants de grands groupes (DRH régionaux ou nationaux, Directeurs de communication, responsables des talents) dans nos locaux à Montparnasse. Nous avons pour le moment 8 participants très curieux de découvrir la pertinence de la rhétorique pour leurs dirigeants.