<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La puissance aérienne indienne après Sindoor

23 septembre 2025

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Photo : (c) AFP

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La puissance aérienne indienne après Sindoor

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Depuis la fin des années 1970, l’Inde a planifié sa puissance aérienne autour d’un scénario de conflit simultané contre la Chine et le Pakistan, visant un objectif de 42 escadrons de chasse. Ce seuil, fixé par le Cabinet Committee on Security, devait garantir la capacité de l’IAF à gérer deux fronts, mais il apparaît aujourd’hui insuffisant face à l’évolution rapide des menaces régionales.

Depuis la fin des années 1970, la planification militaire indienne s’articule autour de l’hypothèse d’une guerre simultanée contre le Pakistan et la Chine. Afin de se préparer à ce scénario, le Cabinet Committee on Security (CCS), l’instance suprême de décision en matière stratégique, avait fixé dans les années 1980 l’objectif de doter l’armée de l’air indienne (IAF) de 42 escadrons de chasse, chacun regroupant entre 16 et 18 avions. Ce dispositif représentait la masse critique jugée indispensable pour pouvoir contenir deux adversaires puissants sur deux fronts éloignés.

Or, cette planification apparaît aujourd’hui dépassée. Les affrontements du mois de mai 2025, à la suite des frappes aériennes indiennes menées contre le Pakistan lors de l’opération Sindoor, tout en réaffirmant l’importance de la supériorité aérienne dans la conduite des opérations, ont souligné les limites structurelles d’une armée de l’air dont le format se réduit inexorablement depuis près de trente ans. Une évaluation interne conduite à la suite de ces événements a conclu que le seuil de 42 escadrons, considéré naguère comme ambitieux, pourrait ne pas suffire dans l’avenir. Les experts préconisent désormais d’augmenter de 30 à 35 % la force prescrite, ce qui reviendrait à viser environ 55 escadrons, un chiffre sans précédent pour l’aviation indienne. Une telle révision impliquerait une décision politique forte du CCS ainsi qu’un effort budgétaire considérable.

Développer l’armée de l’Air

En réalité, l’IAF n’a jamais atteint son objectif doctrinal. Le maximum fut atteint en 1996 avec 41 escadrons, mais les effectifs ont ensuite décliné régulièrement. La mise à la retraite progressive des MiG-21, un avion emblématique de la Guerre froide, entré en service en Inde dans les années 1960, a précipité cette chute. Le 26 septembre 2025, l’IAF mettra hors service ses deux derniers escadrons de MiG-21, ramenant son format à seulement 29 escadrons, son niveau le plus bas depuis six décennies.

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Cette érosion est aggravée par le retard chronique des programmes de modernisation. Le chasseur indigène Tejas Mark-1A, censé succéder aux MiG-21, devait entrer en service dès les années 1990. Mais le programme a accumulé les reports et les dérives budgétaires. Hindustan Aeronautics Limited (HAL), le constructeur public, n’a toujours livré aucun exemplaire, alors que les premiers appareils devaient être fournis à partir de mars 2024 à raison d’au moins seize par an. Ce retard souligne une faiblesse structurelle de l’industrie aéronautique indienne.

Pendant que l’IAF voyait son format se réduire, ses deux adversaires ont accru et modernisé leurs capacités. Selon un rapport du Département de la Défense américain présenté en 2024 au Congrès, la Chine dispose désormais de près de 1 900 avions de combat, répartis entre la Force aérienne de l’Armée populaire de libération (PLAAF) et l’aviation navale (PLAN). Ensemble, elles constituent la plus grande force aérienne d’Asie et la troisième du monde. Pékin investit massivement dans des chasseurs de quatrième et cinquième générations, tout en développant des capacités de projection aéronavale inédites dans la région.

Le Pakistan, de son côté, a considérablement renforcé sa flotte grâce à sa coopération avec la Chine. Le chasseur JF-17 Thunder, produit conjointement, équipe aujourd’hui une grande partie de son aviation. Islamabad a également modernisé une partie de ses F-16 américains et intégré de nouvelles armes de précision. Comme on a pu le constater pendant l’opération Sindoor, le Pakistan dispose également de bonnes capacités de guerre électronique ainsi que de commande et de contrôle permettant d’engager des cibles aériennes à très longue distance.

Créer des escadrons

Le dispositif des 42 escadrons avait été fixé dans un contexte stratégique très différent, marqué par une Chine encore éloignée des standards technologiques occidentaux et un Pakistan dépendant des aides extérieures. Aujourd’hui, Pékin a franchi le cap de la modernisation technologique et Islamabad a consolidé ses partenariats stratégiques. L’IAF, elle, n’a pas suivi le rythme. Et les liens étroits avec l’Arabie saoudite, révélés au grand jour par la signature d’un accord de défense entre Riyad et Islamabad, rajoutent à l’inquiétude de Delhi. Les Saoudiens ont des moyens financiers considérables, mais aussi accès à des technologies et doctrines américaines, notamment dans le domaine aérien.

La révision à la hausse du dispositif semble inévitable, mais pour atteindre un objectif de 55 escadrons, l’Inde devra relever plusieurs défis majeurs. Le premier est industriel. Il s’agit d’accélérer la production du Tejas et d’assurer la livraison de centaines d’appareils en une ou deux décennies. Le deuxième est financier. Un tel effort suppose des investissements colossaux et le budget de défense est déjà sous pression. Enfin, il existe un défi doctrinal : l’IAF doit réfléchir à la répartition de ses moyens entre air et mer ainsi qu’entre chasseurs classiques et drones de combat. Elle doit aussi investir dans la défense sol-air, les systèmes de commande et de contrôle et les capacités de frappe à longue distance.

Pour ne rien arranger, la politique indienne erratique de l’administration Trump exclut une plus grande coopération avec les États-Unis. Le prix politique d’une telle dépendance est jugé trop élevé, même si l’Inde sait ne pas avoir de véritable alliance de rechange, comme à l’époque des non-alignés et de la guerre froide. La Chine n’est pas une option, car le coût politique d’un revirement serait énorme, et la Russie n’est pas au niveau. La Turquie étant plutôt du côté pakistanais, l’Europe en général et la France en particulier apparaissent comme des partenaires probables de cette montée en puissance de l’IAF et de la marine indienne.

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À propos de l’auteur
Gil Mihaely

Gil Mihaely

Journaliste. Docteur en histoire

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