<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Un conflit méconnu : la concurrence mondiale pour les ressources humaines

4 novembre 2025

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Immigrants européens fraîchement arrivés à Ellis Island, États-Unis d'Amérique. Photo prise entre 1907 et 1917. (c) Sipa 00279418_000001

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Un conflit méconnu : la concurrence mondiale pour les ressources humaines

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Tout au long de l’histoire de l’humanité, nombre de dirigeants politiques, afin de contribuer à la puissance de leur pays, ont fait appel à des immigrants pour travailler. Mais au XXIe siècle, la nature conflictuelle de l’attraction migratoire économique va se démultiplier sous l’effet de l’extension de « l’hiver démographique ».

Article paru dans le N60. Vatican. La puissance du temps long

La population est, avec le territoire, la première ressource géopolitique. Et ses effectifs dans un pays sont par définition limités. C’est pourquoi, au cours des siècles, des pouvoirs ont souhaité faire venir des actifs étrangers pour mieux satisfaire les besoins de leur pays et de leurs ambitions. Pour ne remonter qu’au XVIIe siècle, Colbert encourage l’installation en France d’ouvriers qualifiés, artisans, ingénieurs et commerçants étrangers. Dans ce même XVIIe siècle, surtout après la révocation de l’édit de Nantes en 1685, nombre de pays européens prennent des mesures pour attirer les huguenots français afin de bénéficier de leurs compétences.

Au XIXe siècle, les États-Unis, le Brésil ou l’Argentine s’organisent chacun pour attirer des Européens, même parfois en donnant gratuitement des terres aux nouveaux arrivants. Dans la première moitié du XXe siècle, les accords entre pays ont pu mettre en concurrence la France et la Belgique, qui chacune a signé avec la Pologne dans le but d’attirer des actifs de ce pays. Après la Seconde Guerre mondiale, ces deux pays se sont à nouveau retrouvés concurrents dans leurs accords pour faire venir des Italiens.

Immigrants européens fraîchement arrivés à Ellis Island, États-Unis d’Amérique. Photo prise entre 1907 et 1917.

Dans les dernières décennies du XXe siècle, et depuis le début du XXIe siècle, le phénomène a été majeur dans les pays du Golfe. Par exemple, les Émirats arabes unis n’auraient pu réussir leur développement sans faire venir de la population active, à tous niveaux de qualification, comme le symbolisent les photographies à Dubaï de ceux qui ont œuvré pour concevoir et construire la tour Khalifa. Pour être attractif vis-à-vis des immigrants chrétiens venus des Philippines, de l’Inde ou d’Éthiopie, les Émirats ont dû accepter la construction d’églises, certes sans croix extérieure ni clocher apparents. Le Qatar, bien que pays wahhabite, a dû se décider à son tour de construire notamment l’église catholique Notre-Dame-du-Rosaire, terminée en 2008, pour ses immigrants chrétiens dont il a le plus grand besoin.

Parallèlement se constate le souci qualitatif d’États qui cherchent à trouver des personnes susceptibles « d’investir ou d’entreprendre », selon le texte de la carte verte aux États-Unis, sans oublier les politiques d’immigration choisie de l’Australie et du Canada qui trient à partir de centaines de milliers de dossiers. L’Union européenne a tenté d’imiter la carte verte états-unienne avec la carte bleue européenne (blue card) créée par une directive de 2009, mais le résultat est mitigé. En réalité, chaque pays européen développe ses propres systèmes d’attraction de talents étrangers et ils se font concurrence.

Cette concurrence pour attirer les meilleures ressources humaines est aussi de plus en plus quantitative. En effet, de nombreux pays, du fait de leur hiver démographique, c’est-à-dire d’une fécondité durablement inférieure au seuil de remplacement des générations, finissent par voir leur population active décroître et, en outre, vieillir, d’où d’importants besoins, par exemple dans le domaine de la santé. D’ores et déjà, les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada ou l’Australie se sont trouvés en concurrence pour attirer des infirmières philippines. Mais, dans ces métiers ou d’autres, tout laisse penser que ce phénomène s’élargit à d’autres compétiteurs à la population déclinante, comme la Corée du Sud ou le Japon, dont la tradition de pays fermé à l’immigration a commencé à être remise en cause.

D’autres nouveaux conflits peuvent venir de pays d’origine des immigrants qui voient partir de la main-d’œuvre et des cerveaux qu’ils ont formés. Déjà, des gouvernements de Roumanie ou de Grèce se sont manifestés auprès de la Commission européenne, considérant que le pays accueillant leurs actifs — l’Allemagne notamment — n’avait nullement contribué au financement de leur éducation et de leur formation. Ces effets asymétriques de la libre circulation des travailleurs ne sont-ils pas le levain d’un conflit accentué au sein de l’Union européenne ?

À propos de l’auteur
Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

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