Roman géopolitique, atlas des outre-mer et atlas historique, histoire de l’Irak et histoire des services secrets. Aperçu des livres de la semaine.
Taline Ter Minassian, Hôtel Baron, Paris, Bibliomonde, 2024, 18 euros
Avec Hôtel Baron, Taline Ter Minassian signe un roman singulier, à la croisée de la fiction littéraire, de l’enquête géopolitique et du questionnement intellectuel. Historienne reconnue du Caucase et du Moyen-Orient, l’auteur choisit ici le détour du roman pour explorer ce que l’analyse académique peine parfois à saisir : les zones grises du pouvoir, les ambiguïtés morales de l’engagement et les compromissions silencieuses qui traversent le monde des experts, des diplomates et des services de renseignement.
Le décor — un hôtel mythique du Moyen-Orient, carrefour d’espions, de chercheurs, de journalistes et d’hommes de pouvoir — fonctionne comme un espace symbolique. L’Hôtel Baron d’Alep devient une scène où se croisent trajectoires individuelles et logiques impériales, mémoires blessées et calculs stratégiques. Les personnages, souvent inspirés de figures bien réelles sans jamais tomber dans la caricature, incarnent cette génération d’intellectuels globaux ballotés entre convictions éthiques, fascination pour le pouvoir et tentation du cynisme.
La force du roman réside dans sa capacité à restituer une atmosphère : celle d’un monde post-guerre froide où les frontières entre savoir, influence et manipulation se sont brouillées. Ter Minassian décrit avec finesse les mécanismes de l’expertise géopolitique, la circulation de l’information, mais aussi les angles morts de la recherche, lorsque l’objectivité revendiquée se heurte aux intérêts des États et des institutions. La fiction permet ici une mise à distance critique, sans lourdeur démonstrative.
Sans être un roman à thèse, Hôtel Baron pose une question centrale : que signifie encore « comprendre le monde » lorsque celui-ci est structuré par la guerre, le secret et la dissimulation ? En ce sens, le livre s’inscrit dans une tradition rare de romans géopolitiques francophones, capables d’allier rigueur intellectuelle, sens du récit et profondeur morale.
À la fois élégant et inquiet, Hôtel Baron confirme Taline Ter Minassian comme une voix originale, capable de faire dialoguer littérature et géopolitique sans sacrifier ni l’une ni l’autre. Un roman nécessaire, à lire comme une invitation à repenser la responsabilité des intellectuels face aux turbulences du monde contemporain.
Tigrane Yégavian
Frédéric Constant & Jean-Christophe Gay (dir.), Atlas des Outre-mer, Paris, Autrement.
Avec L’Atlas des Outre-mer, dirigé par Frédéric Constant et Jean-Christophe Gay, les éditions Autrement proposent un ouvrage aussi pédagogique qu’indispensable pour comprendre les réalités complexes des territoires ultramarins français. Loin des représentations folklorisées ou strictement administratives, cet atlas offre une lecture géopolitique, historique et socio-spatiale fine d’espaces souvent relégués aux marges du récit national. L’un des grands mérites de l’ouvrage est de restituer la diversité extrême des outre-mer — Caraïbes, océan Indien, Pacifique, Atlantique nord, Antarctique — tout en mettant en évidence les logiques communes qui les traversent : héritage colonial, dépendance économique, vulnérabilités environnementales, tensions identitaires et enjeux de souveraineté. Les cartes, d’une grande clarté, ne se contentent pas d’illustrer ; elles structurent l’argumentation et donnent à voir les rapports de force, les inégalités territoriales et les dynamiques de circulation à différentes échelles. L’atlas se distingue également par sa capacité à articuler le local et le global. Les outre-mer apparaissent comme des laboratoires contemporains où se concentrent des problématiques majeures : changement climatique, militarisation des espaces maritimes, contrôle des routes océaniques, mondialisation touristique, mais aussi revendications politiques et débats sur l’autonomie ou l’indépendance. À ce titre, l’ouvrage montre combien ces territoires sont au cœur — et non à la périphérie — des enjeux stratégiques français et internationaux.
TY
Shathil Nawaf Taqa, Irak. La mise en pièce d’une nation, Arcades, 2025, 24 €
Engagé dans la défense du patrimoine irakien et de son histoire, Shathil Nawaf Taqa croit passionnément à l’Irak et à la capacité du pays à être une véritable nation au Moyen-Orient. Dans les années 1960-1970, l’Irak portait de grands projets et de grandes espérances. Puis la guerre contre l’Iran dans les années 1980, celle de 1991 et enfin l’invasion de 2003 ont brisé cet élan. Les communautés se sont repliées sur elles-mêmes, les tensions ont été exacerbées. La nation irakienne a été mise en pièce et dépecée. L’auteur est convaincu que c’est en retrouvant son histoire que l’Irak pourra se reconstruire. Du Tigre et de l’Euphrate, de Babylone, du travail des siècles qui fait que l’Irak n’est pas un pays de désert et de sable. L’ouvrage est une ode d’espérance, une façon de démontrer que l’avenir de l’Irak ne réside pas que dans la réitération du passé.
Atlas historique Duby, Larousse, réédition 2024, 19,95 €
Créé en 1987 sous la direction de Georges Duby, le Grand Atlas historique publié par Larousse a formé des générations de collégiens et de lycéens. Pour la première fois, l’histoire était racontée par les cartes, avec des textes simples et clairs pour les mettre dans le contexte. Des cartes qui partent de la préhistoire jusqu’à nos jours, présentant les guerres, mais aussi les événements culturels et sociaux, dans la grande tradition de l’école des Annales. L’atlas est constamment réédité depuis, et mis à jour. À tel point que Larousse lui a donné le nom de son fondateur et qu’il est désormais devenu l’Atlas historique Duby.
On y retrouve la même rigueur, la même présentation, mais avec des cartes qui vont jusqu’à la période contemporaine.
Des cartes simples et lisibles, qui présentent les espaces, les confrontations, les évolutions. Les précédentes éditions étaient réalisées dans un format plus grand, ce qui permettait de mieux voir les cartes. Cela reste un atlas indispensable, un ouvrage de rêverie et de contemplation pour s’immerger dans l’histoire et ses évolutions.
Pierre Gilbertas, Homme de l’ombre malgré de lui, Paris, Les 3 colonnes, 2025, 159 pages.
Pierre Gilbertas, dirigeant d’une société de conseil travaillant beaucoup en Afrique, livre une autobiographie romancée (sous le pseudonyme de « Max ») qui nous apprend beaucoup sur le fonctionnement de la « Françafrique » dans les années 1970.
Désireux de compléter son diplôme de l’ESSEC par une formation universitaire, Max opte pour la faculté de Nanterre, alors aux mains de l’extrême-gauche (rappelons que c’est d’elle que sont partis les événements de « Mai 68 »). Il est alors approché, pour y regonfler l’UNI, syndicat étudiant de droite… par un chargé de mission au ministère de la Coopération (sic !). Son efficacité lui vaut de se voir, dans la foulée, confier la mission d’organiser une union des syndicats étudiants de droite (GUD compris) dans plusieurs facultés parisiennes, permettant une percée de celles-ci. Il est alors jugé digne d’intégrer le Service d’Action Civique (SAC).
Le moment du service national venu, les nouveaux amis de Max l’expédient comme « coopérant » en Côte d’Ivoire, où sa mission consiste à identifier ceux de ses « conscrits » qui profitent de leur présence pour provoquer de l’agitation. Il bénéficie là, malgré son jeune âge, de contacts avec les plus hautes autorités, tant françaises qu’ivoiriennes.
Max réussira ainsi à trouver une petite cellule confortablement nichée dans le lycée « chic » de la capitale, où elle endoctrine les élèves avec le soutien des services cubains. Tout ce petit monde est rapatrié par le premier avion.
Menant dans le même temps, tant par tempérament que pour donner le change, une joyeuse vie (euphémisme), Max parvient au somment de sa mission en même temps qu’au « septième ciel » en démasquant « une prostituée » qui se révèle en fait… un homme (vexant, après l’amour !) travaillant pour les services cubains. Il sera décoré.
Ce livre est un témoignage passionnant sur les années 1970 et la façon dont la France organisait ses services de renseignement.










