Afrique du Sud. La nouvelle guerre des Boers ?

12 février 2025

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Adilabad, Telangana, India

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Afrique du Sud. La nouvelle guerre des Boers ?

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Alors que le président Donald Trump a proposé un statut de réfugié aux Afrikaners qui souhaiteraient s’installer aux États-Unis, les différents mouvements représentant la population blanche d’Afrique du Sud ont choisi de lui répondre négativement et de défendre leurs droits en Afrique du Sud.

La récente décision du Président Cyril Ramaphosa de signer une loi d’expropriation des Afrikaners de leurs terres a jeté le feu aux poudres en Afrique du Sud. Une réforme agraire qui a pour but de réduire les inégalités sociales et qui autorise la confiscation de certaines parcelles agricoles sans la moindre compensation lorsqu’il sera jugé « juste et équitable et dans l’intérêt public » de l’effectuer.

Une réforme agraire qui divise blancs et noirs sud-africains

Le décret a soulevé les passions dans un pays où le foncier est encore majoritairement détenu par les descendants des Hollandais et des huguenots français venus s’installer dans cette partie de l’Afrique australe au cours du XVIIe siècle. Actuellement, plus de 70% des terres arables restent encore entre les mains des Afrikaners, héritage de lois votées sous l’Apartheid. Représentant leurs droits au Parlement et membre du gouvernement de coalition, le Freedom Front + a immédiatement pointé du doigt une décision constitutionnelle, expliquant qu’une telle réforme menace à la fois le droit à la propriété, et qu’elle serait néfaste à tout investissement futur de pays étrangers en Afrique du Sud. Rejoints par le principal parti politique d’opposition, la Democratic Alliance (DA), les détracteurs de cette loi craignent également que cette « redistribution des terres » ne fasse tomber l’Afrique du Sud dans un scénario économique catastrophique, similaire à celui que le Zimbabwe voisin a connu.

Éviter que ne se répète le scénario zimbabwéen

Au début des années 2000, le président Robert Mugabe avait décidé de passer en force, en dépit de nombreuses contestations au sein de la classe politique locale, une loi lui permettant d’exproprier plus de 5 000 fermiers blancs installés sur les terres les plus fertiles de l’ancienne Rhodésie du Sud. De violents affrontements avaient eu lieu entre les fermiers et les partisans de « Comrade Bob’ », faisant plusieurs morts. Les expulsions, filmées par les médias étrangers, avaient provoqué de nombreuses condamnations internationales. Un climat racial institutionnalisé qui avait également provoqué le départ massif des anciens colons et l’appauvrissement économique du pays, considéré jusqu’ici comme le « grenier à blé » du continent africain.

Le pays est soumis à de fortes tensions raciales

Un schéma que n’entendent pas voir se répéter les représentants de la minorité afrikaner, vent debout contre cette loi qui a même exaspéré l’extrême gauche sud-africaine conduite par le populiste Julius Malema. Cet émule de Robert Mugabe estime que cette réforme ne va pas assez loin et ne répare en rien les blessures profondes du passé. Celui qui fait chanter à ses partisans, lors de ses congrès, le chant « un boer, une balle » (one boer, one bullet), est depuis longtemps un nationaliste marxiste assumé qui ne cache pas sa haine des blancs qu’il accuse de tous les maux. Il n’a pas hésité à appeler au meurtre de masse des Afrikaners. « Nous égorgeons les Blancs. Nous tuerons des femmes blanches, leurs enfants et leurs animaux de compagnie », a-t-il déclaré dans un discours qui a été republié récemment par des internautes sur X. Un fonds de commerce politique qui a ses aficionados, puisqu’il est le quatrième parti politique représenté au Parlement.

Donald Trump propose un statut de réfugié aux Afrikaners

Face à la situation, alerté par Elon Musk, le patron du réseau social X, personnage influent de la nouvelle administration américaine et sud-africain d’origine, le président Donald Trump a décidé de mettre en place des sanctions contre le gouvernement sud-africain, l’accusant de violations des droits humains, et de réduire considérablement l’aide financière américaine au pays. Si le Président Cyril Ramaphosa a dénoncé une « fake news » de la part du dirigeant américain, lui reprochant d’initier une campagne inique de désinformation, le magnat de l’immobilier a également proposé d’accorder un statut de réfugié aux Afrikaners désireux de venir s’installer aux États-Unis.

Face à la polémique, Julius Malema a rebondi sur cette proposition et exigé que tout Afrikaner qui quitterait le pays soit privé de sa citoyenneté. Public, le débat s’est aussi déplacé sur les réseaux sociaux où chaque groupe, blanc et noir, s’affrontent violemment en fonction de leur affinité politique. Certains n’hésitant pas à souhaiter « bon voyage » aux Afrikaners en leur rappelant qu’ils n’appartiennent pas au continent africain.

Les descendants de Boers refusent de quitter l’Afrique du Sud

Rassemblés le 8 février 2025, les principaux leaders afrikaners ont souhaité répondre d’une seule voix à l’offre de Donald Trump. Au cours d’une conférence qui a réuni les syndicats AfriForum (qui dénonce régulièrement les assassinats de fermiers dans le pays) et Solidarité, ces derniers ont rejeté catégoriquement l’idée d’un exil. « L’émigration n’offre une opportunité qu’aux Afrikaners qui sont prêts à risquer de sacrifier potentiellement l’identité culturelle de leurs descendants en tant qu’Afrikaners. Le prix à payer est tout simplement trop élevé. Nous devons également à nos ancêtres de ne pas annuler leurs sacrifices pour permettre aux Afrikaners de prendre forme en tant que peuple et non en renonçant à notre existence en tant qu’Afrikaners », a déclaré Kallie Kriel, président d’AfriForum. Les deux syndicats ont proposé, a contrario, de préserver la paix sociale en modifiant la loi sur l’éducation de base afin de préserver les écoles afrikaners (la loi Bela réduisant considérablement l’utilisation de l’afrikaans dans l’éducation nationale), de sécuriser les exploitations agricoles face à la montée des violences et lutter contre les expropriations, exigeant que soit adoptée une charte de respect mutuel entre les différentes communautés culturelles d’Afrique du Sud. « Nous devons agir sur des bases légales et pragmatiques », insiste Kallie Kriel.

Sur 60 millions de sud-africains recensés, 10% d’entre eux sont issus de la minorité afrikaner. Flip Buys s’apprête d’ailleurs à rencontrer Cyril Ramaphosa ainsi que des responsables américains pour rechercher des solutions conciliantes. « Nous réaffirmons aujourd’hui notre engagement, notre ré-engagement, envers le pays et tous ses habitants », a déclaré le président de Solidarité. Si les deux syndicats se félicitent des préoccupations des États-Unis à leur égard, ils refusent néanmoins de soutenir la décision de Trump de sanctionner l’Afrique du Sud. « Nous n’avons pas appelé, et nous n’appellerons pas, à des sanctions contre l’Afrique du Sud ou à ce que les fonds destinés aux personnes vulnérables soient coupés par le gouvernement américain », explique à ce propos Flip Buys.

Le Cap va-t-il faire sécession ?

De son côté, Joos Strydom, à la tête de la ville autonome d’Orania, une enclave exclusivement blanche qui ne cesse de s’agrandir, accueillant des milliers de boers chaque année, a réclamé lors d’une vidéo mise en ligne sur son site officiel, que les accords pris en 1994 soient enfin mis en place. À la veille des premières élections multiraciales, le futur président Nelson Mandela avait arraché la participation des Afrikaners les plus extrêmes à ce scrutin, évitant ainsi à l’Afrique du Sud de sombrer dans une guerre civile. Le général Constand Viljoen (1933-2020), héros de la guerre d’Angola, avait obtenu du leader de l’African National Congress (ANC) la promesse d’un référendum sur l’établissement d’un volkstaat autonome pour les Afrikaners. Un droit qui est inscrit dans l’actuelle constitution sud-africaine (article 235), mais qui n’a jamais été appliqué. Bien qu’il soit aujourd’hui difficile de déterminer où cet État blanc pourrait être créé, les communautés afrikaners étant très disparates, le Cape indépendance mouvement préconise de son côté la sécession du Cap-Occidental dirigée par la DA. Un CapXit qui serait soutenu par 36% de la population de cette province selon un sondage réalisé par Atlas Intel en mai 2024. Un sujet que ne souhaite cependant pas aborder le gouvernement, craignant que cela ne fasse tache d’huile et éclate l’Afrique du Sud en plusieurs entités indépendantes.

La paix sociale ou la guerre civile ?

Face aux tensions raciales croissantes, fragilisé par une crise économique et une perte d’influence au sein des BRICS+ (groupe de dix pays, dont Pretoria a été longtemps le moteur, se réunissant en sommets annuels afin de contrer le pouvoir du G7 représentant les pays les plus riches du monde), Cyril Ramaphosa a annoncé l’envoi d’une délégation diplomatique pour défendre la position de l’Afrique du Sud sur la scène internationale. Ce refus de l’offre américaine marque un tournant stratégique pour AfriForum et Solidarité, qui misent tout sur un combat local plutôt qu’une fuite vers l’étranger. En se positionnant en partenaires de dialogue avec le gouvernement sud-africain, ces organisations espèrent peser davantage sur les décisions politiques et économiques du pays. « Des suggestions seront également faites sur la manière dont les Afrikaners peuvent contribuer positivement à résoudre les crises que traversent actuellement d’autres communautés culturelles et le pays dans son ensemble. L’avenir de l’Afrique du Sud doit être construit ici, avec ceux qui y vivent. », a rappelé le leader d’AfriForum en guise d’apaisement.

Alors que les désaccords restent vifs, une question demeure : Pretoria et les représentants des droits des Afrikaners parviendront-ils à trouver un terrain d’entente pour un avenir apaisé en Afrique du Sud ?Ò La réponse dépendra de la volonté des deux parties en présence de s’accorder en contenant les plus extrêmes d’entre eux ou de laisser le pays sombrer doucement vers un conflit racial.

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Frédéric de Natal

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